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A QUI LA FAUTE ?

SANS | publié le : 01.06.2004 |

La notion de stress se précise. Les indicateurs de mesure sont affinés et les médecins du travail disposent d'un tableau clinique des symptômes. C'est désormais la responsabilité de l'entreprise qui est en cause : les pathologies viennent-elles d'une insuffisance individuelle à s'adapter ou d'une organisation du travail à revoir ? Sauf exception, patronat et syndicats ont du mal à s'entendre.

Plus de 9 500 salariés couverts par un accord d'entreprise sur le stress : cela se passe chez Cegetel, depuis octobre dernier, et prouve que la santé mentale au travail peut être un objet de négociation sociale (lire p. 18). Dans cette entreprise, la direction et la plupart des négociateurs syndicaux sont, en effet, parvenus à sortir le sujet de l'ornière des positions de principe, en particulier sur la définition et les sources du phénomène. Ainsi, SFR-Cegetel, au moins, aura pris une bonne avance sur un futur cadre européen de la prévention du stress.

Directive européenne

La Commission européenne a, en effet, inscrit le sujet à son agenda social et pourrait édicter, cette année, une directive sur la prise en compte du stress dans les entreprises si, toutefois, les partenaires sociaux communautaires (CES et Unice) ne se sont pas mis d'accord avant. Le terme des négociations, entamées en septembre dernier, était fixé au 27 mai. Au coeur des débats - ce qui les rend houleux -, les causes du stress et, parmi elles, l'organisation du travail.

Car, pour le reste, l'existence de niveaux de stress néfastes à la santé des salariés et à la productivité des entreprises en Europe ne fait plus de doute. Presque un tiers des salariés en souffriraient, selon les enquêtes réalisées ces dernières années au niveau européen, ou en France (1), soit, pour l'Europe des 15, 40 millions de travailleurs victimes de stress, problème le plus fréquemment cité après les troubles musculo-squelettiques. La moitié de l'ensemble des journées de travail perdues seraient dues au stress, lequel, en absences, perte de productivité, désorganisation, coûterait jusqu'à un milliard d'euros par an aux entreprises françaises.

Outils de mesure

Réalité économique, mais aussi médicale : les outils de mesure du stress, qu'ils soient psychosociologiques - à base de questionnaires -, ou physiologiques (lire p. 14), sont, désormais, rodés et considérés comme légitimes ; le tableau clinique, détaillant la sphère anxio-dépressive, est, lui aussi, défini. Globalement, expliquent les médecins, ce sont les niveaux de stress excessif qui présentent un risque pour la santé mentale : la souffrance de l'individu naît d'un dépassement de ses capacités d'adaptation aux contraintes de son environnement.

Problèmes individuels ou organisationnels

Alors, défaillance individuelle ou problème de l'environnement, c'est-à-dire d'organisation du travail ? La définition renferme, en effet, les termes de l'opposition entre les employeurs, et particulièrement le Medef, et les syndicats.

Les premiers favorisent l'approche individuelle, insistant sur le fait que le stress est multifactoriel ; comprenez qu'il ne trouve pas son origine dans l'entreprise, d'une part, et qu'il s'agit d'un problème de capacité d'adaptation personnelle, d'autre part. Remède proposé : une aide individuelle aux salariés, allant de la formation à la gestion du temps, du stress, à l'efficacité en réunion, jusqu'aux consultations psychologiques en ligne et au coaching, en passant par les massages et la sophrologie.

Côté syndicats, on ne réfute pas toujours l'intérêt d'une approche individuelle. La CFE-CGC a, par exemple, abonné ses adhérents aux services de psychologie en ligne du cabinet Psya. Mais on fait aussi de l'organisation du travail l'une des causes, sinon la cause principale, de l'état de stress.

Faute inexcusable

« Les employeurs craignent, évidemment, la "faute inexcusable" », explique Vincent Neveu, élu CGT du CHSCT de Renault, entreprise pourtant pionnière dans la mesure du stress, avec son observatoire dédié. Ils affirment, ainsi, que 90 % des facteurs de stress se trouvent hors du travail, et préconisent des évaluations individuelles, par des questionnaires, comme le fait Renault. Ensuite, les employeurs disent « renforçons l'individu », mais les partenaires sociaux rétorquent « modifions l'environnement ».

Obligation de prévention

Reconnaître le rôle de l'organisation du travail dans la survenue de pathologies mentales, liées, notamment, au stress, expose, en effet, l'employeur à la qualification de "faute inexcusable", dans la mesure où il est tenu « d'assurer la sécurité et de protéger la santé physique et mentale des travailleurs » (art. L 230-2 du Code du travail). Et faillir à cette obligation de prévention peut lui coûter cher.

Déjà, sur un autre sujet que le stress, la Cour de cassation a récemment considéré qu'il n'était pas indispensable que le travail soit la cause unique ou essentielle de la maladie pour que la responsabilité de l'employeur soit mise en cause (il s'agissait, en l'occurrence, d'une victime d'un cancer du poumon qui était fumeur, mais aussi préparateur en colorants, exposé à des composants chimiques nocifs).

Reconnaître la maladie professionnelle

Une évolution qui pourrait lentement ouvrir la voie à une reconnaissance du stress en maladie professionnelle. « Ce serait légitime, et on le réclame, indique Bernard Salengro, médecin du travail et délégué national CFE-CGC. L'intérêt est que quand l'entreprise est taxée, elle comprend vite que la prévention devient rentable. Mais les enjeux sont phénoménaux et cela prendra du temps. » « Comptez bien dix ou quinze ans », estime un autre médecin du travail, pour qui ce n'est pas la voie la plus efficace pour faire progresser le dossier aujourd'hui.

En attendant, quelques exemples de pics de stress ont été reconnus en accident du travail, dans les cas où la soudaineté de l'événement a permis de faire un lien entre les conditions de travail et l'état du salarié (altercation avec un supérieur, par exemple). L'accident du travail est plus impliquant pour l'employeur, ne serait-ce qu'au niveau financier, que la simple incapacité de travail, généralement proposée par les médecins, qui, elle, est surtout financée par la collectivité.

Début d'évolution

Malgré les enjeux qui figent encore le cadre institutionnel et contractuel, certaines entreprises ont com- mencé à évoluer. Elles s'attachent à évaluer aussi bien l'état de stress des individus que la présence de "stresseurs" dans leur environnement de travail (lire ci-contre). C'est, notamment, l'approche des clients du cabinet Stimulus, l'un des pionniers, avec l'Ifas, de l'étude du stress pour le compte des entreprises. C'est, bien sûr, l'employeur qui les mandate, mais associer largement le CHSCT à la démarche et accepter d'explorer ce qui, dans l'organisation du travail, peut être mis en relation avec le stress des salariés, représente déjà un changement de perspective.

(1) Fondation européenne pour l'amélioration des conditions de vie et de travail, en 2000 ;

L'usine nouvelle/Stimulus/ Le quotidien du médecin, en décembre 2003, sur la France.

L'essentiel

1 La lutte contre le stress au travail est une priorité européenne. Les partenaires sociaux doivent trouver un accord ; s'ils n'aboutissent pas, la Commission édictera une directive.

2 La mesure individuelle du niveau de stress, mais aussi des "stresseurs" présents dans l'environnement du salarié, est, aujourd'hui, rodée et indiscutable.

3 Mais rares sont les entreprises qui acceptent d'ouvrir le dossier de l'organisation du travail, en plus de celui du traitement individuel du stress.