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L'entreprise doit préparer sa politique antidiscriminations

SANS | publié le : 04.05.2004 |

Parce que le principe d'égalité et, donc, celui de la non-discrimination sont aujourd'hui étendus, les entreprises ont intérêt à prendre des mesures anticipatrices si elles ne veulent pas se retrouver devant les juges. En la matière, le modèle américain est instructif.

E & C : Vous estimez que la discrimination sera le sujet dominant des contentieux de demain. Quels sont les éléments de contexte qui vous permettent de le dire ?

Yasmine Tarasewicz : De très nombreuses entreprises raisonnent encore selon une conception classique du contrat de travail, qui veut que les relations entre un employeur et ses salariés s'animent dans le cadre strict du lien de subordination. Le chef d'entreprise considère ainsi que, dans ses murs, il est l'unique décideur du parcours professionnel et du déroulement de carrière de chacun.

Bien que l'entreprise ait évolué, la structure hiérarchisée y demeure et, avec elle, de persistants réflexes d'autorité difficilement conciliables avec la conception récente, dite "égalitaire", régissant les rapports de travail.

E & C : Qu'implique la conception égalitaire ?

Y. T. : Elle érige l'égalité comme un principe à valeur constitutionnelle qui doit être appliqué dans l'entreprise comme ailleurs. Elle trouve ses fondements, en particulier, dans la législation communautaire et, précisément, dans deux directives européennes, celles du 29 juin et du 27 novembre 2000. Ces dernières sont, aujourd'hui, transcrites dans le droit français. Sous leur impulsion, l'approche de l'égalité et celle, corrélative, de l'interdiction de discriminer se sont élargies. Dans le Code du travail, l'article le plus emblématique en la matière est le L.122-45, listant les cas de discrimination prohibés selon quatre catégories : les discriminations de nature professionnelle, de nature sexuelle, celles relevant de l'esprit et celles tenant à la personne. Le champ d'application couvre, aujourd'hui, l'ensemble de la vie professionnelle.

Par ailleurs, la discrimination sanctionnée n'est pas seulement celle qui est intentionnelle. Elle peut, en effet, être indirecte et cachée, mais révélée lorsqu'une disposition apparemment neutre a pour conséquence d'exclure une certaine catégorie de personnes d'un droit ou d'un usage.

Cette extension du principe d'égalité, et, corrélativement, du principe de non-discrimination, contraint les entreprises à prendre des mesures anticipatrices. Car si, demain, un de leurs salariés considère que ce droit à l'égalité est bafoué, elles devront justifier cette différence de traitement à l'aide d'éléments objectifs. Je pense que peu en sont capables, aujourd'hui, car elles n'ont pas encore mesuré l'impact de ces législations.

E & C : De quelles mesures anticipatrices s'agit-il ?

Y. T. : En premier lieu, il leur faut se débarrasser, une bonne fois pour toutes, de leurs anciennes habitudes et apprendre à pratiquer une gestion individualisée et justifiée de leurs ressources humaines. Cela passe d'abord par la mise en place d'entretiens d'évaluation dignes de ce nom. Exit donc les entretiens de complaisance durant lesquels les managers, parce qu'ils n'osent pas froisser leur collaborateur, ne lui signifient jamais ses incompétences ou ses insuffisances. Cela suppose une politique managériale destinée, notamment, à assurer une évaluation objective des compétences des salariés placés sous leur subordination.

De même, une entreprise mécontente de certains de ses salariés doit apprendre à constituer un dossier, réunissant les lettres de mise en garde et les sanctions disciplinaires prises à leur égard. Tout cela permettra de faire la démonstration devant les juges, par exemple, d'un refus d'augmentation salariale ou de promotion professionnelle qu'elle considère comme légitime. Bref, il va falloir "faire du papier", même si ce n'est pas la coutume dans notre pays à tradition latine, où l'on est plus dans l'oralité.

Enfin, je conseillerais aux entreprises de créer des outils permettant de s'assurer que les salariés ne sont pas en discordance avec les standards édités dans le bilan social de l'entreprise (moyenne de salaire, délai pour un changement de coefficient...). Sur ce volet des discriminations, les entreprises françaises gagneraient à s'inspirer des pratiques de leurs homologues américaines.

Même si le contexte est différent, en particulier du point de vue des incidences financières des contentieux, ces pratiques sont, toutefois, riches d'enseignements.

E & C : En quoi consistent ces pratiques outre-Atlantique ?

Y. T. : Elles consistent en l'adoption de moyens, afin de prévenir les cas de discrimination en leur sein et, le cas échéant, d'assurer leur défense devant une juridiction. Il s'agit de politiques internes ou de chartes aux termes desquelles leur volonté de lutter contre ces discriminations est clairement affirmée. Quant aux moyens, ils sont exposés en interne comme en externe.

Concrètement, les salariés sont informés de la procédure à déclencher lorsqu'ils s'estiment injustement traités : quel est le circuit de la plainte en interne, le délai pour se faire connaître, auprès de qui, les sanctions pour celui qui discrimine... Un peu sur le modèle de ce qui existe, aujourd'hui, dans certaines entreprises, pour lutter contre le harcèlement.

SES LECTURES

- L'homme pressé, de Paul Morand, Gallimard.

- L'attrape-coeurs, de Jerome David Salinger, Robert Laffont.

PARCOURS

Diplômée de l'Ecole de droit de l'université de Paris-11 en 1983, Yasmine Tarasewicz, inscrite au barreau de Paris, est, aujourd'hui, associée de Proskauer Rose, dont elle dirige la pratique du droit du travail du bureau de Paris.

Elle intervient, notamment, auprès d'entreprises françaises et étrangères dans le domaine des relations sociales de travail et, précisément, dans le cadre des restructurations.

Elle est également l'auteur de l'ouvrage Le statut du dirigeant social.