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LA LOI FILLON VA-T-ELLE ASSEZ LOIN ?

SANS | publié le : 04.05.2004 |

Adoptée définitivement le 7 avril dernier, la loi Fillon réformant le dialogue social instaure une refonte d'ampleur des règles de la négociation collective. Mais sa traduction dans les pratiques des partenaires sociaux s'annonce particulièrement lente.

«Dans l'histoire de la négociation, la loi Fillon constitue une étape aussi importante que les lois Auroux de 1982, ou celles de 1950 et 1936 sur les conventions collectives. » Pour Jean-Denis Combrexelle, directeur général du travail, la loi Fillon, qui devrait être promulguée en ce début de mois, modifie en profondeur le droit. Va- t-elle, pour autant, révolutionner les pratiques ? « Pas si sûr, rétorque-t-il, car elle suppose que les branches s'en emparent : il est probable que cette loi va faire l'objet d'une digestion sans doute beaucoup plus lente que prévu. »

Tant l'épisode de la réforme des retraites, adoubée par la CFDT, la CFTC et la CGC, mais donnant lieu à d'importants mouvements sociaux, que celui de l'Unedic, dont la convention et l'accord sur les intermittents, pourtant légalement signés, sont remis en cause devant les juges ou dans la rue, démontrent l'urgence d'une réforme d'ampleur de la démocratie sociale.

Embryon de principe majoritaire

La loi Fillon, en instaurant un embryon de principe majoritaire, va dans ce sens. Mais ne se révèle pas, loin de là, à la hauteur des attentes. « Cette loi se situe toujours dans un rapport pervers entre l'Etat, les branches et les entreprises, dans la mesure où c'est toujours l'Etat qui fixe le cadre de la négociation sociale, dans lequel les entreprises doivent s'inscrire, pointent, ainsi, Thierry Heurteaux et Antoine Werner, du cabinet de stratégie sociale Pactes conseil. Certes, elle pousse les syndicats majoritaires à prendre position et les entreprises à négocier... mais uniquement là où les partenaires sociaux sont prêts, compétents, et ont la volonté d'aboutir. Dans les autres entreprises, notamment les petites et moyennes, cette loi ne va rien changer... voire va renforcer l'envie de ne pas négocier. »

Jugement sévère

Un jugement sévère mais partagé, tant du côté des syndicats que de celui du patronat, qui reprochent à la loi de ne pas aller assez loin. Sur le principe majoritaire, d'abord. La loi Fillon instaure, par défaut, un système de non-opposition majoritaire, en nombre d'organisations aux niveaux interprofessionnel et branche, et en voix dans les entreprises.

L'instauration d'un véritable accord majoritaire, que ce soit dans les branches ou dans les entreprises, nécessite, ainsi, un accord de branche, qui ne doit donc pas faire l'objet de l'opposition de trois organisations. Sachant que la CFTC, la CGC et FO y sont hostiles, la probabilité qu'il voit le jour est faible. « Cela revient à donner le pouvoir aux opposants, souligne Sylvain Breuzard, président du CJD. Alors qu'il vaudrait mieux donner des marges de manoeuvre à ceux qui veulent avancer. » « Cette loi est un véritable marché de dupes, fustige Michel Coquillion, secrétaire national de la CFTC. Elle repose sur un échange accord majoritaire contre accord dérogatoire. Or, le volet sur l'accord majoritaire ne satisfait pas les syndicats qui le réclamaient (la CFDT et la CGT - NDLR), tandis que l'ouverture de la dérogation est potentiellement très dangereuse. »

Niveaux de négociation

En effet, la loi Fillon, qui n'a pas été censurée sur ce thème par le Conseil constitutionnel, saisi le 13 avril dernier par le parti socialiste, modifie les rapports entre les trois niveaux de négociation (l'accord de niveau supérieur étant supplétif par défaut) et renforce la négociation d'entreprise. Elle lui ouvre, ainsi, de nouveaux sujets, actuellement réservés à la négociation de branche, et permet la mise en oeuvre de modalités dérogatoires de négociation dans les PME dépourvues de délégué syndical.

Salariat à plusieurs vitesses

Pour les organisations syndicales, ces nouvelles possibilités risquent fort de donner naissance à un salariat à plusieurs vitesses, tout en ne permettant pas, comme le souligne Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC, « de remédier aux déserts syndicaux, qui résultent, avant tout, de l'absence d'un rapport de force et du fait que les accords signés s'appliquent à tous, syndiqués et non-syndiqués ». Tandis que le patronat s'émeut de ce que tout ce qui touche à la négociation d'entreprise dérogatoire soit suspendu à la conclusion d'accords de branche majoritaires. Enfin, si la loi Fillon s'attaque à la légitimité des accords, elle n'aborde absolument pas la question de la légitimité des acteurs.

En bref, pour Michel Jalmain, secrétaire national de la CFDT, « la loi Fillon a traduit avec les mêmes contradictions et ambiguïtés la position commune sur les voies et moyens de l'approfondissement de la négociation collective du 16 juillet 2001, sur laquelle elle s'appuyait ». Les DRH risquent fort, ainsi, de continuer à signer des accords minoritaires, auxquels les non-signataires ne s'opposeront pas.

Dispositif bancal

« Le dispositif va vite apparaître bancal, prédit Raphaël Garcia, ancien syndicaliste et auteur de Sortir du syndicalisme gaulois (1), on sera alors amenés soit à revenir en arrière, soit à aller vers un système d'accord majoritaire pur. » Pour la CGT, l'efficacité de la réforme dépendra, pour beaucoup, de la mobilisation des salariés eux-mêmes. C'est en "réclamant" de leur entreprise et de leurs représentants des accords majoritaires qu'ils pourraient encourager véritablement la responsabilisation des partenaires sociaux. C'est pourquoi, pour les consultants de Pactes conseil, « les DRH vont désormais devoir apprendre à leur "vendre" les accords qu'ils souhaitent voir adopter ».

(1) Sortir du syndicalisme gaulois, Raphaël Garcia, éditions Eyrolles, 2003, 227 pages, 19 euros.

L'essentiel

1 La loi Fillon de réforme du dialogue social ouvre la voie à l'accord majoritaire et généralise la dérogation des accords d'entreprise et de branche aux accords de niveau supérieur.

2 Cependant, la branche conserve un rôle clé : elle décide de l'instauration du principe véritablement majoritaire (la loi se contentant de renforcer le droit d'opposition) et peut préciser que les accords signés à ce niveau s'imposent aux entreprises. Par ailleurs, les accords signés avant la promulgation de la loi continuent de s'appliquer.

3 Résultat : dans l'immédiat, la nouvelle loi ne devrait pas bouleverser les pratiques de négociation. Pour les observateurs, elle ne va, en effet, pas assez loin, notamment en n'abordant pas la question de la représentativité des syndicats.

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