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Les DRH ont des cartes à jouer pour stimuler l'innovation

SANS | publié le : 27.04.2004 |

Essentielle au développement d'une entreprise, l'innovation rencontre pourtant beaucoup d'obstacles. Ceux-ci tiennent souvent à la composition des équipes et aux cloisonnements. Des aspects sur lesquels les DRH peuvent agir.

E & C : On affirme qu'une entreprise qui n'innove pas disparaît. Mais quels sont les principaux obstacles à l'innovation ?

Ivan Gavriloff : Tout ce qui s'oppose à la production d'idées et à leur mise en oeuvre. Par exemple, lorsque tout le monde est sur le même moule. Les dirigeants n'aiment pas tellement avoir de la contestation interne. Tant que l'entreprise va bien, cela ne pose pas de problèmes, mais quand elle commence à décliner et que tout le monde est d'accord, la chute est plus rapide. Un service de recherche, par exemple, ne peut pas progresser avec des profils identiques. Il lui faut de la biodiversité. L'organisation elle-même peut constituer un obstacle à l'innovation : une organisation n'est pas spontanément créative. Une fois que chacun a trouvé l'idiosyncrasie, c'est-à-dire un équilibre stable pour lui-même, tout ce qui va venir perturber son fonctionnement quotidien, dans lequel il a trouvé son plaisir, va le déranger. Dans ce domaine, comme dans celui du recrutement, les DRH ont beaucoup de cartes à jouer.

E & C : Quelles sont ces cartes ?

I. G. : Recruter des gens qui vont bien aller avec ceux qui sont là. On recrute souvent les personnes pour leurs qualités intrinsèques, mais l'on se pose moins la question de la compatibilité ou de la complémentarité avec les équipes existantes. C'est compliqué, mais ceux qui vont y arriver ont une carte à jouer formidable. En fait, l'entreprise est un jeu collectif. Or, on a beaucoup d'outils pour mesurer les compétences, les aptitudes, les personnalités, mais très peu pour mesurer les qualités interactives des individus.

Il y a bien des théories sur les équipes complémentaires, mais c'est rudimentaire. A mon avis, le grand champ de progrès des RH est là : qu'est-ce qui fait que telle équipe de douze personnes produit des choses formidables, alors qu'elle ne fonctionne plus si on change deux d'entre elles ?

Les dirigeants le savent bien. Quand ils arrivent à la tête d'une entreprise, ils viennent avec une garde rapprochée, parce qu'avec elle, ils travaillent vite et bien. Ce que les dirigeants font pour eux, il faudrait le faire à tous les niveaux de l'entreprise.

E & C : Comment les DRH peuvent-ils contribuer à rendre plus créative l'organisation ?

I. G. : Un dirigeant disait : « Les cloisons poussent toujours toutes seules dans n'importe quelle organisation. » Les DRH peuvent abattre ces cloisons, c'est-à-dire faire se rencontrer et se confronter les équipes. Les approches team building ne suffisent pas. Ce n'est pas parce que les gens sont solidaires qu'ils jouent bien ensemble. On peut s'apprécier mais ne pas bien travailler ensemble. Il faut comprendre que les intérêts des uns et des autres sont antagonistes. Yves Dubreil, le "père" de la Twingo, chez Renault, l'a bien dit : « Nous avons organisé la confrontation. » Confrontation entre des équipes d'ingénieurs qui ne travaillaient pas ensemble pour produire une voiture légère mais un véhicule qui obtienne 5 étoiles au "crash test", ce qui est théoriquement antinomique. Les DRH pourraient, par exemple, trouver des lieux pour favoriser le fait que les équipes qui ont des intérêts différents se rencontrent et se comprennent. C'est le cas de L'Oréal, avec sa "salle des confrontations". C'est une salle dans laquelle les personnes qui ont des souhaits viennent les soumettre à un aréopage qui vérifie la consistance du projet. Si le projet résiste au flot de questions, il peut être lancé ou amélioré sur certains points qui n'ont pas trouvé de réponse. La salle des confrontations permet de faire passer des projets qui sont solides.

E & C : Beaucoup d'entreprises mettent en place des boîtes à idées. Est-ce que cela fonctionne ?

I. G. : Oui, mais à certaines conditions. D'abord, la direction générale doit donner des thèmes précis sur lesquels elle attend des idées. Ensuite, il faut leur donner des bornes temporelles, dire « pendant trois mois, on vous demande des idées sur... ». Et il ne faut pas se contenter d'avoir un comité qui lit l'idée et répond oui ou non. Là, il n'y a pas d'amélioration possible de l'idée. Dernière chose : il ne faut pas récompenser ou reconnaître seulement le porteur de l'idée. Il faut récompenser l'équipe à laquelle il appartient, de façon à ce qu'il travaille justement en équipe pour soumettre ses suggestions. A ces quatre conditions, vous avez une boîte à idées interactive et qui va fonctionner. Le dépouillement de la boîte à idées devrait également se faire avec les donneurs d'idée et le comité de pilotage pour qu'il y ait une interaction humaine. Parce que souvent, en répondant aux objections, par rebonds successifs, on arrive à la bonne idée. Souvent, la boîte à idées est comme la moissonneuse-batteuse : elle ne ramasse que ce qui a déjà poussé. Il y a peu de systèmes qui savent ensemencer, faire évoluer, puis récolter.

SES LECTURES

Le livre tibétain de la vie et de la mort, Sogyal Rinpoché, La Table Ronde, 2003.

- La partie et le tout, Werner Heisenberg, Flammarion, 1990.

- Ou bien, ou bien, Sören Kierkegaard, Gallimard, 1988.

PARCOURS

Ivan Gavriloff est polytechnicien, spécialisé dans le management de l'innovation et de la créativité. Il est expert auprès des Clubs Progrès du management, association de chefs d'entreprise, où il dispense de nombreuses conférences et formations sur ce thème.

Il est l'auteur, avec Bruno Jarrosson, de Une fourmi de 18 mètres... ça n'existe pas - La créativité au service des organisations (Dunod, 2001), qui a remporté le prix Manpower 2001.