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Peu d'entreprises ont pris des mesures préventives

SANS | publié le : 20.04.2004 |

Le 17 janvier 2002, le harcèlement moral faisait son apparition dans le Code du travail. Mais les entreprises ont encore tendance à nier le problème. Toutefois, les initiatives des associations, des syndicats et de certains DRH pourraient changer la donne en faveur des victimes.

«Déboutée » : le jugement de la cour d'appel de Versailles tombe comme un couperet. Celle qui s'est battue en justice pendant trois ans contre les Laboratoires Clarins a perdu son travail, sa santé et toutes ses illusions : « Je pensais que l'on pouvait se défendre. Aujourd'hui, je suis complètement dégoûtée. Rien n'est fait pour mettre cette soi-disant loi en application. »

Des faits difficiles à établir

Selon Philippe Ravisy, avocat et auteur de Harcèlement moral au travail, 85 % des plaintes portées en 2002 aux prud'hommes de Paris invoquaient le harcèlement moral, mais seulement 5 % ont abouti à une condamnation de l'employeur. « Il existe une certaine lassitude des juges par rapport à la saisine du conseil des prud'hommes », note Me Carole Bazzanella. Depuis le 4 janvier 2003, la charge de la preuve incombe au salarié qui a déposé plainte. Conscients de la difficulté d'établir des faits de cette nature, médecins du travail, associations et même syndicats passent les dossiers au peigne fin avant de les envoyer devant les tribunaux.

Malgré tout, victimes présumées et professionnels de la lutte contre le harcèlement moral ont des raisons d'espérer. « Les résultats des procès en appel commencent à tomber. Les jugements semblent nous donner raison », se réjouit Loïc Scoarnec, président fondateur de l'association Harcèlement moral stop. En correctionnelle aussi, les salariés obtiennent gain de cause. En février dernier, le parquet de Lille a condamné un chef de service de l'hôpital Victor-Provo de Roubaix à huit mois de prison avec sursis, 2 000 euros d'amende et 20 000 euros de dommages et intérêts.

En outre, la jurisprudence évolue. Un arrêt de la Cour de cassation du 1er juillet 2003 a reconnu la dépression nerveuse comme accident du travail. « D'ici à deux ou trois ans, on arrivera à avoir des points de repère qui permettront de définir une attitude de harcèlement, de savoir à partir de quand le stress devient harcèlement, et déterminera si c'est obligatoirement un comportement pervers ou un simple abus de pouvoir qui peut y conduire », souligne Raymond Blet, avocat à la cour de Bordeaux.

Comportements limites

Ces risques de condamnation ne semblent pas effrayer les entreprises qui, pour la majorité, n'ont pas mis en place de programme de prévention, en dépit de l'obligation légale du 17 janvier 2002. Selon Pascal Bernard, DRH de la Sagep et membre de l'ANDCP, seulement « 15 % des entreprises ont réussi à prendre des mesures préventives ». Un chiffre d'autant plus alarmant que ces dispositifs ne règlent pas tout. En 2003, Dupont de Nemours Europe a enregistré dix plaintes pour harcèlement, dont une a débouché sur le licenciement du harceleur. Malgré ce cas d'école, Karin Lebars, conseillère pour les problèmes liés au harcèlement et à la discrimination, juge le dispositif interne encore insuffisant. « Nous avons connaissance de comportements "limites", mais les gens n'osent pas faire la démarche de venir nous voir. Nous sommes capables d'agir lorsque la personne a saisi la commission ; nous devons maintenant réfléchir sur la prévention. » L'ANDCP, de son côté, pousse les DRH à réagir en doublant l'offre de formation sur le harcèlement moral et en démultipliant les ateliers dans l'Hexagone. « La loi a eu un effet positif. Elle a posé le problème du respect et de la dignité de la personne dans les organisations. Lutter contre la terreur et l'arbitraire est aussi un moyen de rendre l'entreprise attractive et de faire face, demain, à la pénurie de main-d'oeuvre », estime Pascal Bernard.

Un peu plus de deux ans après l'entrée en vigueur de la loi, les salariés sont toujours aussi nombreux à se sentir harcelés - selon une étude du cabinet de conseil ASG, 10 % des salariés interrogés estiment être, ou avoir été victimes de harcèlement moral. « Il n'y a pas un jour sans qu'un agent vienne nous voir. Les gens arrivent en pleurs. Ils sont détruits. Certains menacent de se suicider », s'inquiète José Parenti, secrétaire du comité technique d'établissement de l'hôpital Pitié-Salpêtrière, à Paris. Pour répondre à cette détresse, le syndicat CGT de l'hôpital utilise, depuis le printemps dernier, une boîte à outils permettant de diagnostiquer les différents types de harcèlement.

Tous les secteurs concernés

Public, privé, grande distribution, audiovisuel, banques, le phénomène n'épargne aucun secteur d'activité. « Désormais, toutes les couches de l'entreprise nous contactent : des hommes, des seniors que l'on pousse vers la sortie, des jeunes femmes de retour de congé maternité et même des DRH ou des directeurs généraux adjoints », renchérit Loïc Scoarnec. Un avis partagé par Bernard Salengro, président du syndicat CFE-CGC des médecins du travail : « La loi n'a pas ralenti les problèmes. Tant que les inspecteurs du travail n'auront pas les moyens de les y inciter avec des procès-verbaux, les entreprises n'auront pas la volonté de s'y plier. » Une utopie, en effet, à l'heure où le Medef propose de « supprimer les dispositions introduites dans le Code du travail relatives au harcèlement moral ».