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Ce que le ministre peut faire

SANS | publié le : 13.04.2004 |

Quel bilan les acteurs du monde syndical, de l'entreprise et certains experts tirent-ils de la loi de modernisation sociale ? Et quels sont, pour eux, les axes prioritaires de la future loi de mobilisation pour l'emploi ?

Dominique Laurent, DRH d'Elco Brandt

«Je continue à penser que la loi de modernisation sociale était un sauve-qui-peut politique à quelques mois des élections, un quitus au PC. Tout le monde s'accorde pour dire qu'elle est juridiquement inapplicable et poserait de lourds problèmes dans les entreprises. Il ne faudrait pas qu'elle soit rétablie le 4 juillet prochain. A l'inverse, il faudrait que les accords de méthode dépassent le stade de l'expérimentation. Chez Elco Brandt, nous en avons proposé un, mais les syndicats ont refusé en arguant de la clause de sauvegarde de l'emploi que nous devions respecter pendant les deux années suivant la reprise de Brandt par Elco. Impossible, donc, de mettre le sujet sur la table, les syndicats considérant que c'était synonyme de suppressions d'emploi. Dans les groupes qui ont signé des accords de méthode, j'ai vu de bonnes choses. Faut-il, pour autant, passer d'un schéma entièrement organisé par la loi au tout- contractuel ? Cela risque de créer du dumping économique, les entreprises qui seraient en mesure de conclure un accord de méthode introduisant davantage de flexibilité dans la gestion de l'emploi auraient, ainsi, un avantage sur celles où le dialogue social reste conflictuel. En tout cas, je milite pour plus de flexibilité dans le traitement des restructurations et des licenciements. C'est trop compliqué, aujourd'hui, de défaire un contrat de travail. Et ce n'est pas les exonérations de charges qui incitent à recruter : en quinze ans, je n'ai jamais pris de décision sur ce critère.

Il faudrait, également, mettre davantage de pression sur les demandeurs d'emploi et créer un cadre juridique plus stable. Les entreprises ne peuvent pas vivre tous les trois ans des cataclysmes juridico-sociaux. »

Pierre Boisard, chargé de recherches* au Centre d'études de l'emploi

Les restructurations, destinées à être de plus en plus fréquentes sous l'effet de la mondialisation, constituent l'un des dossiers majeurs des mois à venir. Partis politiques et partenaires sociaux sont d'accord sur ce point.

Dans l'idéal, il faudrait que les partenaires sociaux parviennent d'abord à un accord, avant qu'il y ait une loi. D'une manière générale, dans tous les domaines de l'emploi, je suis favorable à ce que le gouvernement définisse des objectifs, les soumette, ensuite, à la négociation interprofessionnelle pour parvenir à un compromis, puis légifère. Mais les négociations sur les restructurations sont difficiles. Et si le politique n'exerce pas de pression sur le Medef, il y a fort à parier qu'elles n'aboutiront pas, car le Medef campe sur des positions idéologiques, tout comme une partie du gouvernement, d'ailleurs.

Autre dossier essentiel : la simplification du Code du travail et des règles de licenciement. Effectivement, il faut réduire l'insécurité juridique pour l'employeur, mais sans pour autant accroître l'insécurité du salarié. Ce dossier devrait, lui aussi, être soumis à la négociation, et pas simplement faire l'objet d'un rapport d'expert.

Cette méthode, privilégiée par le gouvernement, est insuffisante, voire mauvaise. Parmi ces rapports, celui de Jean Marimbert sur le service public de l'emploi. Effectivement, celui-ci ne fonctionne pas bien et le dualisme ANPE-Unedic pose des problèmes de coordination, notamment. Quant au monopole de l'ANPE, celui-ci n'existe plus que sur le papier et on peut envisager de recourir à des opérateurs privés, au moins pour le placement proprement dit. Le point essentiel est que l'ouverture au privé s'accompagne d'un contrôle public renforcé sur la qualité des prestations des différents opérateurs en matière d'accompagnement des trajectoires de retour à l'emploi. Cela dit, il ne faut pas se faire trop d'illusions. Ce n'est pas la réforme du service public de l'emploi qui mettra fin aux tensions entre l'offre et la demande d'emploi, car celles-ci sont surtout liées au manque d'attractivité des métiers concernés.

Enfin, question plus large : comment relancer la création d'emploi en France ? Cette question dépasse largement le cadre du ministère du Travail, elle dépend de la conjoncture, de la croissance et, surtout, de la confiance de l'ensemble des acteurs dans la politique gouvernementale. »

* Spécialisé dans la sociologie du travail et de l'emploi et l'économie du travail.

Marc Bochirol, DRH France de Schneider Electric

Il y a une réelle difficulté, en France, à aborder des sujets qui apparaissent révolutionnaires. C'est le cas des contrats de mission, tant décriés, proposés dans le rapport de Virville, sur la modernisation du droit du travail. Pourtant, il y a nécessité à introduire de la souplesse dans le Code du travail. Il est également nécessaire de réduire les incertitudes juridiques très fortes pesant sur l'employeur, qui rendent frileux la plupart des groupes et paralysent des initiatives qui pourraient être prises en faveur de l'emploi. Egalement dans le domaine des restructurations, qui vont être de plus en plus nombreuses, il faut une loi qui clarifie et sécurise les employeurs, car les procédures existantes sont complexes, difficiles à mettre en oeuvre, et les risques de judiciarisation importants. Je travaille dans un groupe international : mes collègues des autres pays ouvrent de grands yeux quand je leur dis qu'en France, il faut compter, au bas mot, un an pour mener à bien une restructuration. Si nous souhaitons maintenir, dans ce pays, des usines et des emplois, il y a urgence à trouver des solutions plus souples, mais sans pour autant oublier les salariés, négligés depuis plusieurs années, notamment dans le domaine de la formation. »

Maryse Dumas, secrétaire générale de la CGT en charge des questions d'emploi

Se mobiliser pour favoriser l'emploi, ce n'est pas donner plus de liberté aux employeurs pour licencier, affaiblir les quelques protections dont bénéficient les salariés et supprimer les indemnités des chômeurs. Mais c'est travailler sur l'offre. Cela passe par une politique volontariste en matière de rémunération et de prestations sociales, qui permettra de relancer la consommation et la croissance. Se mobiliser pour l'emploi, c'est également remédier à cette situation où la majorité des licenciements se font hors plan social. Ce n'est pas ce que faisait la loi de modernisation sociale ; ce n'est pas, non plus, ce que propose le Medef, ni ce qu'envisageait François Fillon dans son projet de loi, bien mal nommé, de mobilisation pour l'emploi. Nous pensons qu'il faut, également, consacrer à un programme national de la formation et des qualifications la moitié des 20 millions d'euros d'exonérations de cotisations patronales dont bénéficient, chaque année, les employeurs, sans qu'il soit prouvé que cette mesure est créatrice d'emploi. Les 42 millions d'euros d'aides publiques accordées, chaque année, aux entreprises, devraient servir à soutenir des investissements créant réellement des emplois et à financer le reclassement des salariés licenciés, en complément d'une cotisation mutualisée dont s'acquitteraient les employeurs. Voilà ce que nous proposerons au ministre s'il nous consulte. »

Frédéric Bruggeman, responsable de la cellule restructurations et licenciements de Syndex

Les congés de reclassement constituent l'un des points majeurs de la loi de modernisation sociale. Même si on manque cruellement d'un bilan, conformément à cette tradition franco-française qui consiste à ne jamais évaluer les résultats des mesures prises, nous constatons qu'ils sont systématiquement proposés dans les sociétés ou les groupes de plus de 1 000 salariés en cas de licenciements dans le cadre d'un plan de sauvegarde de l'emploi. Leur durée fait toujours l'objet d'une discussion et, bien sûr, les directions ont tendance à vouloir les limiter au minimum légal, soit quatre mois.

Le congé de reclassement est un outil très positif, car il confère un statut à cette période de transition professionnelle en allouant du temps et un revenu, et en repoussant le moment de la rupture avec le collectif de travail d'origine. Cela dit, cette période peut être mal utilisée. Tout dépend de la qualité du plan social. »

Jean-Luc Cazettes, président de la CFE-CGC

Sur le front de l'emploi, François Fillon n'a pas fait grand-chose. Jusqu'en juin 2003, il a donné la priorité au dossier des retraites. Puis, il s'est consacré à la loi sur la démocratie sociale, qui démolit le droit du travail. Il n'a pas eu le temps de véritablement s'investir dans le grand projet de loi pour l'emploi annoncé par Jacques Chirac au début de l'année 2004. Tout juste a-t-il mis sur la table des projets d'ordonnance portant sur la refonte du Code du travail. La seule décision prise dans le domaine de l'emploi a été de supprimer l'ASS, alors que les partenaires sociaux venaient déjà de réduire la durée d'indemnisation pour sauver le régime d'assurance chômage. Quant à la future loi de mobilisation pour l'emploi qui échoit, maintenant, à Jean-Louis Borloo, je ne vois pas en quoi elle améliorera la situation de l'emploi dans la mesure où elle consiste à simplifier le droit du travail et à diminuer les garanties dont bénéficient les salariés.

Nous, ce que nous proposons, c'est d'abord d'aller au bout de la logique de l'accord interprofessionnel sur la formation. Le développement des qualifications par la formation améliorera l'employabilité des salariés et facilitera leur reclassement en cas de licenciement. Pour améliorer la situation de l'emploi, nous proposons, également, de prendre appui sur les bassins d'emploi.

En cas de restructuration, les salariés sont peu mobiles, ils préfèrent changer de métier et rester dans la même région, plutôt que d'être reclassés à des centaines de kilomètres sur un autre site de l'entreprise.

La loi de décentralisation favorise, d'ailleurs, le dialogue entre les partenaires des bassins d'emploi en leur donnant de nouveaux moyens. Il faut aussi diminuer le coût du travail en modifiant l'assiette de certaines cotisations qui pèsent sur l'emploi, comme les cotisations maladie. C'est à cette condition que les entreprises françaises resteront compétitives face aux pays étrangers et, notamment, aux pays de l'Est, qui s'apprêtent à entrer dans l'Union européenne.

Voilà ce que nous proposons au gouvernement qui va devoir légiférer, et ce, alors que la négociation interprofessionnelle sur les restructurations est vouée à l'échec. Il ne peut pas en être autrement, car ce que demande le Medef est inacceptable. Il veut revenir très en arrière, non seulement par rapport à la loi de modernisation sociale, dont le gouvernement n'a, d'ailleurs, jamais publié de bilan d'application, mais aussi par rapport au Code du travail. »