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Les transactions sous l'oeil des juges

SANS | publié le : 06.04.2004 |

Des centaines de salariés de Matra et d'Alcatel, licenciés pour motif personnel, peu avant un plan de sauvegarde de l'emploi, attaquent aujourd'hui leur entreprise devant les prud'hommes. Une occasion de rappeler les règles des départs négociés.

Les transactions ont ceci d'intéressant qu'elles sont simples, rapides et peu risquées. A une condition : qu'elles respectent les règles de droit et qu'elles ne dissimulent pas un licenciement pour motif économique. Et il semble que certaines entreprises ont oublié ces principes en usant et abusant de la formule.

Trois entreprises sont, aujourd'hui, pointées du doigt. Il s'agit de Matra Automobile, qui a procédé, entre 2001 et 2002, à quelque 400 licenciements pour motif personnel, d'Alcatel Câble France, dont les mêmes types de licenciements ont concerné 180 salariés, entre fin 2001 et début 2003, et, enfin, d'Alcatel Optronics, où 373 salariés sont dans le même cas (voir article p. 24). Ces affaires seraient passées inaperçues si ces entreprises n'avaient pas mis en place, quelques mois plus tard, des plans de sauvegarde de l'emploi (PSE), prévoyant des indemnités largement supérieures aux chèques négociés dans le cadre des licenciements pour motif personnel. Pour les salariés trompés, le vieil adage « un mauvais arrangement vaut mieux qu'un bon procès » atteint, ici, ses limites.

Montée en puissance

Des cas isolés ? Pas vraiment. Selon les derniers chiffres du ministère de la Justice, ils ne sont que l'arbre qui cache la forêt ; 3 863 saisies des prud'hommes et 1 342 de cours d'appel pour demande de nullité du licenciement à la contestation du motif économique de la rupture ont, ainsi, été comptabilisées en 2001. C'est comme tout, ironise Denis Boisnard, avocat associé de Lamy Lexel, « il ne faut jamais abuser des bonnes choses » ! Difficile, surtout « lorsque l'on connaît le rejet des entreprises vis-à-vis de la lourdeur des procédures des plans sociaux », soulève Me Yasmine Tarasewicz, de Proskauer Rose, qui a, pour sa part, peu de doutes sur l'illégalité des schémas présentés dans les dossiers Matra et Alcatel.

Pas étonnant, donc, qu'année après année, les licenciements pour motif personnel montent en puissance. Ils étaient 568 778 en 2003 contre 423 232 en 2000, contre, respectivement, 203 245 et 196 694 licenciements pour motif économique*. Ces chiffres ne surprennent pas les avocats. « Les DRH peuvent être tentés de dégraisser en amont d'un plan social en étant suffisamment généreux pour calmer les esprits, convient Me Agnès Cloarec-Mérendon, du cabinet Latham & Watkins. Mais les abus sont faciles à déceler, surtout lorsque les dizaines de salariés remerciés ne sont pas remplacés. » Et une fois en contentieux, la sanction de la justice dépasse le simple rattrapage financier. « S'il est admis qu'il y a eu dissimulation de plan social, les juges concluront un défaut de consultation du comité d'entreprise, et donc un délit d'entrave, ce qui équivaut à la nullité pure et simple des licenciements. En clair : à la réintégration des salariés », synthétise Yasmine Tarasewicz, qui s'étonne, toutefois, du manque de réaction des syndicats devant ces licenciements en cascade. « Et qui dit délit d'entrave, dit responsabilité pénale des dirigeants », avertit Denis Boisnard.

Solutions intermédiaires

Les transactions sont-elles en train de vivre leurs dernières heures ? Oui, pour celles qui concernent les faux licenciements, mais pas pour celles assorties d'un motif personnel avéré et étayé, selon Agnès Cloarec-Mérendon. Autrement dit, « celles qui font suite à une réelle faute professionnelle inscrite dans un dossier disciplinaire digne de ce nom et qui donnent lieu à une contrepartie financière différenciée selon, par exemple, l'ancienneté et le rang du salarié ».

Il n'empêche, beaucoup se mobilisent pour proposer des solutions intermédiaires. La proposition 17 du rapport de la commission de Virville, sur la modernisation du droit du travail, vise, ainsi, à la reconnaissance officielle de la rupture négociée, même pour motif économique. Elle serait assortie, pour le licencié, d'allocations chômage, subordonnées au versement par l'employeur d'une contribution aux Assedic. Le Medef reprend l'idée dans son projet d'accord sur "la protection et le développement de l'emploi", soumis aux organisations syndicales du 25 mars dernier, mais, toutefois, sans prévoir un abondement des employeurs au régime d'assurance chômage.

* Sources : ANPE-Dares.

L'essentiel

1 Matra, Alcatel Câble France et Alcatel Optronics doivent, aujourd'hui, s'expliquer devant les juges après avoir licencié pour motif personnel plusieurs centaines de salariés, juste avant de déclencher un plan social.

2 Les contentieux en cours pour requalifier ces licenciements négociés en licenciements économiques ne sont pas des cas isolés.

3 Certains souhaitent, cependant, que le gouvernement officialise et facilite les départs négociés pour motif économique.

Ce que disent la loi et les juges

Principes de base : la transaction est un contrat par lequel les parties terminent une contestation née ou préviennent une contestation à naître. En cela, elle diffère d'une rupture amiable du contrat de travail car cette formule s'effectue sans qu'il y ait un litige préalable.

Une fois conclue, la transaction a l'autorité de la chose jugée en dernier ressort. En clair : elle suppose le même traitement qu'une décision de justice, elle ne peut pas être contestée (art. 2044 à 2052 du Code civil).

Conditions de validité : la Cour de cassation a, sur la base de ces principes, encadré et précisé son déroulement. Ainsi, une transaction suppose l'engagement de concessions réciproques entre l'employeur et le salarié. La Haute juridiction a illustré cette condition, le 14 mars 2001, lorsqu'elle a considéré qu'un employeur qui se contente de verser les indemnités auxquelles les salariés auraient de toute façon eu droit ne fait pas de concessions. Pour autant, elle précise, le 21 mai 1992, que ces concessions ne doivent pas forcément être d'égale importance. Le fait qu'un salarié abandonne le droit de contester le bien-fondé du licenciement est considéré comme une concession. En contrepartie, il perçoit une indemnisation. Pour sa part, l'employeur peut renoncer à se prévaloir d'une faute grave reprochée.

Pour être admissible, la transaction doit intervenir après le licenciement et les procédures qu'il suppose. Aux deux parties, ensuite, de convenir d'un compromis signé, après la réception de la lettre de licenciement (Cass. soc. 29 mai 1996), laquelle doit être envoyée en recommandé avec accusé de réception (Cass. soc. 18 février 2003).

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