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SANS

Le pélican

SANS | publié le : 06.04.2004 |

Il me semble harassé. En poste depuis plusieurs années dans le même service, il a affronté avec succès les réformes successives de l'organisation du Ministère dont dépend son établissement public. Les résultats sont là, pas si mauvais. En tous cas, bien meilleurs que ceux de ses collègues des autres régions. Et sans moyens supplémentaires, au contraire. Une gestion précautionneuse des deniers publics lui a permis de toujours disposer à peu près des moyens de s'adapter. La République vient de reconnaître sa contribution en le décorant. Tout devrait aller bien.

Mais la mission lui pèse. « Pas le métier, hein, mais la fonction. Le métier, je continue d'aimer beaucoup. Rencontrer les gens. Comprendre leurs difficultés. Négocier des solutions. Faire évoluer la loi. Quelquefois, même, faire avancer la science. C'est un beau métier. Mais la fonction de patron, c'est autre chose. C'est ça qui me démolit. Patron, c'est pas mon truc, finalement. J'y arrive, mais à un prix trop élevé. Ras le bol. »

Un peu étonnant. Mais voyons de plus près. Je connais bien la réputation de ce chef de service. Je connais son équipe. Il bénéficie partout d'une très flatteuse réputation. Mélange de disponibilité, de qualité d'écoute, de cordialité. Pas d'incident relationnel grave depuis très longtemps. Pas de conflit social. Une bonne ambiance à bord, à tous les niveaux hiérarchiques.

Des publications qui rendent jaloux dans bien d'autres services. Et une audience locale évidente, marquée du respect nécessaire pour la partie régalienne de ses missions. Où est donc le problème ?

Il me donne sa version de l'histoire : « Je crois que je n'ai plus envie. Trop donné. Trop présent. Trop disponible. Trop de trops, finalement. Je n'ai connu qu'une recette pour faire avancer tout ce bazar : serrer de près tout le monde, aider tout le temps, accompagner, expliquer, veiller à tout, protéger sans cesse, soutenir, recommencer. Ne jamais rien lâcher. Sur rien. Et surtout, rester à disposition. Voilà ce que j'ai fait : être à disposition, porte ouverte, solution à portée de main. D'accord, ça a bien marché. Mais je rêve maintenant d'un poste d'expert. Vous comprenez ? »

Je crois que je comprends assez bien. « Vous avez fait le pélican. Nourrir son équipe de son expertise, c'est bien. La protéger, c'est bien. La promouvoir, c'est bien aussi. Mais vous avez peut-être oublié la suite du scénario : la faire grandir. La rendre autonome. La laisser partir, se débrouiller seule. Prendre des risques. Assumer des échecs. Se cogner seule aux réalités. Et, de temps à autre, patauger dans des conflits. Vivre sans vous, en fait. C'est la condition pour vous retrouver vous-même. »

Il acquiesce. Il s'engage à changer. Tant mieux pour lui. Et tant mieux pour son équipe. Mais il reste une question : quand on fait le pélican, c'est par orgueil, devoir, ou incapacité ?