Le marché de l'emploi a beau être sinistré, des milliers de postes restent en souffrance à l'ANPE. A tel point que les employeurs mal-aimés revoient leurs procédures de recrutement pour adopter un style moins conventionnel et un ton plus offensif.

Insuffisantes les méthodes traditionnelles de recrutement - petites annonces, brochures, stands - mal adaptées, les entretiens trop formels : pour attirer, il faut aussi apprendre à se vendre. A grands coups de communication sur les métiers, les postes et l'identité de la société. L'objectif ? Se montrer plus persuasif pour convaincre les jeunes de l'intérêt de ses professions.

Creyf's a compris tout l'enjeu d'une telle méthode. Pour recruter des intérimaires, la société de travail temporaire a invité les 40 000 fans de l'équipe de football du RC Lens, dans le Nord, à déposer leur CV au stade, les jours de match. Au vu des résultats de l'opération, cet événement a séduit les supporters : l'entreprise a recueilli plus de 465 CV exploitables. L'opération a, d'ailleurs, été dupliquée, le 7 février, dans le club de rugby d'Agen, à l'occasion de la rencontre Agen-Brive. L'idée a également été reprise par Adecco, qui a organisé une vaste opération de recrutement, à l'occasion de la rencontre de basket de Gravelines-Dunkerque, en février dernier.

La Marine nationale innove également. La "grande muette" a lancé, pour la deuxième année consécutive, une campagne d'affichage qui tranche radicalement avec les habitudes du passé. Pour atteindre 5 800 jeunes de 17-29 ans, avec ou sans diplôme, elle a actualisé son discours et mis en avant le dynamisme de ses carrières. Le ton des nouvelles affiches, « Oubliez vos films d'action », « Changez d'adrénaline », « Passez au grand bain », rompt catégoriquement avec les slogans des années précédentes, beaucoup plus timorés : « Apprendre à être précis » (2001), « Vivez solidaire » (2002).

Ces recrutements événements ne sont pas nouveaux. Le phénomène est né dans les années 80, avec les sociétés informatiques. Il s'est ensuite poursuivi dans les années 90, à l'ère d'Internet et des start-up. Soirées cocktails, jeux concours, épreuves sportives, First Tuesday... Tous les moyens sont alors bons pour se démarquer des concurrents et jouer la proximité. Plusieurs entreprises se sont inspirées de cette mouvance.

Recalé à la 31e place du top 50 des entreprises préférées des étudiants en 2001, d'après le classement d'Universum, Unilever, le géant de l'agroalimentaire, faisait pâle figure aux côtés de Danone, de l'Aérospatiale et de L'Oréal, chouchoutés par les jeunes. Parce qu'elle aussi « le valait bien », l'entreprise a décidé de réagir, en lançant, l'année suivante, le "You Day", une journée spéciale de recrutement au musée de la Publicité, à Paris, réunissant 550 étudiants des grandes écoles et 150 managers du groupe. L'opération a été réitérée, en décembre dernier, au Carrousel du Louvre, avec le même succès ; 700 invitations ont été lancées, et 230 cadres de l'entreprise ont été mobilisés pour améliorer la notoriété du groupe.

Le même objectif était poursuivi par PricewaterhouseCoopers, qui a organisé, du 17 novembre au 12 décembre dernier, un road show ou tour de France des grandes écoles et universités, à bord d'un bus américain (ou lounge mobile), pour établir un premier contact avec des jeunes prometteurs. C'est aussi cette initiative qu'ont retenue les professionnels de la peinture en bâtiment en lançant le bus "Le peintre, quel talent", pour sensibiliser les jeunes aux métiers et aux formations qualifiantes du secteur.

Opération marketing ou véritable chasse aux talents ? Les entreprises cherchent à se positionner en employeurs attractifs. L'idée ? Se donner plus d'atouts pour convaincre. Les raisons de ces opérations sont multiples : pour PricewaterhouseCoopers, l'objectif est, avant tout, de restaurer l'image écornée par les scandales financiers.

Le but poursuivi par Unilever était de faire connaître ses métiers (le category manager, par exemple, interface entre ventes et marketing), avec, à la clé, un espace innovation pour attirer les ingénieurs en quête d'un poste en recherche et développement. Le groupe a également cherché à communiquer sur l'organisation du travail en mettant en avant le travail en équipes, l'autonomie et la gestion par projet, trois atouts très appréciés par les jeunes prétendants à l'emploi. Le déficit d'image était, aussi, à l'origine de la journée nationale de recrutement, organisée le 14 novembre dernier, à Paris (au célèbre palais Brongniart) et, simultanément, dans plusieurs villes de province, par le conseil régional Paris Ile-de-France de l'ordre des experts-comptables et la Compagnie nationale des commissaires aux comptes de Paris et Versailles. « Notre défi était de faire découvrir concrètement nos métiers et la diversité de nos missions aux étudiants de BTS, explique Jean-Claude Spitz, président du conseil régional Paris Ile-de-France de l'ordre des experts-comptables. L'expert-comptable n'est pas uniquement un homme de chiffres. » Qu'on se le dise !

Autres tendances : les cartes publicitaires diffusées par les réseaux Carte a pub ou Cart'com (Quick ou Kraft Foods), le télétexte ou encore les SMS (H & M). Les entreprises sont aussi de plus en plus nombreuses à choisir les call-centers dédiés au recrutement.

Ces opérations sont-elles payantes ? Si, la plupart du temps, le coût de ces événements est tenu secret - seule la Marine nationale annonce avoir déboursé 800 000 euros -, les recruteurs se disent satisfaits.

Mais qu'on ne s'y trompe pas. Ces opérations ne sont pas forcément des foires au recrutement. « Nous n'avons effectué aucune collecte de CV lors de cet événement, prévient Agnès Flouquet, campus manager chez PricewaterhouseCoopers. Notre objectif était, avant tout, de donner une image moins austère des métiers de l'audit à travers une communication informelle et sans tabou. Cette action est, d'ailleurs, complémentaire des opérations plus classiques, forums, présentations, partenariats pédagogiques. Nous invitions les étudiants à reprendre contact avec nous, en mars, pour un emploi ou un stage en septembre prochain. Nous recrutons, cette année, près de 300 stagiaires et 350 jeunes diplômés. » Une façon d'anticiper la reprise à petits pas. En gardant en mémoire la leçon de La Fontaine : rien ne sert de courir, il faut partir à point...

1 Société générale, Club Med, McDonald's, Unilever, Adecco, Creyf's... Plusieurs entreprises organisent des communications de recrutement décalées (road shows, rencontres sportives, soirées spéciales...) pour se positionner en employeurs attractifs.

2 Les objectifs sont multiples : restaurer une image écornée, sensibiliser à des métiers en perte de vitesse, donner une idée moins austère des professions ou, tout simplement, pallier la pénurie de main-d'oeuvre...

3 Les recruteurs se disent satisfaits de ces opérations marketing, mais leur coût est souvent tenu secret. Ces événements sont souvent complémentaires des opérations plus classiques.