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« Les entreprises blindent leurs procédures d'expatriation »

SANS | publié le : 09.03.2004 |

11 septembre, Sras, attentat de Karachi, soulèvement au Nigeria et en Côte-d'Ivoire... Autant de crises politiques et sanitaires qui contraignent les entreprises à repenser l'expatriation de leurs salariés.

E & C : Tout d'abord, où en sont les entreprises vis-à-vis de la mobilité internationale ?

Yves Girouard : Les entreprises de taille substantielle qui ont une bonne implantation dans leur pays ont compris que leurs capacités de développement sont moins dans leur propre pays qu'à l'étranger. Elles ont besoin de l'international. Elles ne peuvent plus faire l'économie de l'internationalisation de leurs ressources humaines. Pour autant, elles se sentent souvent démunies, surtout dans le contexte actuel où la géopolitique est particulièrement mouvante. D'où leur nouvelle manière de travailler, fondée sur l'échange et le benchmark des pratiques en matière d'expatriation, qui leur permettent de sortir d'approches franco-françaises. Ainsi, les entreprises tendent, aujourd'hui, vers la mise en commun de leurs préoccupations via les réseaux, comme le nôtre. A cela s'ajoutent d'autres changements, notamment législatifs. Les sociétés mettent aussi en place des procédures de reporting social ainsi que de nouveaux outils (NTIC, knowledge management, entre autres).

E & C : Devant les multiples crises politiques et sanitaires vécues ces trois dernières années, comme le 11 septembre, l'attentat contre les salariés de la DCN à Karachi, le Sras, la guerre en Irak, la situation au Nigeria..., quelles seront les politiques des DRH en matière d'expatriation ?

Y. G. : Les DRH doivent composer, aujourd'hui, avec un paradoxe. D'un côté, elles sont confrontées à de plus en plus de risques, qui les conduisent à travailler main dans la main avec les services sécurité de l'entreprise. De l'autre, elles gèrent des expatriés qui n'ont souvent plus rien à voir avec les baroudeurs d'antan. En effet, elles expatrient, de plus en plus, des cadres de haut niveau avec leur famille, qui réclament un minimum de confort et de sécurité. Puis, il y a eu le 11 septembre, qui a provoqué un véritable électrochoc. Les entreprises qui pensaient être au point concernant la gestion de leurs collaborateurs se sont rendu compte de l'insuffisance de certaines de leurs informations et de leurs procédures. Ainsi, si la plupart d'entre elles savaient que certains de leurs collaborateurs étaient aux Etats-Unis ce jour-là, elles étaient souvent incapables de les localiser en temps réel.

Par ailleurs, elles n'avaient aucun moyen de les joindre, en dehors de leur portable. Mais, ce jour-là, les réseaux étaient saturés. Certaines ne disposaient pas des coordonnées de la famille, par exemple. Depuis, elles ont revu leurs procédures. Les DRH tendent, ainsi, à recueillir le maximum de données sur leurs salariés, expatriés ou en mission ponctuelle. Ces données sont d'ordre privé, mais cela est devenu indispensable.

Le Sras a également créé un tournant dans l'approche sanitaire de l'expatriation. Procédures d'alerte, d'évacuation, de veille, de diffusion d'informations... Tout a été remis à plat. De même, les politiques de prévention en matière de sécurité ont été renforcées.

E & C : Quelles vont être les conséquences, selon vous, de la condamnation de la Direction des constructions navales (DCN) pour "faute inexcusable", après la mort de 11 de ses collaborateurs, suite à l'attentat de Karachi (Pakistan) ?

Y. G. : L'entreprise a le devoir d'informer ses expatriés sur les risques qu'ils encourent. Cela, elles le font déjà. Pour autant, il faut bien avoir conscience que le "risque zéro" n'existe pas. Quelles que soient les procédures de sécurité mises en place, comme le changement des itinéraires et des horaires de déplacement des collaborateurs (c'était le cas de la DCN), elles ne peuvent tenir longtemps lorsque l'on a été identifié comme cible par des terroristes. Les entreprises ont, depuis le 11 septembre, largement amélioré la sécurité. Les expatriés disposent, dans les pays sensibles, de gardes du corps et de chauffeurs. Leur lieu de résidence est étudié avec soin par le responsable de la sécurité, qui veille à ce qu'il réponde à des conditions strictes en termes de protection, d'exposition, de localisation (proximité de cibles stratégiques éventuelles, par exemple, dans certains pays). Elles ne peuvent, raisonnablement, faire davantage. En plus des contrats d'assistance, les compagnies n'auront peut-être plus d'autres ressources que de souscrire des contrats d'assurance qui les couvrent en cas d'éventuel procès en la matière... Autre tendance : sensibiliser les candidats au départ à l'aide de formations leur donnant, en particulier, la marche à suivre et les attitudes à adopter lorsqu'ils sont dans une zone à risques.

E & C : Pensez-vous que ces crises vont créer un déficit de candidats à la mobilité internationale ?

Y. G. : Non, je ne le pense pas. L'international suscite toujours des vocations et un parcours à l'étranger est de plus en plus apprécié dans une carrière. C'est la manière dont les entreprises motivent, accompagnent et gèrent leurs collaborateurs en mobilité internationale qui évolue. On constate, d'ailleurs, que les primes de risque n'ont pas augmenté dans des proportions énormes. Ensuite, elles raisonnent de plus en plus à l'échelle du groupe auquel elles appartiennent, et c'est, sans aucun doute, la tendance des prochaines années. Ainsi, si une entreprise rencontre des difficultés pour expatrier certaines nationalités de collaborateurs, elle aura tendance à se tourner vers d'autres salariés, employés dans des filiales étrangères. Je pense que la notion de sécurité s'appréhende aussi en fonction des cultures.

SES LECTURES

- The global challenge : frameworks for international human resource management, Paul Evans, Vladimir Pucik, Jean-Louis Barsoux. Irwin/McGraw-Hill, 2002.

- Le choc des cultures - Management interculturel et gestion des ressources, Philippe Deval. Eska, 2000.

- L'Europe des compétences, F. Geoffroy et R. Tijou. Insep Consulting, 2002.

PARCOURS

Yves Girouard assure, aujourd'hui, la présidence internationale du Cercle Magellan, réseau professionnel pour les DRH internationaux et les responsables de la mobilité internationale.

En 1994, il a créé, à l'ENS Cachan, le mastère "gestion des ressources humaines et de la mobilité internationale", dont il conserve la direction des études et devient professeur associé en 1995.

En 1993, il avait publié le premier Guide Girouard de la mobilité internationale, qui est paru tous les ans jusqu'en 1999.