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L'AVENEMENT DU SALARIE NOMADE

SANS | publié le : 02.03.2004 |

Alors que le gouvernement semble convaincu des vertus du e-travail, le nomadisme est en train de devenir, grâce à l'explosion des nouvelles technologies de l'information et de la communication, un phénomène de plus en plus prégnant dans le monde du travail, bouleversant le rapport traditionnel que le salarié entretient avec son entreprise.

Une constante dans l'histoire de l'humanité, écrit, à propos du nomadisme, Jacques Attali, dans son dernier essai (1). Et, finalement, reprend-il, dans une interview accordée au Nouvel Obsersateur, les nouvelles technologies ne seraient que le prolongement de la roue, du navire et du téléphone. Autrement dit, avec l'informatique, Internet et les technologies de télécommunication, une nouvelle page de l'histoire des relations humaines est en train de s'écrire.

Dans notre société moderne - pour ne pas dire dans notre village global -, le premier à ressentir les effets de cette e-revolution est, sans conteste, l'homme dans son travail. Car, si, à titre privé, les NTIC sont utilisées comme des facilitateurs de la communication, à titre professionnel, elles créent de nouveaux horizons, bouleversant le rapport que le salarié entretient avec son entreprise. Les frontières physiques de l'entreprise sont, par exemple, en train d'éclater sous l'effet des NTIC. Le temps professionnel lui-même s'est dilué, modifiant la distinction entre vie au travail et vie personnelle. « L'unité de lieu et de temps tend à disparaître », résume Henri Isaac, chercheur à l'université Paris-Dauphine (lire aussi l'interview page 28).

D'importantes économies

Dans ce contexte, vient se greffer la tendance qu'ont, aujourd'hui, les entreprises à se rapprocher de leurs clients, n'hésitant pas à dépêcher, par monts et par vaux, leurs salariés au plus près des gisements de chiffres d'affaires. Au final, le phénomène du nomadisme n'intéresse plus les seuls représentants de commerce ou les consultants, mais des populations qui étaient, traditionnellement, sédentaires. Son émergence comporte, en outre, une logique économique implacable. En favorisant la mobilité de leurs salariés, en délocalisant le travail chez le client, en créant des sites de proximité (ce qu'un groupe comme IBM pratique, en France, depuis 1999), voire en autorisant le télétravail au domicile, les entreprises opèrent « un glissement entre une logique de surface et une logique de service, analyse Denis Ettighoffer, président de l'Institut Eurotechnopolis. Elles veulent éviter toute dépense superflue dans les bureaux, d'où l'intérêt de favoriser la mobilité ». A la clé : des économies colossales.

Certaines mauvaises langues y voient même le véritable objectif du gouvernement Raffarin dans le rapport qu'il vient de commander au Forum des droits sur l'Internet sur le e-travail. Son postulat ? La France, toujours un brin ringarde en matière de nouvelles technologies, serait désespérément à la traîne des autres pays européens en matière de travail à distance. Le groupe de réflexion, composé d'une dizaine d'experts et de professionnels, rendra ses conclusions en avril prochain. Pour le sociologue Yves Lasfargue, qui a été retenu pour plancher sur la question, la chose est entendue : le gouvernement entend pousser au e-travail. « Le discours officiel, explique-t-il, est de faire croire que c'est la panacée, alors que ce n'est ni bien ni mal. Cette forme d'organisation doit surtout être contractualisée et faire partie de la négociation collective. »

Une définition floue

Alors que les partenaires sociaux doivent, avant juillet 2005, entamer une discussion sur l'application, en France, de l'accord européen de juillet 2002 sur le télétravail, la question du nomadisme souffre d'une absence de définition claire. Qu'est-ce, en effet, aujourd'hui, qu'un salarié nomade ? Ne reposant sur aucun cadre juridique, le nomadisme s'appuie avant tout sur des pratiques et sur des technologies censées épauler la mobilité. Contrairement à la personne qui travaille à son domicile, le nomade dispose théoriquement d'un bureau, mais il est amené à travailler fréquemment hors de celui-ci et en dehors de ses heures de travail. Dans son ouvrage consacré à l'e-RH (2), Bernard Merck, ancien directeur délégué de la DRH groupe de France Télécom, ose une autre définition : « Possibilité offerte par les TIC de s'affranchir des infrastructures fixes et de recevoir ou d'émettre des contenus numériques en n'importe quel lieu, voire en déplacement. Cette dimension est l'une des raisons du succès des NTIC. » Selon Stephan Saraf, qui dirige le salon Mobile Office, environ 25 % de la population active est nomade, c'est-à-dire qu'elle passe au moins 20 % de son temps à l'extérieur de l'entreprise. « Cela représente presque 6 millions de personnes, auxquelles, précise-t-il, il convient d'ajouter les salariés qui se déplacent de site en site, à l'intérieur de l'entreprise. »

Un management délicat

Le management des travailleurs nomades reste, quoi qu'il arrive, un exercice d'équilibriste. Sans parler des problèmes managériaux classiques qui sont, ici, exacerbés. Le premier des écueils est de trouver les outils adéquats. Entre le PC portable, le téléphone mobile, le PDA ou la tablette PC, les entreprises n'ont que l'embarras du choix. Avec ces instruments, la bonne vieille conversation autour de la machine à café a du plomb dans l'aile. Pour les salariés mobiles, le lien avec l'entreprise et le manager passe désormais par la messagerie électronique, l'appel sur le mobile ou le SMS. Autant de canaux de communication qui peuvent induire un stress technologique. « Les NTIC se traduisent par un effet de zapping et d'hypersollicitation », estime Jean Hildbrand, manager programme mobilité chez IBM France. Tout réside, donc, dans la pondération.

Une dépendance technologique

Mais le nomade donne également le bâton pour se faire battre. C'est, en tout cas, la thèse que défend Henri Issac, qui côtoie des managers de haut niveau dans le cadre du MBA executive management de l'université Paris-Dauphine. Fascinés par les NTIC, les nomades se créent, selon lui, une dépendance technologique. Même si, ajoute-t-il, la donne pourrait changer. Directeur financier d'une division du groupe Impress Metal Packaging, Jean-Marc de Revière est un grand nomade, appelé à visiter régulièrement les douze sites de production dont il a la charge. « Auparavant, raconte-t-il, j'emportais mon PC en vacances et je me fixais trente minutes par jour pour consulter mes mails, de manière à éviter d'éplucher les 300 messages à mon retour de congés. Le problème, c'est que vous êtes rapidement pris dans un engrenage. Alors, j'ai opté pour une autre stratégie, en décidant de ne plus emporter mon PC. Lorsque je suis rentré au bureau, j'avais mes 350 mails. Je les ai effacés d'un coup, sans même les regarder. Bilan : je n'ai eu, en tout et pour tout, que trois appels de protestation. Et encore, sur des problèmes mineurs. »

Des moyens de contrôle

Ni le mail ni le téléphone ne doivent, par ailleurs, servir de moyens de contrôle. Le coup de fil régulier passé à 18 h 30 traduit, bien souvent, un manque de confiance entre le manager et son collaborateur. « C'est l'une des règles d'or du management à distance, soulève Bertrand Deroulède, consultant à la Cegos . La notion de confiance mutuelle est fondamentale. Les règles du jeu doivent être claires et connues de tous. »

En matière de contrôle, les recommandations de la Cnil prennent tout leur sens, dès lors que l'employeur se lance dans une géolocalisation de ses collaborateurs itinérants (lire également l'article p. 20). Chez Masternaut, une PME normande spécialisée dans les systèmes embarqués de géolocalisation, on se félicite d'avoir pulvérisé le chiffre d'affaires en 2003. Il faut dire que son système est d'une précision diabolique. Grâce à un boîtier électronique et des capteurs placés sur le véhicule, celui-ci peut être localisé sur une carte avec une marge d'erreur de 5 mètres ! Via une connexion web, l'entreprise peut ensuite suivre en temps réel le déplacement de son salarié, et connaître une quantité de paramètres : nombre de kilomètres parcourus, vitesse, consommation d'essence. Au-delà de deux minutes, on peut même déterminer si le salarié effectue un arrêt prolongé. Ces procédés franchissent, aujourd'hui, un nouveau palier avec l'apparition de la géolocalisation depuis le téléphone mobile. Plus besoin, ici, d'équiper le véhicule, c'est le salarié qui est directement pisté.

L'intranet comme outil de gestion

Pour les entreprises, la gestion des salariés nomades consiste également à les relier au système d'information "maison". L'intéressé peut, ainsi, se greffer à l'intranet, consulter sa messagerie, accéder aux applications métiers et de travail collaboratif. Objectifs poursuivis : améliorer les conditions de confort de travail, doper la productivité et replacer le nomade au coeur de l'entreprise. Chez Majorette Toys, par exemple, la force commerciale est équipée d'un logiciel de reporting baptisé Safari. Depuis Rillieux-la-Pape (69), siège du fabricant de jouets, Jean-Marc Penard, chef des ventes, peut suivre ses commerciaux à la loupe : nombre de sites visités, nombre de commandes, planning hebdomadaire, congés, etc. « En deux clics, je connais la feuille de route de mes collaborateurs. Mais attention, insiste-t-il, cela reste un outil de gestion. Et les commerciaux l'ont bien compris. »

Les solutions e-GRH développées

Si, en matière de solutions mobiles, les entreprises accordent une prime au "business", il est également possible de développer des solutions de e-GRH. Chez l'éditeur CCMX, la mobilité du salarié est traitée par l'offre RH Place Portail. Relié au SIRH, le nomade peut consulter des informations relatives à son statut : RTT, rémunération, gestion des frais de déplacement, demande de congés, consultation de la bourse interne des emplois, etc. « L'outil de workflow gère la remontée et la validation des informations pour intégration dans le back office de paie et avertit, par e-mail, les divers interlocuteurs des stades de traitement de l'information », indique Nathalie Lochet, directrice de la communication de CCMX. « Généralement, dans les rares entreprises où le nomadisme a fait l'objet d'une réflexion, les salariés ont accès aux outils de gestion de ressources humaines, via un intranet mobile », constate Yves Lasfargue.

La problématique de l'accompagnement RH du nomadisme est bel et bien le talon d'Achille des entreprises. Le salarié sans fil ne doit pas être un salarié sans filet. Le Forum des droits sur l'Internet en tiendra-t-il compte dans ses recommandations à François Fillon ?

(1) L'homme nomade, Jacques Attali, Fayard, 2004.

(2) Equipes RH, acteurs de la str@tégie, l'e-RH : mode ou révolution ?, Bernard Merck, Editions d'Organisation, 2002.

L'essentiel

1 Grâce à l'émergence des NTIC, le nomadisme est un phénomène qui se développe dans les entreprises. Le nomade n'est plus seulement le représentant de commerce, mais un salarié qui était considéré traditionnellement comme sédentaire.

2 Pour équiper leurs nomades, les entreprises ont à leur disposition de nombreux outils et solutions mobiles. Mais, entre contrôle et flicage, le management de cette population relève de l'exercice d'équilibriste.

3 En confiant un rapport au Forum des droits sur l'Internet, le gouvernement entend développer le e-travail en France. Parallèlement, les partenaires sociaux doivent, avant juillet 2005, négocier l'accord européen de juillet 2002 sur le télétravail.

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