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La religion devant les juges du social

SANS | publié le : 24.02.2004 |

Malgré l'effet grossissant du débat sur la laïcité, religion et entreprise se sont finalement rarement retrouvées ensemble devant les juridictions sociales. Présentation des principales affaires tranchées, notamment autour du port du voile.

Le couple religion-entreprise n'a pas attendu le iiie millénaire pour se retrouver devant les juges. Déjà, après-guerre, il faisait parler de lui avec les prêtres-ouvriers, puis, dans les années 1960, au moment de l'immigration des musulmans d'Afrique du Nord. Aujourd'hui, il refait son apparition avec le voile. Epoques différentes, histoires différentes.

Droit d'expression

Une chose est sûre : la religion a sa place dans l'entreprise depuis qu'une décision du Conseil d'Etat du 25 janvier 1989 ne reconnaît pas le droit à un chef d'entreprise d'interdire l'expression des opinions religieuses dans les conversations de ses salariés. Au Code du travail de fournir, ensuite, deux garde-fous avec les articles L.120-2, qui fixe les limites à la restriction des libertés individuelles et collectives, et L. 122-45, relatif aux discriminations. Reste à naviguer entre ces deux principes et la sauvegarde légitime des intérêts de l'entreprise. Quelques jurisprudences permettent, néanmoins, de baliser un peu le terrain.

> Habillement

Depuis les arrêts de février 1998, du 6 novembre 2001 et, enfin, celui du 28 mai 2002 sur l'affaire du bermuda porté par un salarié de Sagem, la liberté de se vêtir sur son lieu de travail n'est pas reconnue comme fondamentale. Mais le sujet se corse avec les contentieux relatifs au port du voile. Le premier conflit a été à l'initiative d'une vendeuse portant un voile la couvrant de la tête au pied (Cour d'appel de Saint-Denis de la Réunion, septembre 1997). Devant son refus de le retirer, l'employeur la licencie. Un licenciement validé par les juges qui ne verront pas dans l'interdiction du port du voile une discrimination, mais plutôt une exigence liée aux intérêts de l'entreprise.

Tenue conforme

Le 16 mars 2001, la cour d'appel de Paris se prononcera sur le même type d'affaire lorsqu'une vendeuse de fruits et légumes portant le foulard islamique conteste son licenciement pour faute grave. Elle sera déboutée. Pour les juges, il n'y a, là encore, pas motif à discrimination. D'une part, l'employeur lui avait demandé de changer son voile en un foulard moins couvrant pour adopter une tenue de travail conforme à celle en vigueur pour les salariés en contact avec la clientèle ; d'autre part, il avait autorisé la plaignante à s'absenter, hors de la période légale des congés, pour réaliser un pèlerinage à la Mecque. En tout état de cause, il lui avait laissée la possibilité d'exprimer ses convictions. Les juges ont ainsi rappelé que l'employeur est seul apte à juger de l'apparence de ses salariés, surtout lorsque celle-ci est précisée dans un règlement intérieur.

Cohérence

Encore faut-il que l'entreprise soit cohérente. Le 19 juin 2003, la cour d'appel de Paris donne raison à une télé-enquêtrice de la société Téléperformance. L'entreprise lui avait demandée de renoncer à son voile après qu'elle ait été affectée à un autre site en faisant valoir que ce lieu était fréquenté par de nombreux clients. Les juges objecteront que l'ancien lieu de travail de cette salariée était également un lieu de visite de la clientèle. Ils concluront à la nullité du licenciement.

> Alimentation

L'entreprise est obligée de proposer des repas suffisamment diversifiés pour que tout le monde y trouve son compte. Toutefois, un salarié qui ne prendrait pas ses repas, fournis gratuitement par son employeur, pour des raisons personnelles, comme la pratique d'un jeûne, ne peut prétendre à une compensation financière (Cass. 16 février 1996).

> Congés-pauses

Le principe de liberté d'exercer sa religion en dehors du droit de travail suppose que l'employeur garantisse des temps d'absences suffisants. Pour autant, un salarié ne peut s'absenter sans en demander l'autorisation. L'employeur, quelle que soit la requête du salarié, est alors tenu de proposer une solution. Pour cela, il doit être prévenu : primo, suffisamment tôt par le salarié, pour être capable de procéder à une nouvelle répartition des tâches et à une nouvelle organisation collective du travail (Cass. 16 décembre 1981) ; secundo, aussi souvent que de besoin.

Cette dernière précision est venue des juges de la cour d'appel de Colmar, en 1991. L'affaire concernait un salarié, licencié après qu'il ait quitté son travail le vendredi au coucher du soleil. Ce départ était devenu une habitude depuis son embauche. Les juges ont recadré : cette sortie anticipée ne pouvait, en aucun cas, être considérée comme un droit, mais plutôt une tolérance. Enfin, un salarié qui aura obtenu de son entreprise un aménagement de ses horaires de travail pour la pratique de son culte devra s'y tenir. Le 10 janvier 1989, la cour d'appel de Paris a, ainsi, débouté un salarié qui, plutôt que de prendre son après-midi comme le lui avait demandé son employeur, a préféré quitter son poste à la tombée de la nuit.

> Clause du contrat de travail

Parfois, mieux vaut que l'employeur soit informé de certaines restrictions imposées par un culte. Ainsi, un boucher, employé dans un magasin d'alimentation à Mayotte, se rend compte, après deux ans passé au rayon boucherie, qu'il manipule de la viande de porc. Il demande à son employeur de le muter dans un autre service, où il cesse de travailler. La sanction de se fait pas attendre : il est licencié. Pour la Cour de cassation (24 mars 1998), l'employeur n'a commis aucune faute en demandant à son salarié d'exécuter ce pour quoi il a été embauché. Si lors de son embauche, cette personne avait averti l'entreprise, celle-ci aurait dû s'en arranger et inscrire dans le contrat de travail du salarié une "clause expresse".

Remerciements à Mes Elisabeth Laherre (Coblence & Associés), Agnès Cloarec-Merendon (Latham & Watkins) et Philippe Thomas (Lovells).