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« Faire le lien entre âge et conditions de travail »

SANS | publié le : 24.02.2004 |

L'enjeu pour les entreprises, dans les années à venir, sera de faire travailler plus longtemps leurs salariés. Pour y parvenir, elles devront agir sur plusieurs leviers : repenser leur organisation du travail et modifier leurs pratiques de GRH.

E & C : L'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact) vient de se voir confier, par l'Etat, une mission sur la gestion des âges dans les entreprises, et notamment dans les PME-PMI. Comment allez-vous aborder cette mission ?

François Guérin : La question des âges doit être traitée transversalement aux autres axes du contrat de progrès que nous venons de signer avec l'Etat : la santé et la prévention des risques, le développement et la reconnaissance des compétences, la conception des organisations. Dans l'ensemble des actions que mène le réseau Anact sur ces différents sujets, le regard sur les âges sera plus systématique.

E & C : Les entreprises sont-elles demandeuses ?

F. G. : Il est, aujourd'hui, assez rare que les entreprises fassent appel à nous sur le sujet des âges. Si cette question ne se présente pas encore comme une préoccupation majeure, l'enjeu est de les aider à faire le lien entre la question conjoncturelle qui la préoccupe et la gestion des âges. Car, tôt ou tard, elles seront confrontées à ce sujet et toutes les entreprises ont besoin d'y réfléchir, compte tenu du vieillissement général de la population active et des choix politiques : faire croître les taux d'emploi des plus âgés (mais aussi des plus jeunes), incitation à l'allongement de la vie active pour des raisons d'équilibre financier des régimes de retraite.

E & C : Quelles sont vos propositions en matière de gestion des salariés âgés ?

F. G. : Les leviers d'action sont multiples : il n'y a pas une seule manière de traiter ces questions qui se sont élaborées sur des décennies et qui demanderont, sans doute, beaucoup de temps pour être maîtrisées. Améliorer les conditions de travail, favoriser la mobilité interne, développer le tutorat et aménager le temps de travail sont quelques-unes des pistes de changement. C'est par un ensemble d'actions qui contribuent à transformer le travail qu'on arrivera à faire en sorte que des salariés qui aspirent à partir précocement restent plus longtemps et que les entreprises aient à leur égard un point de vue plus positif. Les pouvoirs publics se dégageant des mesures de préretraites, les solutions sont à trouver dans l'entreprise. Rien n'interdit à une entreprise de transformer l'organisation du temps pour que les salariés les plus âgés, en moins bonne santé, disposent de plus de temps libre en fin de carrière.

Dans ce domaine, tout est à construire. Il y a aussi les actions de plus court terme : on sait que les salariés vieillissants sont plus sensibles aux contraintes temporelles. On constate des phénomènes de sélection, liés à des combinaisons de contraintes d'organisation du travail : on retrouve, ainsi, au cours du temps, dans certains secteurs - le textile, l'agroalimentaire, les centres d'appels, par exemple - des populations dont l'âge ne varie pas beaucoup. Cette stabilité des structures d'âge est liée en grande partie au turn-over de la population. Cela signifie qu'il y a des secteurs ou des situations où les gens vieillissent difficilement dans l'emploi et des secteurs où ils le peuvent. Notre mission est donc d'étudier les formes de travail susceptibles de permettre à des salariés de continuer de s'investir au cours du temps.

E & C : Comment agir sur l'axe des compétences ?

F. G. : Il y a, en effet, un problème d'identification des compétences. On sait beaucoup de choses sur les évolutions physiologiques liées à l'avancée en âge, mais beaucoup moins sur l'acquisition de compétences. Or, avec l'âge, on acquiert de l'expérience, on a d'autres compétences, on fait les choses autrement. Et, souvent, cela n'est pas forcément handicapant du point de vue de la productivité du travail, à condition qu'on permette aux gens de faire autrement.

C'est là toute la question : est-ce que l'avancée en âge n'est pas aussi une progression ? Permet-elle, sous certaines conditions, de compenser les déficits physiologiques ? Cette compensation est-elle efficiente ? Est-elle reconnue et est-elle transférable ? C'est seulement en identifiant ces compétences, en les décrivant, qu'on pourra les transférer et que cette fameuse coopération intergénérationnelle pourra prendre une signification.

E & C : Votre mission est dirigée en particulier vers les PME-PMI. Quelles sont les spécificités de ces entreprises en matière de gestion des âges et comment les aider ?

F. G. : La spécificité des PME-PMI, c'est parfois le déficit des ressources pour traiter cette question. Autre problème : les PME ont sans doute moins de marge de manoeuvre, par exemple pour permettre des mobilités internes. L'un des enjeux est de les outiller. L'avantage du réseau des Aract (associations régionales pour l'amélioration des conditions de travail) est que, depuis longtemps, leurs actions sont orientées vers ces entreprises en réalisant des diagnostics gratuits et en les accompagnant dans les changements envisagés. Par ailleurs, les PME vont pouvoir bénéficier, prochainement, d'un appui conseil en gestion prévisionnelle des emplois et des compétences financé par le ministère du Travail.

SES LECTURES

La gestion des âges : pouvoir vieillir en travaillant, Marion Gilles et Florence Loisil, coll Agir sur, éditions Anact/Liaisons, 2003.

- Travailler pour être heureux ? le bonheur et le travail en France, Christian Baudelot et Michel Gollac, éditions Fayard, 2003.

- La démographie du travail pour anticiper le vieillissement, Anne-Françoise Molinié et Serge Volkoff, éditions Anact, 2002.

PARCOURS

Après avoir enseigné l'ergonomie au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam), François Guérin est entré, en 1986, à l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Il a été successivement responsable du département "Conception des systèmes de travail", puis directeur adjoint.

Il est co-auteur de Comprendre le travail pour le transformer (éditions de l'Anact, 1997).