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Les chercheurs victimes d'une précarité qui dure

SANS | publié le : 17.02.2004 |

Au-delà des problèmes budgétaires qui affectent les laboratoires de recherche publique, l'annonce de la création de 550 emplois en CDD de trois à cinq ans, en lieu et place d'autant de postes de fonctionnaire, entretient la colère des chercheurs, qui dénoncent une précarité croissante pour les plus jeunes.

Désormais plus de 40 000 signatures : la liste des chercheurs qui écrivent leur colère au gouvernement ne cesse de s'allonger. Faute de réponses satisfaisantes de leur ministre de tutelle, Claudie Haigneré, les patrons d'unité ou d'équipe de recherche démissionneront de leurs fonctions de direction le 9 mars prochain.

Ainsi, plus du tiers des 104 000 chercheurs, enseignants-chercheurs et ingénieurs de recherche travaillant dans des laboratoires publics sont désormais en rébellion ouverte contre la politique française de la recherche. Au-delà de la baisse des crédits de fonctionnement, votés ou réellement versés (lire p. 34), c'est le statut des jeunes chercheurs qui cristallise, aujourd'hui, la révolte de toute une profession. Car, en 2002 aussi, la communication du budget de la recherche avait suscité une pétition. Rien de comparable, pourtant, en matière de mobilisation. Toute la différence tient dans l'annonce, cette année, du remplacement de 550 emplois de fonctionnaire par autant de CDD d'une durée de trois à cinq ans.

« 32 ans, bac + 10, expérience de plus de deux ans à l'étranger, cherche CDD, de 1 800 à 2 000 euros » : voilà, en effet, un CV et des prétentions que les jeunes "grosses têtes" ne veulent pas avoir à écrire. « Ces CDD de trois à cinq ans sont destinés à des postdoctorants, qui devraient postuler à des emplois fixes de chercheurs recrutés sur concours », détaille Sylvain Collonge, président de la Confédération des jeunes chercheurs (CJC).

Nouveaux CDD

Selon lui, ces nouveaux CDD ne feront qu'organiser la précarité de ces jeunes scientifiques encore un peu plus longtemps, alors que leur début de carrière traîne déjà en longueur. La thèse de doctorat les conduit, généralement, à bac + 10, voire plus. Ensuite, pas question de se présenter directement à un concours de recrutement de chercheur dans un organisme public. Il faut avoir fait au moins un "postdoc" - période de deux à trois ans, souvent à l'étranger - dans des équipes multinationales.

Système de libéralités

Pendant tout ce temps, les statuts et les contrats de travail sont variés, mais rarement généreux ou valorisants : CDD avec un salaire proche du Smic pour les mieux lotis, libéralités, c'est- à-dire sortes de bourses financées par l'organisme public ou par une association. « Ce système de libéralités, qui est parfois une simple subvention avec des sommes versées irrégulièrement, et, bien sûr, sans cotisations sociales, concerne aussi les postdocs, signale Sylvain Collonge. Pour nous, il s'agit tout simplement de travail dissimulé. » Quant à la protection sociale... « J'ai 30 ans, avec ma préparation de thèse et mon postdoc, je n'ai pas encore commencé à cotiser pour ma retraite, s'inquiète un jeune biologiste. Dans le meilleur des cas, je la prendrai après 70 ans. »

En outre, l'entonnoir qui mène au CDI se réduit : le nombre de postes ouverts au concours est en baisse. A l'Inserm, 95 chargés de recherche étaient recrutés en 2002, pour 30 budgétés cette année. Dans plusieurs départements, aucun poste de jeune chargé de recherche ne sera ouvert au concours.

Autre goulet d'étranglement : dans beaucoup d'établissements publics, l'âge maximal pour postuler sur un emploi de chargé de recherche 2e classe (CR2) est descendu à 31 ans. L'idée est, certes, de limiter la pratique, courante dans ce secteur, des CDD longs et reconduits. Mais la contrainte pèse sur les seuls candidats. Après leur thèse et leur postdoc, parfois renouvelé, ils arrivent souvent à la limite d'âge. Une fois manquée cette étape de recrutement en CDI, il faut rempiler en CDD jusqu'à l'opportunité suivante de CR1 (chargé de recherche 1re classe), à 40 ans et plus.

Carrières internationales

Pourtant, cette formule de CDD de trois à cinq ans existe ailleurs, dans des pays qui, aujourd'hui, attirent les jeunes chercheurs français, comme la Grande-Bretagne, les Etats-Unis, le Canada, la Suisse. « A un niveau européen, ce type de contrat est une façon de favoriser des carrières internationales », explique Bénédicte Henry-Canudas, responsable du recrutement de l'European Synchrotron Radiation Facility (ESRF), un institut de recherche situé à Grenoble et exploitant des faisceaux de lumière produits par son anneau de stockage. Cet établissement privé recueille des fonds de 17 pays et fédère de nombreuses équipes de recherches européennes et mondiales, publiques et privées. Ici, les scientifiques sont parfois recrutés sur des CDD allant jusqu'à cinq ans, ce que permet le Code du travail dans le cas des collaborations scientifiques internationales. « En revanche, nous ne permettons pas d'enchaîner plusieurs postdocs », précise-t-elle. En outre, les conditions de travail et les rémunérations sont, ici, bien meilleures que dans beaucoup d'établissements publics français.

Un modèle moins attractif

Cet exemple européen résume toutes les différences entre la recherche à la française et celle des pays anglo-saxons. Le modèle français a longtemps été attractif grâce à la stabilité des postes qu'il proposait, permettant un certain confort et une autonomie nécessaire à la recherche fondamentale, en contrepartie de salaires moins compétitifs et de crédits moins élevés. « Aujourd'hui, non seulement nous tirons le diable par la queue, travaillons dans des conditions difficiles, mais en plus, il nous faut accepter des CDD à plus de 40 ans, fulmine un chercheur. Entre les CDD français et les CDD américains, le choix risque d'être vite fait. D'autant plus qu'il est difficile de revenir en France. Il y a une dimension politique dans les recrutements : il faut avoir entretenu son réseau et être présenté par un chercheur. » Le système français commencerait à cumuler la précarité et le dénuement.

Ces nouveaux CDD permettront-ils, au moins, de rendre la recherche française plus réactive, moins « fonctionnarisée », comme l'espère le ministère ? Rien n'est moins sûr, si l'on prend le cas de la Grande-Bretagne, où la Chambre des communes a analysé, en 2002, les effets de la politique de recrutements en CDD dans la recherche (50 % des chercheurs y ont des contrats de court terme). Dans le bilan, les avantages occupent une page (mobilité, nombre de recherches entamées), les désavantages pour les personnels, mais aussi pour les institutions, sept fois plus avec, notamment, des durées trop courtes pour correspondre à une activité de recherche efficace, une perte de chercheurs, découragés par les conditions de vie difficiles liées à une forte mobilité contrainte.

L'essentiel

1 L'annonce du budget de la recherche pour 2004 a suscité la colère et une forte mobilisation des chercheurs.

2 En point de mire de cette communauté de 104 000 personnes : le remplacement de 550 postes de fonctionnaire par autant de CDD d'une durée de trois à cinq ans.

3 Le ministère espère ainsi rendre la recherche française plus réactive, moins "fonctionnarisée".