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LE BRAS DE FER JUDICIAIRE

SANS | publié le : 03.02.2004 |

Vice de forme, mesures de reclassement insuffisantes, absence de motif économique... Les risques de voir casser un plan social sont nombreux. Afin d'éviter les recours en justice, les partenaires sociaux essaient de trouver un terrain d'entente pour écrire la future loi de mobilisation sur l'emploi prévue en juin 2004.

C'est une petite bombe à retardement qu'a posée Me Brun. Cet avocat rémois, défenseur de la CFTC, a assigné LU-France, filiale de Danone, devant le tribunal de grande instance de Boulogne-sur-Mer pour faire valoir l'absence de motif économique du plan social engagé en 2001. Une affaire qui pourrait donner des sueurs froides à plus d'un DRH. Car la restructuration du groupe alimentaire a été menée de façon exemplaire : deux ans de négociations avec les instances représentatives des salariés, soit, au total, plus d'une centaine de réunions de comité d'entreprise et de comité central d'entreprise, et des mesures exceptionnelles de reclassement (les salariés qui n'ont pas trouvé d'emploi peuvent percevoir leur salaire jusqu'en juin 2004). Aujourd'hui, 536 salariés sur les 794 personnes licenciées sont reclassés, soit 67 %.

Mesures jugées insuffisantes

La procédure pourrait-elle être annulée ? Me Brun n'en est pas à son coup d'essai. En 1993, la cour d'appel de Reims lui avait donné raison en annulant le plan social de Moët, en Champagne. Les mesures de reclassement avaient été jugées insuffisantes, au regard de la richesse de l'entreprise, le groupe LVMH. Le deuxième coup de tonnerre est venu d'Euridep, une filiale de Total, spécialisée dans la peinture. L'objet du litige portait, cette fois, sur un vice de procédure, l'ordre du jour des séances du CCE concernant cette restructuration avait été fixé unilatéralement par la direction, sans accord du secrétaire du CCE, contrairement à ce que prévoit le Code du travail. Et cette fois, c'est la plus haute juridiction française, la Cour de cassation, qui a prononcé le jugement, en février 2003 : les 80 personnes licenciées, cinq ans plus tôt, peuvent retourner chez leur ancien employeur, ou, à défaut, être indemnisées. Une mésaventure dont se souvient encore le grand magasin parisien La Samaritaine, qui a dû, en 1997, lui aussi, sur ordre de la Cour de cassation, réintégrer les salariés licenciés en 1994.

Epouvantail judiciaire

Un épouvantail judiciaire qui a fait bondir de nombreuses entreprises. Car le désappointement des directions des ressources humaines est à la hauteur des conséquences sociales encourues. L'irruption des juges dans ces bras de fer risque, en effet, de retarder l'application du plan social, voire d'alourdir la facture : en cas de réintégration, les salariés licenciés peuvent réclamer le paiement des salaires comme s'ils n'avaient jamais quitté la société. Dans le cas d'Euridep, par exemple, 22 personnes licenciées ont touché la totalité de leur salaire durant les cinq ans de procédure et, parmi celles-ci, 10 ont demandé la réintégration dans l'entreprise, à leur poste ou à un poste équivalent.

Danone, Wolber, TAT Express, Martell, mais aussi Alcatel, Martell, Mossley... Toutes ces entreprises ont affronté des bras de fer judiciaires autour de leurs plans sociaux. La prochaine bataille pourrait être celle de ST Microelectronics. Déjà, l'entreprise a dû faire face à plusieurs différends concernant la fermeture de l'usine de Rennes : salariés bloquant la production, refus de la secrétaire de CE de signer l'ordre du jour... La prochaine étape de ce feuilleton judiciaire pourrait porter, à la demande d'une fédération syndicale, sur l'annulation pure et simple de la procédure d'information-consultation du CCE, en réfutant le motif économique.

Procédures

Les relations sociales sont-elles devenues plus conflictuelles ? « On ne note pas une augmentation des procédures judiciaires, constate Rachid Brihi, avocat, spécialiste en droit social du cabinet Grumbach & Associés. Dans le cas des plans sociaux, un dossier sur trois ne va jamais au tribunal. Mais il est vrai que la suppression de l'autorisation administrative de licenciement, en 1986, a entraîné une judiciarisation des procédures. A défaut de contrôle administratif, les représentants du personnel se sont tournés vers le contrôle judiciaire. »

Protection du salarié

Résultat : la Cour de cassation a rebâti, jalon après jalon, une protection judiciaire du salarié. La justice peut être saisie sur trois terrains : la façon dont se déroule la procédure de licenciement (Euridep), les motifs du plan (Miko, Wolber) et son contenu en mesures de reclassement (Moët & Chandon, La Samaritaine). Le juge prend-il la place du législateur ?

« Le vrai problème, analyse Olivier Meyer, avocat associé du cabinet DMD, c'est l'insécurité juridique. Nous, avocats, juristes, on ne sait pas très bien à quoi s'en tenir tant la jurisprudence est abondante. Un texte de loi donne des dispositions à partir desquelles le droit est appliqué. En revanche, on ne sait jamais quelles règles seront édictées par la Cour de cassation. » Un phénomène redouté par certains observateurs qui craignent la toute- puissance du juge au détriment du législateur. « Le législateur doit reprendre la main, utiliser à plein ses pouvoirs pour ne pas laisser trop de champ libre à la Cour de cassation », poursuit Olivier Meyer.

Sauvegarder le dialogue social

Pour éviter ces procédures judiciaires, plusieurs entreprises ont choisi de mettre en place des accords de méthode. Institutionnalisés par la loi du 3 janvier 2003, ils sont censés donner un cadre pour négocier les licenciements économiques et le plan social, en sauvegardant le dialogue social.

Mesures suffisantes ? Pour Frédéric Bruggeman, responsable du pôle licenciement et restructuration au sein du cabinet d'expertise comptable Syndex, qui conseille les comités d'entreprise, le rapport de force entre syndicats et patronat peut être évité « si on accepte de discuter, en amont, sur le motif des licenciements ». « Dans la plupart des cas, l'employeur refuse de discuter sur les anticipations. La décision de l'entreprise en terme économique est le fait du prince, le pouvoir de gestion du chef d'entreprise, poursuit Frédéric Bruggeman. Tout le volet gestion des emplois et des compétences de la loi Soisson, en 1989, est resté lettre morte. Or, le partage de l'information économique avec le CE, voire avec le territoire, deux à trois ans avant des licenciements, est indispensable pour anticiper les mutations économiques. Le deuxième grand axe concerne la négociation sur le besoin d'adaptation des compétences et l'élévation du niveau de qualification. »

Définir un nouveau cadre de loi

Ces pistes de réflexion ont, d'ailleurs, été au coeur du débat sur les restructurations qui réunit, actuellement, les partenaires sociaux. L'objectif étant de définir le cadre de la future loi de mobilisation sur l'emploi que le gouvernement souhaite mettre en place, à partir de juin 2004, en remplacement de la loi de modernisation sociale.

Lors de la dernière réunion, le 21 janvier, le patronat a présenté un nouveau projet d'accord « relatif à la protection et au développement de l'emploi ». Le premier volet expose les actions destinées à anticiper les restructurations, avec l'obligation de négocier tous les trois ans sur la méthode et sur l'évolution des emplois et le contrat de reclassement. Un premier pas qui a donné satisfaction aux syndicats.

En revanche, la définition du licenciement économique fait toujours débat. Si le Medef ne reprend plus l'"amélioration de la compétitivité" de l'entreprise comme motif économique, il maintient celle de "la préservation de la compétitivité". Une définition qui permettrait peut-être à Danone d'échapper à la justice, mais qui fait enrager les syndicats, bien décidés à contester cette définition choisie dans la hâte.

L'essentiel

1 Danone, Wolber, TAT Express, Martell, mais aussi Alcatel, Mossley... Toutes ces entreprises ont fait face à des procédures judiciaires autour de leurs plans sociaux.

2 La justice peut être saisie sur trois terrains : la façon dont se déroule la procédure de licenciement (Euridep), les motifs du plan (Miko, Wolber) et son contenu en termes de mesures de reclassement (Moët & Chandon, La Samaritaine).

3 Pour éviter cette judiciarisation, plusieurs entreprises ont opté pour des accords de méthode. Mais la plupart des experts veulent aller plus loin et pousser les employeurs à négocier, en amont, avec les partenaires sociaux, sur les mutations économiques et les emplois.