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La méthode par simulation fait un tabac

SANS | publié le : 20.01.2004 |

La méthode de recrutement par simulation, développée par l'ANPE, remporte un vif succès auprès des entreprises : 350 groupes l'ont utilisée et 35 000 personnes ont été recrutées, depuis 1996. Jusqu'ici gratuite, elle pourrait être facturée aux DRH dans le courant de l'année.

Alain Caric, responsable emploi d'Accor, est rassuré. Il a peut-être trouvé une solution aux pénuries de main-d'oeuvre qui touchent son entreprise - près de 500 postes sont actuellement vacants dans le groupe. Après un premier test réussi à Toulouse, il va lancer, en février, un plan de recrutement via la simulation (ou méthode des habiletés), en Ile-de-France, et l'étendre, ensuite, en Rhône-Alpes et dans le Nord.

Une première dans l'histoire du groupe. Car, jusqu'ici, un hôtelier avait ses propres filières de recrutement : les écoles hôtelières ou le secteur touristique. Cette fois, la méthode sera radicalement différente, les recruteurs vont devoir embaucher des réceptionnistes et des serveurs en renonçant aux critères sélectifs habituels : diplôme, âge, expérience. La sélection se fera sur le comportement et les savoir-faire du candidat.

Ne pas alimenter l'exclusion

A l'origine de cette méthode, Georges Lemoine, directeur départemental de l'ANPE de la Vienne, maître de conférence associé au département de sociologie de l'université de Poitiers. Il enseigne, également, à l'université d'Ottawa, au Canada, depuis 1986. C'est en essayant de trouver des solutions pour sortir les demandeurs d'emploi du chômage longue durée qu'il comprend que le diplôme n'est pas l'unique sésame pour l'emploi. « Si nous tenons compte des seuls critères de diplôme et d'expérience professionnelle, nous risquons d'alimenter la machine à exclusion qui ne donne pas ses chances aux non-diplômés, aux personnes qui ont dépassé 50 ans, aux femmes, à ceux qui n'ont pas d'expérience dans le métier concerné. »

Une mini-révolution dans le recrutement

D'autres voies sont possibles pour tester l'aptitude professionnelle d'un chômeur. D'ailleurs, pour Georges Lemoine, « les entreprises ont tendance à surestimer les qualifications dont elles ont besoin. Telle entreprise recrute des pizzaïolos aux Etats-Unis parce que le marché de l'emploi est plus tendu, alors qu'elle exige des bac +4 en France ». Il n'hésite pas, alors, à tordre le cou aux méthodes traditionnelles.

Exit les tests psychotechniques, jugés trop obsolètes. « Ils remontent à 1945 et servaient à l'armée américaine pour réintégrer les GI », assure cet expert de la réinsertion. Et, il met au point une méthode fondée sur des exercices de simulation, reproduisant les gestes à accomplir dans une situation professionnelle donnée. Avec un leitmotiv, montrer que tous les demandeurs d'emploi sont employables. Une mini-révolution pour des entreprises habituées à recruter sur CV. La première simulation sera testée chez Hydro-Québec (distributeur et producteur d'électricité) au Canada, en 1993, la seconde, chez Citroën, en 1996.

Une percée dans les services

Depuis, la méthode fait un tabac. Tous les mastodontes de l'industrie, Airbus, Valeo, les Chantiers navals de l'Atlantique, PSA, l'ont utilisée pour recruter des ouvriers, mais la méthode a aussi fait une percée dans le secteur des services, comme chez Auchan, Leroy-Merlin ou encore Carrefour. Ces enseignes y ont recours pour pourvoir des postes de conseiller de vente, d'hôtesse de caisse et d'employé logistique. Des fédérations professionnelles, telles que celle du bâtiment, ont également adopté ce procédé, ou encore des centres d'appels comme Bertelsmann services, en Meurthe-et-Moselle.

Toutes catégories professionnelles

La plupart des recrutements concernent des volumes importants (entre 80 et 100 personnes) et touchent toutes les catégories professionnelles puisque des cadres ont, ainsi, été engagés via ce processus chez Cegetel ou ST Microelectronics. Parfois, plusieurs PME se regroupent. C'est le cas de Capa (48 salariés), à Oyonnax, dans l'Ain, qui a fait partie des premières entreprises de la Plastic Vallée à recourir aux tests des habiletés.

Georges Lemoine a même exporté sa méthode à l'étranger. Nia l'a utilisée en Hongrie, Motorola aux Etats-Unis et Air Austral en Australie. Preuve que la méthode suscite de l'intérêt, il vient d'effectuer une série de conférences en Californie et s'envole, en avril, pour le Brésil, à la demande d'un membre du gouvernement qui souhaite endiguer le flot du chômage... Au total, 350 groupes l'ont utilisée et 35 000 personnes ont été recrutées. Un véritable succès.

Méthode en quatre étapes

La méthode comporte, en fait, quatre étapes. Le point de départ consiste à réaliser une étude particulièrement détaillée des postes à pourvoir afin de définir les habiletés nécessaires pour effectuer ces métiers. La seconde étape repose, ensuite, sur l'élaboration, avec l'entreprise qui souhaite embaucher, d'une série de tests d'évaluation des aptitudes de chaque candidat. Les exercices simulent les savoir-faire et les conditions de travail. Ils sont validés par les salariés en place et proposés, dans un second temps, aux candidats à l'emploi.

Ainsi, pour Accor, tous les faits et gestes des réceptionnistes et des serveurs sont décomposés. L'un des exercices porte, par exemple, sur la reconstitution d'une salle de restaurant, à l'aide de LegoÆ, prévoyant les accès pour handicapés, les zones fumeurs et non-fumeurs, la disposition de la cuisine par rapport à la salle. Un autre test consiste à placer le futur candidat à l'emploi en véritable situation de travail : tout au long de l'exercice, il sera interpellé par une série de clients, il devra préparer une commande, réaliser un inventaire...

Ailleurs, chez PSA Peugeot Citroën, à Sochaux, qui a recruté 50 agents de fabrication en CDD, en 2003, le but d'une des simulations était de réussir à assembler un camion, en équipe de quatre, à partir de pièces de LegoÆ, et à l'aide d'un schéma de montage et d'outils. Le tout, en vingt-huit minutes. Les candidats ont également effectué des montages en aveugle, afin de tester leur habileté tactile. « Sur une chaîne de montage, explique Catherine Lazareth, responsable du secteur automobile, transport-logistique à l'ANPE de Montbéliard, un ouvrier ne peut pas toujours visualiser l'ensemble de la carrosserie. Il doit alors avoir une bonne vision de l'espace pour vérifier la qualité ou la dimension de la pièce. » Dans le bâtiment, la priorité des priorités sera de pouvoir visualiser l'espace. Les exercices porteront, alors, sur la prise des mesures, le calcul des volumes et des surfaces.

Une lourde infrastructure

L'objectif étant, à chaque fois, de comprendre comment les candidats abordent des situations professionnelles, surmontent des difficultés et révèlent leurs aptitudes (sens de l'organisation, capacité à prendre des décisions, à travailler en équipe...). La méthode exige, toutefois, une lourde infrastructure. Il a fallu trois mois à l'équipe de Georges Lemoine pour bâtir les tests de Capa. Chez Accor, les correspondants emploi de l'entreprise ont travaillé pendant un an avec l'Agence.

Le résultat est, pourtant, étonnant : selon l'ANPE, parmi les candidats recrutés, deux tiers des personnes viennent d'un métier différent, et la moitié d'un autre secteur professionnel ; 20 % étaient des demandeurs d'emploi de très longue durée (plus de 24 mois de chômage). Chez Accor, par exemple, les diplômes des 12 candidats retenus s'échelonnent du niveau 5 (CAP, BEP) au niveau bac +2.

A Sochaux, 60 % des recrues sont des femmes. « Le bassin d'emploi connaît surtout un chômage féminin. Or, la plupart des postes requéraient des compétences techniques plutôt masculines », indique Laurent Thibaud, responsable du recrutement de PSA Sochaux. Deux cents autres personnes seront recrutées en CDD via cette méthode, cette année.

Embauche des plus de 50 ans

Georges Lemoine ne compte pas s'arrêter là. Car, si la méthode est l'une des solutions pour résoudre les pénuries de main-d'oeuvre, elle pourrait également servir à l'embauche des plus de 50 ans. Un projet est actuellement en cours, en Californie et dans le Wyoming, pour permettre à Wal-Mart, une enseigne de distribution américaine, de recruter des seniors à des postes de chef de rayon. Georges Lemoine compte bien, ensuite, transposer cette méthode chez Leroy-Merlin, en France. Ce dispositif a également été utilisé pour favoriser des plans de mobilité interne. En 1999, les salariés employés chez Tam-Tam (l'ancêtre du texto), une filiale de Cegetel, n'ont pas été licenciés. Ils ont tous réussi à se reclasser à l'intérieur du groupe grâce aux simulations.

Une démarche encore gratuite

Toutefois, l'ANPE pourrait, de son côté, passer à la vitesse supérieure. La démarche, jusqu'ici gratuite pour les entreprises, pourrait devenir payante. C'est, en effet, l'un des souhaits de l'Agence, qui cherche à diversifier ses ressources financières. Ce projet pourrait, d'ailleurs, figurer dans le quatrième contrat de progrès 2004-2008, actuellement en cours de négociation ; 7 000 placements de ce type ont été effectués l'an passé par l'ANPE, pour un coût unitaire de 400 euros. Ce type d'activité pourrait lui rapporter de 10 à 20 millions d'euros. Une aubaine.

Pour aller plus loin : Recruter autrement, de Georges Lemoine, éditions L'Harmattan, 242 pages, 19,80 euros.

L'essentiel

1 La méthode de recrutement par simulation développée par l'ANPE est fondée sur des exercices reproduisant les gestes à accomplir dans une situation professionnelle donnée. Airbus, les Chantiers navals de l'Atlantique, PSA, ou encore Auchan... l'ont utilisée.

2 Le dispositif comporte quatre étapes : observation des postes de travail, élaboration d'une série de tests, validation auprès des salariés en place et test auprès des candidats.

3 Le quatrième contrat de progrès 2004-2008 de l'ANPE, actuellement en négociation, pourrait prévoir de facturer cette prestation jusqu'ici gratuite pour les entreprises.

Les profils des candidats

- 59 % sont des femmes recrutées sur des postes dits plutôt masculins.

- 49 % sont des jeunes âgés de moins de 26 ans, avec peu d'expérience professionnelle.

- 38 % sont issus d'une autre catégorie professionnelle que celle du poste proposé (mobilité professionnelle).

- 20 % sont des demandeurs d'emploi de très longue durée (plus de vingt-quatre mois de chômage).

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