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La gestion des compétences profite surtout aux entreprises

SANS | publié le : 13.01.2004 |

La gestion des compétences permet aux entreprises de réclamer davantage de polyvalence et de prise de responsabilités aux salariés. Ceux-ci en tirent peu profit en termes d'évolution de carrière, sauf si leurs compétences sont recherchées.

E & C : L'enjeu de la gestion des compétences est de stimuler l'engagement personnel du salarié au service de la performance collective. Les entreprises arrivent-elles à tenir cet équilibre et comment ?

Sylvie Monchatre : Avec la gestion des compétences, les entreprises cherchent à stimuler la mobilisation collective en introduisant une grande souplesse dans la définition du travail. Elles recomposent leurs emplois par agrégation des anciens postes de travail et demandent à leurs salariés d'être polyvalents entre ces anciens postes et de prendre davantage d'initiatives et de responsabilités. Certains ont cru voir dans cet aménagement la possibilité, pour les salariés, de se réapproprier leur travail, de contrôler le contenu de leur activité. On a même parlé de l'avènement d'un nouveau modèle qui porterait en germe une réconciliation du travail et du travailleur ! Or, il ne faut pas perdre de vue que sous la compétence, on trouve, avant tout, une vieille utopie patronale d'association des salariés à l'entreprise. Elle refait surface régulièrement, en particulier quand il n'est plus possible de faire réaliser le travail par des machines ou de la routine.

E & C : A qui profite la gestion des compétences ? A l'entreprise ou aux salariés ?

S. M. : Elle profite sans aucun doute aux entreprises, qui optimisent largement l'utilisation qu'elles font de leurs salariés. On peut même dire, avec Jean-Daniel Reynaud, sociologue du travail, qu'elles le font dans le cadre d'un nouvel échange salarial dont les termes seraient "performance contre employabilité". Ce type d'échange profiterait aux salariés, collectivement, si leur emploi et leur progression de carrière étaient effectivement garantis par la performance de leur établissement, ce qui est loin d'être le cas. A un niveau individuel, les salariés bénéficient très inégalement de ce dispositif. Pour eux, la compétence se traduit par davantage de polyvalence, donc par une in- tensification du travail, et pour des contreparties en termes de salaire et de carrière qui sont relativement limitées. Les plus jeunes et les plus diplômés sont ceux qui ont le plus de chances d'en tirer profit, car on leur reconnaîtra le plus facilement un potentiel évolutif. En revanche, ceux qui sont en deuxième partie de carrière seront moins facilement désignés comme compétents, sauf si l'entreprise estime qu'ils ont acquis une compétence rare et précieuse.

E & C : A quelles conditions peut-elle servir la carrière des salariés ?

S. M. : La démarche compétence peut servir la carrière des salariés si elle leur ouvre des opportunités réelles d'évolution, avec une reconnaissance effective des apprentissages et des compétences acquises. Mais cela coûte cher et les enveloppes d'augmentation et de promotion ne sont pas élastiques... Une bonne conjoncture peut aussi aider, car lorsque le marché du travail est actif, les opportunités d'évolution peuvent stimuler les apprentissages et les évolutions. Dans le cas inverse, l'entreprise ne payant que ce qu'elle utilise, beaucoup de compétences individuelles restent invisibles ou sont rendues invisibles. Par exemple, à partir du moment où la polyvalence est incluse dans la définition des emplois d'exécution, elle n'est plus payée comme une compétence distinctive, elle fait partie de la tenue normale des emplois.

E & C : Comment voyez-vous l'avenir de cette démarche dans les entreprises ? La VAE les libère-t-elle de l'obligation d'organiser des promotions internes en favorisant la mobilité ?

S. M. : La promotion est surtout un moyen de fidéliser. La question est donc plutôt de savoir si les entreprises ont besoin de fidéliser leur personnel. Elles risquent effectivement de devoir le fidéliser davantage avec les départs massifs en retraite qui s'annoncent et les opportunités de mobilité qui vont s'ouvrir par voie de conséquence. Est-ce que cela se traduira par la mise en place de filières de promotions internes avantageuses ? Rien n'est moins sûr. On observe plutôt que les entreprises s'emploient à dilater leurs grilles de classement pour offrir des possibilités de progression "sur place" et récompenser la prise de responsabilité dans l'emploi occupé. Cela débouche sur des compétences validées par la hiérarchie et sur des carrières courtes, et la VAE n'est, ici, d'aucune utilité.

Ou alors, les entreprises - ou les branches - peuvent encourager les salariés à faire valider leurs acquis à la suite de changements dans l'organisation du travail ou pour alimenter des emplois qui leur posent des difficultés de recrutement. Dans ce cas, le recours à la VAE à l'initiative de l'entreprise serait plutôt le signe d'une prise en charge accrue de l'évolution de carrière des salariés.

Dans la mesure où la certification rend les salariés a priori moins captifs et plus mobiles, la VAE va certainement être consommée avec modération par les entreprises.

SES LECTURES

n Retour sur la condition ouvrière, Stéphane Beaud, Michel Pialoux, Fayard, 1999.

Le nouvel esprit du capitalisme, Luc Boltanski, Eve Chiapello, Gallimard, 1999.

Propriété privée, propriété sociale, propriété de soi, Robert Castel, Claudine Haroche, Fayard, 2001.

PARCOURS

- Docteur en sociologie, Sylvie Monchatre a commencé sa carrière dans le conseil en management et organisation, avant d'intégrer le Céreq (Centre d'études et de recherches sur les qualifications), où elle est chargée d'études. Elle est l'auteure d'articles sur les carrières et la compétence et a codirigé, avec A. Dupray et C. Guitton, Réfléchir la compétence. Approches sociologiques, juridiques, économiques d'une pratique gestionnaire (éd. Octarès, 2003).

- Elle a été rapporteure de l'atelier "mobilités professionnelles", dirigé par Jean-François Germe pour le Commissariat général du Plan et paru, en 2003, à la Documentation française sous le titre Les mobilités professionnelles : de l'instabilité dans l'emploi à la gestion des trajectoires.