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Un licenciement économique ne doit pas être de "profitabilité

SANS | publié le : 06.01.2004 |

Pour Me Brun, qui défend des salariés licenciés et a obtenu l'annulation de plusieurs plans sociaux importants, les recours devraient porter de plus en plus sur le caractère économique des licenciements. Qui ne doivent pas être de "profitabilité".

E & C : Recours contre le plan social de Lu, annulation des plans d'Euridep, de Wolber, de Yoplait, de TAT Express... Les recours juridiques contre les plans de sauvegarde de l'emploi (PSE) sont-ils en train de se multiplier ?

Philippe Brun : Il y a eu une accélération des plans sociaux, qui ne sont plus de modernisation, comme dans les années 1980, mais de profitabilité. C'est en partie pourquoi il y a plus de contentieux, de dossiers, de procédures. Mais ce n'est pas un raz-de-marée. Les gens prennent simplement conscience qu'il existe des droits à utiliser.

En 1986, la fin du contrôle administratif des licenciements avait déjà suscité de nombreux contentieux. La loi Aubry de 1993, qui ne représente que quelques lignes dans le Code du travail, est aussi à l'origine de nombreux recours des salariés. Et nous n'avons pas exploité toutes ses potentialités.

E & C : Que voulez-vous dire ?

P. B. : Cette loi permet d'obtenir l'annulation d'un plan social si le dispositif proposé est insuffisant, si la procédure d'information et de consultation des représentants du personnel n'est pas conforme, ou si les licenciements n'ont pas une cause économique. Depuis, les jurisprudences ont déjà bien précisé les deux premiers motifs.

Dès juillet 1993, j'ai eu à traiter les effets de la restructuration de Moët, en Champagne. Le 24 novembre, la cour d'appel de Reims annulait, pour la première fois, une procédure de licenciement économique au motif que le plan social était insuffisant, et mettait en avant le principe de proportionnalité, les moyens déployés devant être à la mesure de la richesse de l'entreprise. LVMH avait réintégré 250 personnes. Avec l'arrêt Samaritaine du 13 février 1997, la Cour de cassation indiquait qu'il était possible, en cas d'annulation d'un plan social, de demander la réintégration des salariés.

Concernant la procédure de consultation et d'information, la jurisprudence a progressé en janvier dernier, avec un arrêt de la Cour de cassation, qui annulait les licenciements engagés en 1996 chez Euridep, filiale de Total, pour violation de la procédure de consultation et d'information des salariés. En l'occurrence, la direction avait fixé seule l'ordre du jour du CE, alors que l'élaboration doit être conjointe.

E & C : Et sur la dernière cause de nullité évoquée par la loi, l'appréciation du caractère économique des licenciements ?...

P. B. : Cet enjeu est au coeur de l'affaire Michelin/Wolber. Le 7 octobre dernier, la cour d'appel d'Amiens a annulé le plan social, pour insuffisance des mesures, en vertu du principe de proportionnalité des moyens, mais a refusé de se prononcer sur le caractère économique des licenciements. Alors que la réintégration est de droit, le tribunal l'a jugée matériellement impossible, l'entreprise ayant fermé. La situation est inédite, où des salariés ont juridiquement raison, mais matériellement tort ! Nous nous sommes pourvus en cassation.

Mais, au-delà de cette affaire, l'enjeu est celui des licenciements de profitabilité. Le cas de Wolber est symbolique : Michelin avait annoncé qu'il voulait améliorer sa profitabilité en Europe, au prix de 7 500 emplois, dont les 400 premiers chez Wolber. La Cour de cassation a déjà précisé, avec l'arrêt Miko, en 1999, que la suppression d'emplois dans le but d'améliorer la rentabilité de l'entreprise, et non pour sauvegarder sa compétitivité, ne constitue pas un motif économique de licenciement.

E & C : Dans les négociations interprofessionnelles sur les restructurations, qui pourraient orienter la future loi sur les licenciements, en 2004, le Medef considère que l'« amélioration de la compétitivité » suffirait à définir le motif économique. Qu'en pensez-vous ?

P. B. : Ce que propose le Medef ? Notamment, une procédure réglée en quinze jours avec la réduction de la durée de saisine des tribunaux, une suppression des causes de nullité et une indemnisation maximale égale à six mois de salaire, alors qu'elle est de six mois au minimum aujourd'hui. Je pense que cela ne rendra pas service à l'ensemble des entreprises. Faciliter les licenciements - et les délocalisations - fera baisser l'emploi. Il faudra augmenter les cotisations sociales et pénaliser ainsi ceux qui travaillent. Un bon droit du licenciement consisterait, au contraire, à faire en sorte que l'obligation de plan social avec des reclassements vaille pour tout licenciement, alors que 90 % d'entre eux y échappent. Il faudrait aussi rendre les licenciements plus chers : des indemnités de 12 à 18 mois de salaire, alors que le marché de l'emploi s'est dégradé. Et confirmer que le tribunal est compétent pour juger des causes économiques des licenciements.

L'enjeu est tout simplement politique : il faut pouvoir dire halte au dumping social et aux délocalisations. Or, les juges se retrouvent seuls face à des dossiers très sensibles, liés à l'intérêt général bien au-delà de celui de quelques salariés. Et, sur ces dossiers, je ne vois jamais le parquet, pas de réquisition du ministère public. Il y a un abandon de la puissance publique.

SES LECTURES

- L'insécurité sociale, Robert Castel. Coll. La République des idées, éditions du Seuil.

- L'immigration, une chance pour la France, Bernard Stasi, édtions Robert Laffont, 1984.

- Un voyage à Marienbad, Fabrice Defferard, éditions de l'Officine, nov. 2003.

PARCOURS

Philippe Brun donne actuellement du fil à retordre à quelques grandes sociétés dont il défend les intérêts des salariés licenciés : Lu, Wolber (Michelin), Euridep (Total), Alcatel Optronics.

Enseignant chercheur à l'université de Reims Champagne-Ardenne depuis 1983, il est titulaire d'un DEA de droit du travail (Paris-1) et avocat à la Cour d'appel de Reims depuis 1993.