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Promouvoir la parité dans la haute fonction publique

SANS | publié le : 23.12.2003 |

Les femmes sont encore très minoritaires dans la haute fonction publique. Le Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques propose une série d'actions positives pour promouvoir la parité.

E & C : Le Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques a remis son rapport au ministre de la Fonction publique en 2003. Quelle est la situation des femmes dans la fonction publique de l'Etat ?

Françoise Milewski : En 2001, il y avait 49 % de femmes dans la fonction publique d'Etat, mais seulement 12,5 % dans les emplois supérieurs. En 2000, il y en avait 12 %. En outre, au sein même de ces emplois supérieurs, on constate des inégalités : les femmes occupent plutôt des postes moins rémunérés et considérés comme moins prestigieux. On les trouve plus, ainsi, dans des fonctions dites féminines (par exemple, directrice des affaires sociales), tandis qu'on ne compte que 9 préfètes sur 117 postes et 18 ambassadrices sur 179 postes. La situation est donc très inégalitaire et les progrès sont extrêmement lents malgré des volontés affichées de promouvoir la parité dans la fonction publique.

E & C : Comment expliquez-vous cette situation ?

F. M. : Ces discriminations ne tiennent pas uniquement à la fonction publique : il y a des discriminations générales dans la société. Elles se fondent sur l'école, sur la famille, et les stéréotypes de sexe influencent le comportement des femmes elles-mêmes dans les représentations qu'elles ont de leur rôle. Un certain nombre d'entre elles finissent par intérioriser les contraintes - il est évidemment très difficile de mener tout de front, d'articuler vie professionnelle et vie privée - avec parfois des tendances à l'auto-éviction. Mais, par ailleurs, il y a des discriminations spécifiques à la fonction publique. Celle-ci produit et reproduit des inégalités dans les chemins d'accès aux emplois supérieurs et dans les déroulements de carrière.

E & C : Quelles sont ces discriminations spécifiques à la fonction publique ?

F. M. : Les concours d'accès à la haute fonction publique renforcent les inégalités, car ils puisent dans des viviers de sélection très peu féminisés. C'est notamment le cas pour l'Ecole polytechnique : 19,5 % des candidats sont des filles alors que les mentions B et TB du bac scientifique sont à parité. On constate des tendances similaires au concours externe de l'Ena, même si les pourcentages sont sensiblement supérieurs. Comme pour l'Ecole polytechnique, la filière d'accès est presque paritaire (43 % des diplômés de Sciences po sont des femmes), mais les femmes ne représentent que 34 % des présents aux épreuves d'entrée à l'Ena, et 26 % sont admises.

Dans les déroulements de carrière, les critères d'ancienneté, d'avancement, de mobilité, etc. sont souvent, en pratique, défavorables aux femmes. L'obligation de mobilité géographique propre à la fonction publique est particulièrement pénalisante. Sans remettre en cause ce principe, il serait nécessaire de réfléchir à des aménagements de cette mobilité (par exemple, un cadre géographique plus restreint). L'ancienneté joue également contre les femmes. Elles ont souvent pris du retard dans leur carrière autour de l'âge où elles ont des enfants, et n'ont donc pas l'ancienneté requise dans un poste pour se présenter aux concours ou, quand elles l'ont, elles ont dépassé la limite d'âge imposée par le concours. Enfin, les critères informels de promotion conduisent à une grande inertie. Les décideurs nomment dans leur entourage : or, celui-ci est majoritairement constitué d'hommes, ce qui reproduit à l'identique les réseaux existants (anciens de la même école, même corps, etc.).

E & C : Quelles sont vos propositions pour réduire ces inégalités ?

F. M. : Si l'on attend simplement qu'il y ait une évolution des mentalités, que les effets démographiques jouent, l'horizon de l'égalité professionnelle est tellement lointain qu'il n'est pas visible. Par ailleurs, dans ce domaine, même les progrès réalisés peuvent être très facilement réversibles : on le voit avec la loi sur la parité en politique. Nous insistons, donc, sur la nécessité d'une politique publique active. C'est ce que nous appelons la logique paritaire, concrétisée par des actions positives. Il faut, en effet, corriger les inégalités par une démarche volontariste et par une certaine forme de contrainte. La fonction publique doit se donner des objectifs concrets, chiffrés, suivis et évalués annuellement.

Nous formulons seize propositions, réparties en cinq grands chapitres : constater les inégalités (cela suppose de produire des tableaux de bord statistiques au-delà de ceux publiés) ; développer une stratégie globale de mise en oeuvre de la logique paritaire ; stimuler la prise en compte de la logique paritaire dans l'action administrative ; suivre l'application des mesures et évaluer leur efficacité ; intéresser l'ensemble des services publics à la mise en oeuvre de cette logique paritaire. Parmi elles, l'affichage, par le gouvernement, de "quotas" de nomination de femmes, sur une période déterminée, pour les emplois supérieurs laissés à sa décision. La proportion minimale d'un tiers, au moins, de personnes de l'un ou l'autre sexe (à l'instar du décret sur les jurys de concours) devrait être retenue comme référence. Ou encore, la publication d'une circulaire du ministre chargé de la Fonction publique relative à l'organisation du travail, prévoyant, notamment, la fixation à 18 heures de l'heure limite de tenue des réunions de travail, en liaison avec un réaménagement du fonctionnement des services. Il faut cesser de penser que le présentéisme et les décisions dans l'urgence sont des critères d'efficacité. Il s'agit de mettre en oeuvre une autre organisation du travail, pour les femmes comme pour les hommes, car aménager seulement les horaires des femmes finit par les défavoriser.

De façon générale, il est souhaitable que la préoccupation d'égalité traverse toutes les politiques publiques afin de favoriser l'insertion des femmes sur le marché du travail et d'impulser également des progrès dans le secteur privé.

SES LECTURES

Femmes dans les lieux de décision, Michèle Cotta, rapport remis au Conseil économique et social, éditions du Journal officiel, brochure n° 18, du 28/12/2000.

Travail et emploi des femmes, Margaret Maruani, La Découverte, coll. Repères, 2003.

Egalité entre femmes et hommes : aspects économiques, Rapport du Conseil d'analyse économique, n° 16, La Documentation française, 1999.

PARCOURS

Economiste, Françoise Milewski est rapporteure du Comité de pilotage pour l'égal accès des femmes et des hommes aux emplois supérieurs des fonctions publiques, créé en novembre 2000. Elle est coauteure, avec Anicet Le Pors, des deux rapports de ce Comité, dont le dernier, "Promouvoir la logique paritaire", a été publié à La Documentation française en 2003.

- Elle est, par ailleurs, rédactrice en chef des publications de l'Observatoire français des conjonctures économiques et maître de conférences à l'Institut d'études politiques de Paris.