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Les déficients auditifs ont du mal à s'insérer

SANS | publié le : 23.12.2003 |

Pour les personnes atteintes de surdité ou de déficience auditive, l'insertion professionnelle ressemble souvent à un parcours d'obstacles. Rares sont les entreprises qui ont mené une réflexion sur l'intégration de ces travailleurs handicapés.

Devinette : quelle est la question cruciale pour le devenir du pays qui, à la mi-novembre, a alimenté le débat public ? Réponse : la capacité auditive de Jacques Chirac. A 71 ans, le président de la République serait, en effet, discrètement appareillé. Evidemment anecdotique, l'affaire du Sonotone de Jacques Chirac illustre, en tout cas, le malaise qui entoure la surdité, handicap mal connu que l'inconscient collectif assimile encore, parfois, à la déficience mentale. « Nous n'arrivons pas à nous dépêtrer de cette image sociale du sourdingue », confirme Jérôme Goust, ancien journaliste et écrivain, sourd à 90 %, qui a fondé l'Ouïe SARL, une société basée à Albi (81), qui oeuvre pour la reconnaissance de la malentendance. Sujette à raillerie, la surdité est un handicap caché. Le milieu professionnel n'échappe pas à cette règle. « Pendant longtemps, j'ai masqué ma malentendance au bureau », admet Bernard Prem, un salarié d'IBM. Une entreprise pourtant pionnière en matière d'insertion des travailleurs handicapés (un accord dès 1988) et d'accompagnement des malentendants.

« Pour les salariés déficients auditifs, le pas de la reconnaissance est dur à franchir. Nous les encourageons à se faire connaître, de sorte que nous puissions mettre tous les moyens à leur disposition pour favoriser leur intégration », indique Jean-Jacques Quinery, responsable de la mission insertion chez IBM France. Pas étonnant, dans ces conditions, qu'au niveau national, il n'existe aucun chiffre fiable sur ces salariés. Selon certaines estimations, 4,5 à 6 millions de personnes souffriraient de problèmes auditifs en France, dont environ 40 % ont moins de 50 ans. Résultat : « On peut estimer qu'entre 2 millions et 2,5 millions de personnes sont en situation de travailler », soulève Jérôme Goust.

Frein à l'embauche

Pour tous ceux-là, inutile de préciser que la recherche d'emploi s'est transformée en chemin de croix. Premier frein à l'embauche : les difficultés de communication. « J'ai vécu avec la hantise du téléphone », évoquait dernièrement Gilles Quagliaro, un ingénieur de chez Thales, au colloque "Malentendance et vie professionnelle", organisé le 12 novembre dernier à l'initiative de l'Ouïe SARL. L'entreprise est un univers hostile pour le malentendant. Les outils de communication y sont, en effet, omniprésents, sans compter l'importance que revêtent, en milieu de travail, les relations interpersonnelles.

« Avec la maladie mentale, la surdité est, à mon sens, le handicap le plus délicat à gérer pour un employeur », affirme Jean-Jacques Quinery. D'autant plus que la gestion de ce handicap diffère selon les typologies de déficience auditive. « On n'aborde pas de la même façon la question de l'insertion selon que l'on a à faire à une personne sourde de naissance maîtrisant la langue des signes, ou à une autre qui pratique le langage parlé complété (LPC), ou encore, à une personne qui est oralisée et qui lit sur les lèvres », observe Caroline Millous, responsable de l'action sociale chez Air France.

Progrès techniques

Du côté des matériels de compensation, le sourd n'est pas, non plus, très bien loti, et ce, malgré des progrès techniques évidents. « La machine à entendre n'a pas encore été inventée, lance Geneviève Joly, directrice adjointe à la direction des méthodes de l'Agefiph. Fort heureusement, les nouvelles technologies, et notamment le courrier électronique, ont sensiblement amélioré leur confort de travail. » « Internet a sauvé ma vie professionnelle », reconnaît Gilles Quagliaro. Mais les NTIC sont d'une aide limitée pour les sourds profonds. « Cette population est doublement pénalisée car elle maîtrise très mal la langue française », explique Geneviève Joly.

Autre difficulté, concernant, cette fois, les DRH ou les responsables de mission insertion : convaincre des managers pusillanimes peu enclins à accueillir ces personnels. « Les managers qui n'ont pas eu l'habitude de côtoyer des personnes handicapées au cours de leur vie ont parfois des préjugés face à l'embauche. Notre travail consiste justement à leur démontrer qu'à compétences égales, le salarié handicapé apporte quelque chose en plus. Mais, reconnaissons-le, nous sommes parfois contraints de faire de la discrimination positive », affirme Jean-Jacques Quinery, d'IBM France.

Procédures d'accueil

Les entreprises les plus en avance sur l'intégration des malentendants ont mis au point des procédures d'accueil. « Au moment de son embauche, relate Roselyne Duchesne-Levesque, en charge du recrutement des personnes handicapées au sein de la DRH du groupe Thales, nous procédons avec la personne à une check list des problèmes à traiter. Il est, par exemple, évident que ces personnes ne peuvent pas travailler dans des open spaces. »

Chez Air France, dès qu'une personne malentendante est recrutée, un organisme spécialisé intervient en milieu de travail afin de parfaire l'intégration. « Les collègues apprennent alors quelques astuces pour mieux communiquer avec elle », explique Caroline Millous. IBM, de son côté, forme à la langue des signes les managers qui lui en font la demande. L'enjeu de ces démarches ? Le maintien dans l'emploi de ces salariés. « Dans une étude réalisée en 1995 sur la prime à l'embauche, nous nous sommes aperçus que, parmi les handicapés, les sourds étaient ceux qui restaient le plus longtemps dans leur emploi, notamment parce qu'ils ont peu de problèmes de santé », souligne Geneviève Joly. Reste que, dans certaines entreprises, ces salariés sont les premiers à partir lors des restructurations et des plans de départs en retraite anticipée.

A lire : Le Guide des aides techniques pour les malentendants et les sourds, Jérôme Goust, Collection Néret, 2003 (2e édition).

L'essentiel

1 Méconnue, la surdité est aussi un handicap caché dans l'entreprise. D'où la difficulté pour les employeurs de mettre en place des dispositifs d'insertion.

2 Au niveau national, il n'existe aucun chiffre officiel sur le nombre de salariés déficients auditifs. Certaines estimations évoquent la fourchette de 2 à 2,5 millions de personnes.

3 Malgré les freins à l'insertion de ces travailleurs handicapés, certaines entreprises ont déployé des politiques d'intégration.

La SNCF traque les risques auditifs

Près de 4 000 salariés étudiés, une vingtaine de catégories d'emploi passées au crible... La SNCF a achevé, au printemps dernier, un gigantesque dépistage interne du risque auditif.

- Les résultats de cette étude, pilotée par Christian Touron, le médecin principal, ont tout d'abord permis à l'entreprise publique de classer ses métiers en fonction du risque d'atteintes audiométriques consécutives à des expositions supérieures à 85 dB (niveau d'exposition ramenée à 8 heures par jour de travail, au-delà duquel on ne doit pas exposer le salarié). Des priorités en matière de prévention du risque bruit ont pu être dégagées, tandis qu'une analyse des conditions de travail des sujets les plus exposés a été lancée.

- Parallèlement, des actions ont été engagées afin de réduire à la source les nuisances sonores. Lesquelles concerneraient, en France, plus de 3 millions de salariés.

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