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La prospective peut réconcilier le long terme et la GRH

SANS | publié le : 16.12.2003 |

La méthode prospective, qui concerne surtout la macroéconomie, peut très bien s'appliquer à l'entreprise et, en particulier, à la GRH. Elle est, aujourd'hui, mieux adaptée que la gestion prévisionnelle des compétences qui reposait sur un contrat social rendu caduc par la mondialisation.

E & C : Depuis dix ans, vous vous efforcez de remettre la prospective dans le champ de la gestion des ressources humaines. La gestion prévisionnelle des emplois ne joue-t-elle pas le même rôle ?

Luc Boyer : On confond souvent prospective et prévision, alors que ces notions ont une différence de nature. La gestion prévisionnelle relève du temps finalisé, scientifique. C'est la tendance à un an, deux ans, l'annonce d'un état futur fondé sur l'observation du passé. Cette tendance annonce un changement de degré dans les phénomènes. Par exemple, je vais vendre plus de voitures ; j'aurai besoin de moins de techniciens. Il n'indique pas un changement de nature. Au-delà, on bute sur une espèce de mur où les phénomènes vont, en partie, changer de nature. C'est la limite de la prévisibilité et on entre dans le domaine de la prospective. Pour reprendre l'exemple des techniciens : l'entreprise n'envisage plus un changement de leur nombre ou même de leurs compétences, mais carrément de leur définition de fonction. On entre dans ce qu'on peut appeler le temps vrai, c'est-à-dire un temps créatif qui génère les événements. On va explorer dans la prospective le champ des possibles pour essayer de voir ce qui peut apparaître comme probable. La prospective procède de la nécessité, de la volonté des acteurs et du hasard.

E & C : Qu'est-ce qu'apporte la prospective que n'apporte pas la GPEC ?

L. B. : La GPEC a fait fureur à un moment où l'on cherchait à solidifier la socialisation des entreprises, l'accord social, la sécurité des employés au travers d'une sorte d'accord entre l'entreprise et les salariés sur leur devenir professionnel individuel qui se faisait, naturellement, à l'intérieur de l'entreprise, pour peu que ceux-ci acceptent de remettre en cause une partie de leurs compétences et se mobilisent autour du métier de l'entreprise. Ce que les sociétés n'ont pas vu arriver, c'est que leur maîtrise de l'avenir s'effondrait sous les coups de butoir de la mondialisation. Quel avenir peut-on, dans ces conditions, garantir aux salariés ? La GPEC perd, donc, de son efficacité et de sa légitimité. L'individu est appelé à prendre en charge - aidé parfois par des lois ou des accords - son évolution à moyen et long termes. La prospective offre une méthode pour que l'entreprise, mais surtout l'individu, puissent anticiper, au moins en partie, l'évolution nécessaire des compétences.

E & C : Quelles sont les caractéristiques de la méthode prospective et comment l'appliquez-vous à la GRH ?

L. B. : Dans la prospective, on s'intéresse aux signaux faibles. Il s'agit de former une grille de lecture des signaux annonciateurs de changement. Ce peut être, entre autres, des évolutions culturelles ou technologiques. Par exemple, les nouvelles technologies de l'information et de la communication (NTIC) sont en train de modifier profondément les métiers. Il est probable que les caissières auront disparu dans une dizaine d'années au profit de conseillères aux consommateurs, le client payant à une machine, comme c'est déjà le cas dans les parkings. Les NTIC vont aussi modifier le travail du facteur : dans dix ans, il fera sa tournée avec un terminal portatif pour immédiatement identifier l'adresse du destinataire (la boîte aux lettres sera informatisée) et informera en temps réel son client - l'entreprise expéditrice - de la distribution ou non du courrier. Mais ce courrier "physique" aura-t-il toujours le même volume ? Pour l'instant, le courrier électronique ne l'a pas fait régresser. Mais la législation, qui, pendant un temps, ne reconnaissait pas le courrier virtuel comme preuve, le reconnaît à présent. Voilà un signal faible qui conduit à se demander si le courrier physique ne diminuera pas fortement. On voit que, dès maintenant, on peut commencer à dresser une carte du profil de compétences de nombreux métiers, d'ici à dix ou quinze ans, et s'engager dans cette évolution, pour peu qu'on en ait la volonté politique et de négociation. La prospective permet alors d'anticiper, dans certains secteurs, une crise de l'emploi prévisible.

E & C : La prospective peut donc servir un objectif social que ne sert plus la GPEC ?

L. B. : Certains syndicalistes ont eu l'impression que la GPEC était un accord de dupes. A peine l'accord était-il signé qu'il était brûlé sur l'autel de la restructuration mondiale, de la concurrence. Il est vrai qu'en fin de compte, c'est le marché qui décidera des besoins en compétences, mais une régulation s'impose afin que les individus, par la maîtrise de compétences nouvellement acquises, conservent leur valeur et la dignité que leur procure le métier. C'est cela qui est important. En cela, la prospective s'oppose au concept d'urgence. Aujourd'hui, on considère que tout ce qui est urgent est important. C'est le contraire : ce qui est important, ce sont les quinze ans qui viennent. La prospective réconcilie le temps avec la gestion.

SES LECTURES

- Matière et mémoire, Henri Bergson, PUF, 1990.

- Manuel de prospective stratégique, Michel Godet, Dunod, 1997.

- Actes du forum Dauphine 2003, Compétences et temps en GRH, 2003 (pour se le procurer : <a.scouarnec@chbg.unicaen.fr#gt;#).

PARCOURS

Ingénieur, docteur d'Etat en gestion, Luc Boyer est directeur de recherche à l'université de Paris-Dauphine, professeur à l'IAE de Caen et membre du groupe Vision Paris-Caen, observatoire de prospective des métiers.

Il est, par ailleurs, expert international en organisation et RH. Il a été dirigeant de société, en particulier président de Hay Management.

Il est l'auteur de nombreux ouvrages parmi lesquels, avec Noël Equilbey, Organisation : théories et application (éditions d'Organisation, 2003), et GRH, nouvelles pratiques (EMS, 2003).