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QUI AURA DROIT À UN DÉPART ANTICIPÉ ?

SANS | publié le : 09.12.2003 |

En invitant les partenaires sociaux à s'entendre sur une définition de la pénibilité au travail pour ouvrir droit à une préretraite, le gouvernement leur promet de sérieuses migraines. Quelles souffrances prendre en compte ? Quels indicateurs utiliser ? Sans compter que ce sujet en cache un autre : celui de l'amélioration des conditions de travail.

Le principe est acquis. Les salariés qui occupent des métiers pénibles pourront bénéficier d'une préretraite, selon la loi portant sur la réforme des retraites. Quant à savoir ce qu'on entend par pénibilité... Le gouvernement a laissé aux partenaires sociaux le soin de la définition. Ils disposent de trois ans pour s'entendre et fixer un cadre avant de passer la main à leurs homologues de chaque branche. Selon les principaux intéressés, trois ans ne seront pas de trop. D'autant plus qu'ils ne se précipitent pas pour se mettre au travail.

Et pour cause. « si, dans le langage commun, la pénibilité fait référence à "ce qui fait souffrir", il n'existe pas, du point de vue scientifique, une définition claire et stabilisée », avance Marion Gilles, chargée de mission à l'Agence pour l'amélioration des conditions de travail (Anact). Il y a bien des dispositifs qui lient tâches pénibles et départs anticipés, mais ils ne sont pas forcément transposables à tous les secteurs d'activité. C'est, entre autres, le cas des accords Cats (Cessation anticipée d'activité de certains travailleurs salariés), ouverts aux salariés ayant travaillé durant quinze ans en équipe ou à la chaîne, ou 200 nuits et plus par an pendant quinze ans.

Idées reçues

Par ailleurs, les partenaires devront faire avec une idée reçue qui veut que le travail est désormais moins pénible physiquement, tertiarisation de l'économie oblige. Une conclusion mise à mal par la dernière enquête Conditions de travail , de la Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques (Dares), réalisée en 1998. Premier enseignement : le travail posté n'a pas diminué. Il concernait 34 % d'ouvriers en 1998, contre 28 % sept ans plus tôt. Par ailleurs, la part de salariés déclarant au moins trois types d'efforts (station debout, posture pénible ou fatigante, port de charges lourdes...) progresse (16 % en 1984, 38 % en 1998).

Le tertiaire touché

Deuxièmement : la pénibilité physique n'est pas réservée aux seuls salariés de l'industrie. Ainsi, 51 % des salariés du tertiaire signalent être soumis à des efforts physiques, contre 55 % dans l'industrie. De plus, 38,8 % des personnes des services répètent le même geste ou une série de gestes plus de vingt heures par semaine contre 56,8 % des personnels de l'industrie. Des taux loin d'être négligeables.

Et c'est sans compter « la souffrance mentale due à l'intensification du travail », notée comme la principale conséquence des nouvelles organisations du travail par Martine François et Daniel Liévin, chercheurs à l'Institut national de recherche et sécurité (INRS). Pour sa part, Francis Ginsbourger, de D. S. et O., cabinet-conseil en développement social et organisation, recense d'autres facteurs aggravants : « Il y a, tout d'abord, celui lié à la relation à autrui et à l'agressivité qui, parfois, l'accompagne ; la gestion par l'objectif, qui impose des normes de productivité et de performance et, enfin, l'organisation par projets, qui est tout le contraire de la répétition des tâches. » Pour certains, ces contraintes se résument en un mot : stress ; 40 millions d'actifs en souffrent en Europe, selon l'Agence européenne pour la santé au travail. Mais comment mesurer ce mal de façon objective ?

Identifier les indicateurs

Cela étant, il va bien falloir que les partenaires sociaux identifient les indicateurs capables de mesurer les pénibilités. L'espérance de vie des salariés est l'un de ceux souvent cités. On sait, ainsi, qu'après 60 ans, un cadre vivra 22,5 ans, contre 17 ans pour un ouvrier, et que le risque de décéder entre 35 ans et 65 ans est, chez ces derniers, doublé par rapport à celui des cadres. « Mais ces statistiques font référence à des conditions de travail d'il y a trente ou quarante ans », soulève Bernard Salengro, délégué national de la CFE-CGC et médecin du travail.

Maladies professionnelles

Et les maladies professionnelles ? « Le nombre de déclarations ne correspond pas à l'ampleur de la pathologie, signale Marion Gilles. Et que faire des pathologies différées comme le cancer ? » Par ailleurs, il faut plus de cinq ans pour qu'une maladie d'origine professionnelle soit reconnue par l'administration.

Serge Volkoff, directeur du Centre de recherche et d'études sur l'âge et les populations au travail (Créapt), en est convaincu : « Il faudrait construire un réseau d'indicateurs mêlant données épidémiologiques, avis d'inaptitude émis par les médecins du travail, décisions d'octroi de pensions d'invalidité, statistiques de maladies, d'arrêts de travail, de turn-over... » « Le tout, doublé d'une très bonne connaissance des métiers et des situations de travail de chacun, ajoute Daniel Liévin, pour prendre en compte les passages d'une branche à l'autre, d'une entreprise à l'autre et d'un poste à un autre. » « C'est la condition pour une approche équitable de la pénibilité et du départ anticipé à la retraite, mais ce sera un travail de fourmi », anticipe Jean-Paul Bouchet, secrétaire général adjoint de la CFDT-Cadres.

Volet préventif

Mais la question de la pénibilité ne s'arrête pas à la seule construction de ce "super" indicateur. « Il n'est pas imaginable que cette pénibilité soit abordée sous la seule logique de la réparation, signale Mijo Isabey, coordonnatrice du dossier retraite à la CGT. Il faut y intégrer un volet préventif, avec une responsabilisation des chefs d'entreprise aux conditions de travail. » Une position que partage Rémy Jouan, secrétaire national de la CFDT : « Il est absurde de dire aux salariés : continuez à vous user dans ce métier et vous partirez plus tôt ! » Pour autant, si Jean-Louis Deroussen, de la CFTC, est sur la même longueur d'onde, il ne cache pas son pessimisme : « L'accord sur la santé au travail, conclu en 2000, est loin d'être appliqué. Quant aux Observatoires régionaux de santé au travail (Orst), créés la même année, ils n'existent encore que sur le papier. » A Serge Volkoff de conclure : « S'il n'y a pas de volet préventif sur la question, autant mettre tout le monde à la retraite à 57 ans ! »

L'essentiel

1 La loi portant sur la réforme des retraites prévoit le départ anticipé des personnes exerçant des métiers pénibles.

2 Les partenaires sociaux disposent de moins de trois ans pour définir la pénibilité. Pour l'heure, aucune négociation n'est engagée.

3 Absentéisme, maladies professionnelles, espérance de vie... Aucun des indicateurs existants n'est satisfaisant pour mesurer la pénibilité au travail.

4 Pour beaucoup, la préretraite répondant à une logique curative ne doit pas être l'unique approche. Un volet préventif s'impose, avec une recherche de l'amélioration des conditions de travail.