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« L'entreprise doit développer la résilience chez ses salariés »

SANS | publié le : 02.12.2003 |

Appliqué à l'économie, le terme de "résilience" signifie la capacité d'absorber les crises et de rebondir. Confrontées aux aléas de la vie économique et au prochain choc démographique, les entreprises ont intérêt à développer cette résilience chez leurs salariés.

E & C : Dans votre récent ouvrage, vous appliquez la résilience au monde de l'économie. Pourquoi ?

Alain Richemond : La résilience est un terme emprunté à la physique pour exprimer l'élasticité des matériaux, élasticité qui leur permet de retrouver leur aspect initial après avoir absorbé un effort plus ou moins important. Boris Cyrulnik a popularisé ce terme en l'appliquant au domaine de la psychologie. Pour lui, la résilience est le ressort de personnes que l'on a condamnées a priori. Des enfants ont subi des traumas très importants, on considère qu'ils sont fichus et pourtant, ils développent une résilience : quelque chose se réveille en eux, une petite braise sur laquelle il suffit que quelqu'un souffle pour qu'ils surmontent le sort qui leur a été assigné et envisagent un avenir meilleur. J'ai trouvé intéressant d'étendre cette notion à l'économie parce qu'on est dans un système qui condamne. Quand une nouvelle technologie arrive, elle condamne la précédente. Quand on fait une restructuration et un plan social, on condamne les gens dans leur travail immédiat. Quand les économies se développent, certaines sont condamnées par les marchés financiers. On est, donc, dans une économie où il y a, en permanence, des vainqueurs et des vaincus. Ce qui va permettre aux individus, aux entreprises et aux nations de sortir de cette condamnation économique, c'est justement la résilience.

E & C : Ne pourrait-on pas parler plus simplement d'adaptation ?

A. R. : Il y a quelque chose en plus que l'adaptation, qui est de l'ordre du mental. L'alpiniste Catherine Destivelle dit que les alpinistes qui tombent dans les crevasses meurent plus souvent de peur que de leurs blessures : c'est la peur de ne pas s'en sortir.

Visualiser sa survie - ce qui est le principe de la résilience - permet de s'en sortir. Cela dépasse la seule volonté et tient au regard des autres sur nous-mêmes. On peut être porté par la reconnaissance de notre potentiel qu'on lit dans le regard des autres. C'est la même chose dans l'entreprise et la vie économique : de l'existence ou non de ce regard dépend que nous vivions une économie vivante ou cassante.

E & C : Vous préconisez que l'entreprise et ses managers portent ce regard sur les salariés ?

A. R. : Je vais plus loin : je dis que la résilience ne se décrète pas. On ne peut pas la susciter d'un coup de baguette magique. Dans la vie des entreprises, on a soufflé le chaud et le froid et l'on a blessé des gens au passage. Du coup, la motivation a disparu : voyez les sondages catastrophiques sur le degré de motivation des cadres au travail. Difficile, aussi, de remobiliser après des licenciements. Si la résilience ne se décrète pas, elle se construit à travers l'attention à un meilleur climat social et à une meilleure reconnaissance du potentiel des gens. Confrontées à de graves crises, ce sont ces entreprises-là qui s'en sortent. Visiblement, face à un traumatisme aussi important que la destruction de l'entreprise, il y en a qui animent collectivement cette résilience et d'autres pas.

Et il ne suffit pas qu'il y ait une bonne résilience au niveau individuel, il faut qu'elle soit mise au service du collectif. Le cas d'Arthur Andersen est frappant : en six mois, cette société de 84 000 personnes a disparu. Là, le collectif n'a pas fonctionné. Les salariés ont cherché une sortie par eux-mêmes. C'est le contraire qui s'est passé chez Cantor Fitzgerald, une société spécialisée sur le marché obligataire. Le 11 septembre, elle perdait les deux tiers de ses salariés. Le président a aussitôt annoncé qu'il paierait, à la fin de l'année, les millions de dollars de bonus qu'il devait aux familles de ses salariés décédés et il y est parvenu en mobilisant la poignée de cadres qui restaient et en développant le projet de cotation automatique d'une filiale. La mobilisation des salariés, jour et nuit, n'a pu se faire qu'à cause du style de management : une attention portée à chaque individu et à ses compétences. Ce tissu humain a pu résister à un drame qui, normalement, aurait dû condamner l'entreprise.

E & C : Les entreprises françaises savent-elles animer cette résilience ?

A. R. : Pour mobiliser collectivement les salariés, il faut passer par l'individu : cela implique un nouveau contrat de travail dans lequel on assure à chaque individu de la formation et l'entretien de ses compétences. Aujourd'hui, les entreprises sont au pied du mur. Si elles n'ont pas fait ce travail, elles vivront les aléas beaucoup plus difficilement, car les salariés seront plus rares sur le marché. Je crois, contrairement à Nicolas Baverez, qui évoque, dans son dernier livre, le déclin de la France, que la France a des atouts et un potentiel qu'il faut mobiliser. Ce n'est pas en entretenant le pessimisme qu'on réveillera la résilience des Français ni celle des entreprises.

SES LECTURES

Le murmure des fantômes, Boris Cyrulnik, Odile Jacob, 2003.

- Pourquoi j'irais travailler, E. Albert, F. Bournois, J. Duval-Hamel, J. Rojot, S. Roussillon, R. Sainsaulieu, Eyrolles, 2003.

- Le premier homme, Albert Camus, Gallimard, coll. Folio, 2000.

PARCOURS

Economiste et ancien journaliste, Alain Richemond a débuté sa carrière au Centre d'études prospectives et d'informations internationales (Cepii). Il a été directeur de Business International (titre du groupe The Economist) et du Forum de l'Expansion, et a fondé une agence de presse TV.

Il a dirigé les études économiques et la communication de la division conseil stratégique et opérationnel d'Arthur Andersen jusqu'en 2002. Il est, aujourd'hui, directeur général adjoint d'Alma Consulting Group.

Il vient de recevoir, pour son livre La résilience économique (éd. d'Organisation, 2003), le prix Synapsis Mutations et travail.