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« Les maladies professionnelles sont mal connues en France »

SANS | publié le : 25.11.2003 |

L'impact de certains cancers d'origine professionnelle est gravement sous-estimé en France. La solution passe par une meilleure information du corps médical et par un développement des systèmes de surveillance en entreprise.

E & C : Vous venez de mener une étude sur le nombre de cancers dus à des facteurs professionnels en France. Quelles en sont les conclusions ?

Ellen Imbernon : L'impact des expositions professionnelles sur l'apparition de certains cancers en France est très sous-estimé. Dans le cas des cancers du poumon, entre 15 % et 30 % seulement de ceux qui sont d'origine professionnelle sont reconnus comme tels. Tous les autres sont traités et pris en charge comme des maladies "normales", alors qu'ils devraient l'être par la branche AT/MP*. Le cancer qui semble le moins bien reconnu est celui de la vessie : on estime que plus de 500 cancers de ce type sont associés, chaque année, à des expositions professionnelles. Or, en 1999, seulement sept ont fait l'objet de réparations.

E & C : Pourquoi une telle sous- estimation ?

E. I. : Il y a, d'abord, une méconnaissance des origines professionnelles des pathologies de la part du corps médical. Quand vous allez voir un médecin, il vous demande rarement quelle est votre activité professionnelle, si vous êtes exposé à certains produits, dans quelles circonstances, etc. Je pense, aussi, que le système de réparation des maladies professionnelles, fondé sur le volontariat des déclarations, ne permet pas de bien appréhender le phénomène. Sur le plan administratif, ce système est assez lourd. Plus généralement, il y a un défaut d'information sur l'exposition de la population française aux maladies professionnelles. Au sujet de l'exposition des femmes, il y a tout à faire : on ne sait rien !

E & C : N'y a-t-il pas, aussi, un problème lié au délai d'apparition des cancers ?

E. I. : Seuls les médecins du travail sont capables de faire le lien entre l'état de santé d'une personne et son activité professionnelle. Or, la plupart des maladies cancéreuses surviennent quand les salariés sont à la retraite et ne sont donc plus suivis par la médecine du travail. D'où l'idée du législateur d'introduire un suivi médical post-professionnel. L'Institut de veille sanitaire et les centres d'examens de santé de la Sécurité sociale vont mener une expérience nationale dans ce sens, en 2004 : nous allons repérer les retraités pour les informer de leur droit à bénéficier de ce suivi.

E & C : La France est-elle en retard dans le domaine des maladies professionnelles ?

E. I. : Tout ce qui concerne les maladies d'origine professionnelle est mal connu en France. Il n'y a pas de tradition française dans ce domaine, ni dans la recherche médicale, ni dans la santé publique. Il y a aussi un problème de moyens : à l'Institut de veille sanitaire, nous ne sommes que 12 au département santé-travail, sur un total de 300 personnes. Le département des maladies infectieuses, par exemple, est beaucoup plus développé. De plus, en France, tout ce qui concerne la santé publique est géré par le ministère de la Santé, alors que ce qui concerne la santé au travail est géré par le ministère des Affaires sociales et se situe dans le champ de la gestion paritaire. C'est une affaire de négociations entre patronat et syndicats...

E & C : Que faire pour améliorer la situation ?

E. I. : Le système de réparation et les tableaux de maladies professionnelles sont vraisemblablement à repenser. Il est nécessaire de faire de l'information auprès du corps médical. Dans le cursus des études médicales, la formation sur les facteurs de risques professionnels doit être intégrée. Dans les entreprises, il faut développer les systèmes de surveillance, répertorier les expositions, les postes de travail et les personnes qui les ont utilisés. Il arrive souvent qu'on nous signale un nombre de cancers qui semble trop élevé dans telle ou telle entreprise. Il faudrait alors pouvoir retrouver tous les salariés qui l'ont fréquentée sur une longue période, pour vérifier s'il existe réellement un excès de cas, mais c'est très difficile à obtenir ! Pourtant, chaque année, les employeurs font à l'Urssaf la déclaration des données sociales. Ils pourraient conserver cette déclaration. Actuellement, ils ne sont pas tenus de le faire.

E & C : Quelles sont les maladies professionnelles qui se développent aujourd'hui ?

E. I. : Il y a une épidémie, actuellement, de troubles musculo-squelettiques**. Le nombre de cas reconnus augmente de façon exponentielle. Pourtant, on est vraisemblablement très en deçà de la réalité. C'est un phénomène mondial dû à la modification de l'organisation du travail ces vingt dernières années : le flux tendu, les cadences soutenues. On constate aussi un développement des problèmes de santé mentale, comme les troubles dépressifs, où la composante professionnelle est très importante et très méconnue.

* Accidents du travail/maladies professionnelles.

** Troubles associés à des gestes répétitifs.

SES LECTURES

Les cancers professionnels, Jean-Claude Pairon, Patrick Brochard, Jean-Paul Le Bourgeois, Pierre Ruffié, Margaux Orange, 2000.

- Les inégalités sociales de santé, Annette Leclerc, Didier Fassin, Hélène Grandjean, Monique Kaminski, Thierry Lang, Inserm/La Découverte, 2000.

- Des médecins du travail prennent la parole, Association santé et médecine du travail, Syros/Santé Travail, 1998.

PARCOURS

Médecin du travail et épidémiologiste, Ellen Imbernon travaille, depuis 1999, à l'Institut de veille sanitaire (Invs), où elle est responsable du département santé-travail.

Elle était, auparavant, chargée d'études épidémiologiques au service de médecine du travail d'EDF/GDF.

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