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Ne pas enfermer les HP dans des attitudes standardisées

SANS | publié le : 28.10.2003 |

Les dispositifs de gestion des hauts potentiels (HP) poussent ceux-ci vers des attitudes conformistes, peu compatibles avec la créativité dont devront faire preuve ces futurs dirigeants. Il faudrait réintroduire du "jeu" dans l'entreprise pour réconcilier ces salariés avec la créativité, le risque et le plaisir.

E & C : Les comportements des hauts potentiels vous paraissent contradictoires avec ceux attendus des responsables d'entreprise. Comment expliquez-vous ce hiatus ?

Maryse Dubouloy : Les hauts potentiels (HP) s'identifient aux modèles proposés par l'entreprise ; les compétences requises pour accéder aux postes dirigeants deviennent leurs seules références. Dans l'univers des entreprises en restructuration perpétuelle, soumission et conformité peuvent, dans un premier temps, apparaître comme des solutions de sauvegarde pour les individus. Les dispositifs de gestion des HP les poussent vers ces attitudes conformistes. Le haut potentiel a cependant du mal à identifier ce qu'on attend de lui personnellement, avec les conséquences que cela suppose en termes d'incertitude, de culpabilité de ne pas bien faire, de ne pas en faire assez. Les modes de management actuels des hauts potentiels semblent, donc, constituer un réel handicap à la construction d'une identité socioprofessionnelle forte, tout en provoquant une loyauté vis-à-vis de l'entreprise, qui peut aller jusqu'au déni de soi, peu compatible avec la créativité dont il faut faire preuve aux postes de direction.

E & C : A l'inverse, quels vous semblent être les traits requis de la fonction de responsable d'entreprise ?

Frédérique Alexandre-Bailly : Le HP est dans une quête permanente de reconnaissance. Le dirigeant n'a, lui, plus de référent à qui plaire. Il est responsable par rapport à une équipe et au corps social. Pourtant, au contraire des hauts potentiels, qui parlent peu de leurs modèles, les dirigeants font toujours référence, dans nos entretiens, à une personne, patron ou père, dans la filiation de laquelle ils se situent, quitte, d'ailleurs, à la déloger de sa place. A côté des comportements hypermodernes de flexibilité, d'adaptabilité des HP aux exigences de l'autre, j'y vois un retour à la tradition. Les dirigeants insistent souvent sur leur foi religieuse. A la limite, on pourrait dire qu'ils se considèrent comme élus dans leur fonctions de meneur d'hommes.

M. D. : Je crois que le dirigeant est quelqu'un qui a intégré les composantes maternelles et paternelles. Il sait à la fois se soucier des autres et prendre des décisions autoritaires et désagréables. Il peut être créatif parce qu'il reconnaît une réalité en face de lui. Le haut potentiel, pour sa part, traditionnellement "bon élève" et dépendant du jugement de l'autre, a plus de mal à avoir des jugements personnels.

E & C : Ne s'agit-il pas là seulement d'un problème de génération entre les "jeunes" HP et les "vieux" patrons ?

F. A.-B. : Ce n'est pas exclu. Il y a des évolutions importantes dans les valeurs. De même qu'il faut examiner les variations culturelles. Le conformisme est, sans doute, particulièrement accentué en France, où la sélection des élites a lieu très tôt.

M. D. : Les jeunes dirigeants que j'ai rencontrés parlent, cependant, d'une véritable rupture lors de leur accession aux fonctions dirigeantes. Ce passage n'est pas vécu dans la continuité de ce qui précède, mais comme un changement radical de comportement, avec, assez souvent, des difficultés d'adaptation, voire d'acceptation de leurs nouvelles responsabilités.

E & C : Pensez-vous que quelque chose pourrait changer au niveau de la sélection des HP pour favoriser les processus de maturation ?

F. A.-B. : Notre ambition est de contribuer à favoriser des pratiques plus ouvertes qui n'enferment pas les individus dans des comportements standardisés. C'est une perte d'efficience pour l'entreprise. On peut arriver à de meilleurs résultats en faisant les choses plus intelligemment.

M. D. : La dimension de souffrance individuelle est très forte pour ceux qui ne parviennent pas à réaliser leur projet, et notre rôle est de penser à comment il pourrait y avoir moins de dégâts.

E & C : Quelles solutions pourrait-on envisager pour demain ?

M. D. : Il faudrait réintroduire quelque chose de l'ordre du "jeu" pour réconcilier les salariés avec la créativité, le risque et le plaisir. C'est le fameux espace transitionnel dont parle le psychanalyste anglais Winnicott.

F. A.-B. : L'entreprise pourrait laisser davantage d'espace à l'individu, à ses projets. Etre plus à l'écoute des différences. Le risque est, aujourd'hui, que les salariés n'y croient plus. Il existe, en effet, une tendance au cynisme et à la méfiance vis-à-vis des entreprises et tout est perçu comme discours de séduction, sans actes réels à l'appui. D'autre part, les DRH ont du mal à comprendre les comportements des jeunes qui ne sont plus aussi malléables que leurs aînés. Il faut arriver à briser ce malentendu de façon à promouvoir des carrières plus variées. Cela suppose, à mon avis, de réhumaniser le management, d'accepter le dialogue en face à face entre un manager et ses subordonnés.

LEURS LECTURES

- Jeu et réalité, D. W. Winnicott, Gallimard, 1975.

- Transitional approach to change, Amado et Ambrose, Karnac, Londres 2001.

- The social engagement of social science, Tavistock Anthology, Free Association Bos, Londres 1990.

PARCOURS

Frédérique Alexandre-Bailly (à gauche) est professeure de GRH et directrice scientifique de l'apprentissage à l'ESCP-EAP. Elle travaille, notamment, sur la gestion des âges et sur l'autonomie.

Maryse Dubouloy (à droite) est professeure à l'Essec, au département des sciences humaines, et coach dans la même école. Elle conduit une réflexion sur la place de l'individu dans l'entreprise à partir du concept winnicottien d'espace transitionnel.

Dans le cadre de la chaire de dirigeance d'entreprise de l'ESCP-EAP, elles ont engagé un projet de recherche sur le passage du statut de "haut potentiel" à celui de dirigeant.