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De l'autogestion à la vitrine industrielle

SANS | publié le : 14.10.2003 |

Il y a trente ans, les ouvriers de Lip se mettaient en grève contre la fermeture brutale de leur usine et se lançaient dans l'autogestion. Le site de Palente est, aujourd'hui, transformé en vitrine industrielle de Besançon.

«On fabrique, on vend et on se paie. » Le slogan inventé par les Lip a fait long feu. En avril 1973, les 1 400 ouvriers de Lip décident d'occuper leur usine pour résister à la fermeture imposée par le patron de la firme horlogère, Fred Lipmann. Ils y resteront jusqu'en janvier 1974, choisissant entre temps de vendre eux-mêmes le stock de montres de l'entreprise et d'en fabriquer d'autres en autogestion. L'arrivée d'un repreneur, Claude Neuschwander, fait naître un espoir, qui meurt définitivement en 1975 avec le démantèlement de la firme.

Un conflit exceptionnel

Trente ans plus tard, les Lip continuent à cultiver le souvenir de cette aventure hors du commun. Fin septembre, plus de 200 anciens ouvriers et cadres de l'entreprise se sont retrouvés à Besançon pour un déjeuner du trentième anniversaire. L'ex-délégué du personnel qui, à l'époque, avait pris en charge les relations publiques, Michel Jeanningros, reprend sa casquette pour décliner les pro- positions des médias. « Nous préférons rester entre nous », justifie-t-il.

Parce qu'il était exceptionnel, le conflit des Lip a immédiatement attiré la sympathie et reste vivace dans la mémoire des Bizontins. « Les Lip représentaient l'aristocratie ouvrière et cette manufacture constituait le fleuron de l'horlogerie française », rappelle Pierre Besançon, ex-salarié syndiqué à la CFDT et membre de Vie nouvelle, un mouvement né dans l'après-guerre, attentif aux alternatives aux luttes classiques entre patronat et ouvriers.

Patronat potentat

« L'annonce de la fermeture est intervenue brutalement. Fred Lipmann était la figure même du patronat potentat, quasi de droit divin, qui faisait exactement ce qu'il voulait et considérait les hommes comme des machines. La décision d'occuper l'usine s'est prise très vite en assemblée générale et, dès lors, des AG ont été organisées quotidiennement. Quand, après le début de l'occupation, les forces de l'ordre ont traversé la ville au petit matin, en prévenant par haut-parleurs qu'ils allaient déloger les ouvriers, les habitants ont commencé à converger vers l'usine pour défendre les Lip. Il s'en est suivi plusieurs jours d'échauffourées et la ville a été connue. Par la suite, il est venu des gens de toute l'Europe. »

A défaut de sauver leur usine, les Lip ont contribué à faire progresser le droit social alors que la crise économique démarrait. « Ce conflit a participé au bouleversement de la relation entre patrons et salariés qui s'est produit ces années-là », estime Paulette Guinchard-Kunstler, députée PS du Doubs et vice-présidente de l'Assemblée nationale. Elle travaillait, alors, à Besançon, militait au PSU et à la CFDT et s'était engagée dans le comité d'action : « Ce conflit a permis de mettre sur la table les questions relatives à la protection des salariés. C'est ainsi que l'Etat a commencé à réglementer le licenciement individuel, le paiement des salaires en cas de liquidation ou de défaillance de l'entreprise, ou le rôle des instances représentatives du personnel dans les licenciements économiques. »

La lutte des Lip a également eu le mérite d'engager la réflexion sur la parti- cipation des salariés aux décisions relatives à la gestion et à la définition des orientations stratégiques de l'entreprise. « Lip a rencontré des difficultés parce que des choix industriels n'ont pas été faits. Les salariés étaient écartés de ces circuits de décision et, aujourd'hui encore, ils le sont toujours », remarque Paulette Guinchard-Kunstler.

Rénovation du site

Peu à peu, la page s'est tournée. En 1985, la ville de Besançon et la chambre de commerce et d'industrie du Doubs créent le Syndicat mixte chargé de la rénovation du site de Palente. Sa mission est aujourd'hui arrivée à son terme. Sur l'ancien emplacement de l'usine, le syndicat a fait émerger une zone d'aménagement concertée (ZAC) de 9 000 m2, à coups d'investissements chiffrés à 5,5 millions d'euros. « Nous avons tenu notre pari de faire de cette zone une vitrine industrielle pour la ville, affirme Vincent Fuster, adjoint à la ville de Besançon en charge de l'économie. La ZAC abrite, actuellement, 83 entreprises employant 950 salariés, spécialisées dans la mécanique de précision, héritage des années Lip, ainsi que dans l'environnement, le tourisme et des activités tertiaires. Une pépinière accueille, par ailleurs, 32 entreprises et 120 salariés. »

Mouvement séduisant

De l'époque revendicative, il reste également quelques entreprises coopératives lancées à la suite de la fermeture de l'usine, comme l'imprimerie et une coopérative ouvrière de production microtechnique issue de Lip Précision industrie. « Nous avions compris que l'autogestion, c'était de l'utopie, avoue Pierre Besançon, aujourd'hui président d'une structure d'insertion et membre du Conseil économique et social régional de Franche-Comté. Mais des anciens ont pensé qu'il était possible d'explorer d'autres voies. Ça aura mis du temps mais je crois qu'aujourd'hui, le mouvement coopératif séduit et a de l'avenir. C'est aussi ça l'héritage de Lip. »