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L'intelligence collective est en partie observable sur le réseau

SANS | publié le : 23.09.2003 |

Pierre Lévy conduit, au sein de l'université d'Ottawa, un ambitieux projet visant à bâtir les fondations d'une science de l'intelligence collective qui devrait radicalement changer les modes d'évaluation de la performance dans les entreprises.

E & C : Quel est l'objectif de la chaire en intelligence collective que vous pilotez au sein de l'université d'Ottawa ?

Pierre Lévy : Il existe pléthore d'outils qui permettent de partager des informations, de les rechercher, pour, enfin, les structurer. Le développement de ces outils n'a pas toujours été inspiré par une démarche scientifique. L'approche est essentiellement instrumentale et, au final, ces logiciels, étroitement liés au concept de management des connaissances, manquent parfois de sens.

L'objectif de cette chaire en intelligence collective consiste à fournir un cadre plus universel, avec une approche méthodologique davantage centrée sur la culture que sur l'informatique. Le projet vise donc à bâtir les fondations d'une nouvelle science prenant en compte à la fois le capital technique, c'est-à-dire les outils, et d'autres variables aussi importantes telles que le capital social permettant de mesurer la quantité et la qualité des liens entre les individus, sans faire l'impasse sur le capital culturel associé aux informations en circulation.

Chacune de ces trois variables repose sur des réseaux interdépendants, autour desquels gravitent des compétences, des connaissances et des valeurs qui constituent un quatrième réseau, celui du capital intellectuel.

En clair, c'est un véritable écosystème qui fonde l'intelligence collective.

E & C : L'un des axes majeurs de votre projet vise à développer un logiciel qui permettra de cartographier l'intelligence collective. Quelles en sont les modalités ?

P. L. : Effectivement, d'ici à trois ans, les premières briques d'un logiciel proposant un modèle particulier de l'intelligence collective seront posées. Ce logiciel représentera un miroir de l'intelligence collective d'une communauté et lui permettra ainsi de s'autopositionner. L'ensemble des variables qui influent sur la vie d'une communauté virtuelle seront visualisables dans un environnement multidimensionnel.

A partir de ce cadre méthodologique, il sera possible de mesurer les interrelations entre ces variables, à la fois sur un plan quantitatif et qualitatif, et de diagnostiquer les facteurs de succès ou les freins à la coopération sur le réseau. Cette application sera proposée gratuitement sous la forme d'un logiciel libre. Les entreprises, les municipalités, les institutions seront, bien entendu, libres d'adapter ce logiciel à leurs besoins.

C'est, progressivement, une équipe internationale de cinquante boursiers, mixant des profils informatiques mais aussi des spécialistes de la communication, qui va s'attacher au développement de ce projet. A la différence des arbres de connaissances développés par Trivium, dont j'ai été co-initiateur en 1992, avec Michel Authier, l'approche ne se limite pas à la notion de compétence.

Parallèlement à ce développement, je m'emploie à constituer un réseau de personnes qui capitalisera sur un portail le maximum d'informations relatives aux multiples expérimentations conduites en matière d'intelligence collective. Et cela, à tous les niveaux : entreprises, éducation, santé publique, politique... Ce réseau évaluera et comparera également la place des outils dans ces mécanismes de coopérations en réseau.

E & C : Quel pourrait être l'impact d'une méthodologie de l'intelligence collective dans les entreprises ?

P. L. : Je tiens d'abord à préciser que la notion d'intelligence collective ne se limite pas aux entreprises. Les partenaires les plus intéressés à ce jour par nos recherches sont, par exemple, les acteurs de la santé publique.

Sur le réseau d'une entreprise, une partie de l'intelligence collective devient observable, puisqu'il est possible, par exemple, de mesurer et d'analyser la densité et l'harmonie des interconnexions entre les collaborateurs, mais également la nature des informations échangées et des outils utilisés. Une approche telle que celle-ci modifie, en substance, les modes d'évaluation des performances des équipes et de l'entreprise en général. L'idée consistant à apprécier l'incidence de l'intelligence collective sur les performances économiques de l'entreprise. Je plaide pour une approche écologique et, donc, durable de l'entreprise.

E & C : Est-ce annonciateur d'une nouvelle culture d'entreprise reposant sur la coopération ?

P. L. : En l'espace de cinquante ans, les progrès en termes de communication dans les entreprises ont été considérables. C'est une affaire de génération que de parvenir à instaurer une culture de l'intelligence collective dans les entreprises.

A l'instar des usages extra-professionnels qui se forgent sur l'Internet, dans l'entreprise, les collaborateurs s'impliquent d'autant plus dans une communauté virtuelle quand la démarche est volontaire. Le rôle du management consiste, donc, à faire partager cette culture. Les jeux coopératifs en ligne représentent des laboratoires de la société du futur

SES LECTURES

The blank slate : the modern denial of human nature, Steven Pinker, éd. Hardcover, 2002.

- Sociologie et anthropologie, Marcel Mauss, éd. PUF, coll. Quadrige, 2001.

- Le livre de la sagesse orientale, Sohrawardi (trad. Henri Corbin), éd. Gallimard, 2003.

PARCOURS

Docteur en sociologie et en sciences de l'information et de la communication, Pierre Lévy est responsable de la chaire en intelligence collective de l'université d'Ottawa. Il a été, précédemment, professeur au département hypermédias de Paris-8 et cofondateur de Trivium.

Il a publié L'intelligence collective : pour une anthropologie du cyberspace (La Découverte, 1994), Cyberculture (1997), World philosophie (2000) et Cyberdémocratie (2002), aux éditions Odile Jacob.