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Le casse-tête des droits

SANS | publié le : 23.09.2003 |

Le développement du e-learning pose la question de la propriété du savoir mis sur le web. Mais, fondamentalement, cette question se posait déjà pour les formes traditionnelles de formation. Les mauvaises habitudes prises depuis trente ans ne facilitent pas les choses.

A qui appartient le savoir mis sur Internet ? Comment rémunérer un professeur qui fait majoritairement de l'enseignement à distance ? Le développement de la formation via Internet pose ces questions.

Les organismes de formation s'inquiètent des risques de pillage, et les professeurs, enseignants et formateurs ont peur d'être dépossédés. Trouver des réponses à ces questions est nécessaire pour sécuriser le marché, et éviter d'être sévèrement condamné au civil et au pénal pour contrefaçon, concurrence déloyale et parasitaire.

Le risque est d'autant plus grand que le délai de prescription en cas d'utilisation illicite de contenus est de trente ans et que le traçage électronique est reconnu comme preuve, depuis une loi du 13 mars 2000. En outre, depuis 1994, la responsabilité pénale touche la personne morale, comme un laboratoire de recherche, un établissement d'enseignement ou une société.

Pillage du savoir

Lors d'un séminaire sur la propriété intellectuelle et la e-formation, organisé, le 16 juin dernier, par le Fffod, Algora, le Cned, le Préau et l'ESCP-EAP, constat a été fait que la propriété intellectuelle est très mal respectée depuis fort longtemps, que le pillage est une vieille pratique et que l'arrivée du e-learning ne fait qu'amplifier craintes et prises de conscience. Marie-Pierre Fenoll-Trousseau, directrice scientifique du master spécialisé management de l'édition de l'ESCP-EAP, et Yann Breban, avocat au cabinet Alain Bensoussan, ont conseillé la plus grande prudence aux organismes de formation. Ainsi, avant de lancer quoi que ce soit sur le Net, l'organisme doit interroger son formateur ou sa source d'informations sur la nature et l'origine du savoir ou de la formation proposé à une diffusion par le web. Il est alors préférable d'établir un contrat précisant la définition de l'oeuvre, ses clauses d'exploitation, son échéance de transfert au diffuseur, le calendrier des paiements, la garantie de jouissance paisible de l'oeuvre...

Nécessité d'un contrat clair

En cas de problème, par exemple un procès fait par un tiers pour contrefaçon, l'organisme de formation peut se retourner vers le formateur. « Plus le contrat est clair et précis, moins il est interprétable par le juge », commente Yann Breban.

Christophe Bernard, secrétaire général et directeur juridique du Cned, lors du même séminaire, a, lui aussi, reconnu la nécessaire prudence avant de lancer quoi que ce soit sur le Net, mais il pense que le contrat ne résout pas tout : « L'important c'est de gérer les auteurs », précise- t-il. Il estime, en effet, qu'il ne faut pas laisser les auteurs ou formateurs libres de créer n'importe quel contenu pédagogique, et qu'il est du devoir de l'organisme qui les emploie de les soumettre à un minimum de questionnement, sous peine de s'exposer à des poursuites. De ce point de vue, le problème serait autant une question de gestion psychologique et managériale des professeurs, enseignants et formateurs qu'un point strictement juridique.

Accords avec les éditeurs

Toujours sur la question du contrat, François Bocquet, ancien directeur du Greco (Grenoble campus ouvert), désormais à la Cura (Conférence universitaire Rhône-Alpes), pense que l'université a plus intérêt à passer des accords avec les éditeurs liés aux auteurs (dont, parfois, ses propres universitaires) plutôt que de signer directement des contrats avec eux. Mais apparaît, alors, dans ce contexte de négociation avec les éditeurs, la nécessité de « présenter un modèle commercial clair, ce qui n'est pas si évident ».

Question de statut

D'où la deuxième question : comment rémunérer les enseignants, professeurs, formateurs qui travaillent via le web, alors qu'aucun modèle économique de e-learning ne tient la route ? Cette question n'a pas la même portée selon que le formateur est sous statut salarié ou non. Sous statut salarié, il est déjà payé pour effectuer une activité de formation. Certains organismes de formation privés et même certains services formation continue d'universités ne versent aucune rémunération complémentaire aux formateurs salariés qui travaillent via le web. « Que ce soit en face-à-face ou via le Net, cela ne change rien, le salarié est payé. Je n'ai pas à définir une rémunération complémentaire. Et je ne vois pas en quoi un cours via Internet serait davantage copié ou pillé qu'un cours polycopié », témoignait une responsable d'université, lors du séminaire ESCP-EAP.

Négociation de la rémunération

Cette solution de ne rien payer est gérable tant que les formateurs ne ruent pas dans les brancards. Quand elle ne l'est plus, il faut négocier la forme et le montant de cette rémunération. Christophe Bernard et François Bocquet avouaient, lors du même séminaire, que des formules aussi multiples qu'illégales étaient utilisées pour rémunérer des universitaires déjà, par ailleurs, salariés : par l'intermédiaire d'une association d'anciens, d'un éditeur privé... Autant de pratiques susceptibles d'être épinglées par la Cour des comptes, ont-ils expliqué.

La question de la rémunération et du droit d'auteur devient encore plus floue et complexe avec des enseignants ou des formateurs vacataires. La formule des droits d'auteur est d'autant plus privilégiée par les employeurs, face à celle du salariat, qu'elle permet de belles économies sur les cotisations sociales. Mais elle n'est pas simple à calculer. Quelle assiette de calcul choisir, et quel barème variable utiliser ? Il est d'autant plus délicat de définir une rémunération alors qu'on ne sait pas ce que va rapporter le produit ou le service.

Enjeux financiers

« Ce n'est qu'avec des modèles économiques identifiés, et au vu d'enjeux financiers clairement posés, que peuvent être convenablement solutionnées les questions de droits d'auteur, ont remarqué tous les participants à ce séminaire. Or, de tels modèles font aujourd'hui défaut. C'est pourquoi on assiste à de nombreuses négociations irrationnelles. »

Selon François Bocquet, cette question des droits d'auteur tirés du e-learning, dans le monde de l'enseignement supérieur, cache, en fait, un autre problème, souvent tabou, celui de la vérité des prix des établissements publics. « Sur le marché du e-learning, plus qu'ailleurs, les établissements d'enseignement supérieur vont devoir en faire la preuve, sous peine d'être en permanence menacés de concurrence déloyale. » Le sujet de la propriété intellectuelle dans le e-learning n'est pas près de s'épuiser.