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L'inspection du travail promise à la réforme

SANS | publié le : 16.09.2003 |

Une proposition de loi visant à réformer l'inspection du travail a mis le feu aux poudres. Et pour cause, elle tend à diminuer les prérogatives de ces fonctionnaires, dont certains admettent, néanmoins, le besoin d'une vaste réflexion sur son organisation.

Faut-il réformer l'inspection du travail ? Cette question, si elle n'est pas vraiment nouvelle, est revenue sur le devant de la scène, fin juin, lorsque 81 parlementaires (1) ont déposé une proposition de loi prévoyant de revoir "le statut de l'inspection du travail et à en changer la dénomination". Tout est remis à plat, du recrutement des inspecteurs du travail au contenu même de leurs missions, en passant par leur déontologie et leur mise sous contrôle (voir encadré).

Ainsi, les inspecteurs du travail voient leur rôle limité à deux missions : la santé et la sécurité des salariés. Exit, donc, les temps de travail, les rémunérations, les conditions de travail, le règlement intérieur des entreprises, les conventions collectives... Par ailleurs, une série de mesures tend à circonscrire l'indépendance de ces fonctionnaires, qui devront être accompagnés d'un agent de police judiciaire pour constater les infractions au Code du travail et rendre compte aux membres d'un Conseil national.

Augmentation des missions

Pour les signataires, de telles orientations se justifient par l'augmentation des missions, tout d'abord, qui ont détourné les inspecteurs du travail de leur rôle de contrôleur de la législation sociale au profit d'un rôle actif, parfois politique, dans la mise en oeuvre de mesures pour l'emploi et, ensuite, par l'extension de leurs compétences, qui les empêche de remplir avec efficacité les activités de contrôle des conditions d'hygiène et de sécurité ainsi que celles relatives à la lutte contre le travail illégal.

Feu aux poudres

Autant dire que de telles attaques ont mis le feu aux poudres. « Texte d'incompétents », « démarche purement idéologique », « logique ultra-libérale »... Syndicats et membres de la profession ne décolèrent pas, à l'instar de l'Association de défense et de promotion de l'inspection de travail, comptant une quarantaine d'adhérents, pour qui cette proposition a pour unique but de détruire l'inspection du travail. Réaction aussi virulente de la part de l'inspecteur du travail, Gérard Filoche, qui y voit « la manifestation de personnes qui ne supportent pas que l'on travaille dans un état de droit dans l'entreprise ».

« Et qu'en est-il du lien de subordination et de dépendance qui unit le salarié à son employeur et du rôle de médiation de la profession, qui évite que des litiges ne dégénèrent en contentieux ? », s'interroge cet autre inspecteur.

Démarche globale

Enfin, tous s'accordent à dire qu'il est impossible de limiter l'action des inspecteurs du travail au seul champ de la santé. « Et même si c'était le cas, nous sommes obligés, pour l'étudier, d'avoir une démarche globale de l'ensemble des conditions de travail et d'emploi », avertit Bernard Lhubert, secrétaire général de l'Union générale des fédérations de fonctionnaires (CGT).

Toutefois, une question reste posée : peut-on redessiner à loisir les contours de cette profession ? Pas vraiment. « Nous sommes liés à la Convention internationale du travail dans l'industrie et le commerce n° 81, ratifiée par la France en 1950. Et c'est elle, et elle seule, qui définit le statut de l'inspection du travail de façon à garantir son indépendance et ses moyens d'action, signale Marie-Jo Pailleau, du syndicat national Emploi formation-CFDT. Autrement dit, cette proposition prête à rire dans la mesure où elle n'est ni réaliste ni réalisable. »

Une visite tous les dix ans

Pour autant, l'inspection du travail, telle qu'elle est, n'est pas satisfaisante. Et c'est principalement du côté des moyens qu'il y a motif à améliorations. « Notre effectif tourne autour de 430 inspecteurs et 800 contrôleurs pour 16 millions de salariés, avance Gérard Filoche. Statistiquement, une entreprise a la chance, ou la malchan- ce, d'être visitée tous les dix ans ! (2) » Autres calculs, ceux de Bernard Lhubert : « Par section, on a, en moyenne, 0,9 inspecteur et 1,8 contrôleur pour 3 400 établissements et 33 000 salariés. »

Efforts ministériels

Quelques efforts ont été pourtant consentis par le ministère du Travail. Ainsi, « on dénombrait, en 2001, 443 sections réparties sur l'ensemble du territoire. Aujourd'hui, il en existe 31 de plus. Le recrutement suit également une courbe ascendante, puisqu'entre 1998 et 2002, nous avons organisé deux concours par an, contre un habituellement », souligne Odile Lautard, chef de mission centrale d'appui et de coordination des services déconcentrés du ministère, qui admet une plus grande complexité du travail des inspecteurs. « Nous sommes en présence d'une individualisation de plus en plus aiguë des conflits. Si les attributions de la profession, de contrôle, de conseil et de conciliation, n'ont pas changé, le travail de l'inspection est "perturbé" par le traitement d'une demande individuelle croissante qui, trop souvent, prend le pas sur le travail programmé et collectif », ajoute-t-elle.

Mais, pour la CFDT, c'est l'organisation même de l'inspection du travail au sein de l'Administration qui mérite d'être revue, tant du point de vue de la répartition des effectifs sur le territoire que des affectations. « Certaines sections, selon leur lieu, demandent davantage de contrôleurs, d'autres, d'inspecteurs », explique Marie-Jo Pailleau.

Reste, enfin, à rénover ce qui est de l'ordre de la sanction. « En général, 3 procès-verbaux sur 4 sont classés sans suite, et c'est sans compter les amnisties qui interviennent, désormais, tous les cinq ans, avertit Gérard Filoche. Vingt patrons par an sont menacés de prison pour mort d'homme après faute inexcusable ou pour récidive dans le trafic de main-d'oeuvre. Aucun n'est mis derrière les barreaux. Quant aux amendes, leur montant est dérisoire, puisqu'il tourne autour de 839 euros, en moyenne. »

Quoi qu'il en soit, l'ensemble de la profession attend une réaction de la part de François Fillon, le ministre des Affaires sociales. Caution ou rejet ? Pour l'heure, aucune réponse officielle n'est sortie de la rue de Grenelle.

(1) Parmi eux : Claude Goasguen, Alain Madelin, Jean-Pierre Soisson, Christine Boutin...

(2) Selon le dernier bilan de l'inspection du travail de mai dernier, près de 215 000 interventions ont été réalisées en 2001, dans près de 85 000 établissements.

L'essentiel

1 Une proposition de loi présentée par 81 parlementaires suggère de revoir le statut de l'inspection du travail et d'en changer la dénomination.

2 Membres de la profession et syndicats s'insurgent. Ils demandent au ministère des Affaires sociales un rejet pur et simple du texte.

3 La profession réclame cependant une vaste réflexion sur l'organisation, les moyens et le suivi des sanctions dressées par l'inspection du travail.

Les six dispositions de la proposition de loi

- Changement de nom : l'intitulé "inspecteur du travail" est remplacé par "inspecteur de l'emploi, de l'hygiène et de la sécurité".

- Création d'un Conseil national de l'inspection du travail, composé, entre autres, de membres des organisations patronales, des organisations de salariés, de l'inspection proprement dite, de membres désignés par le Premier ministre. Cette instance aura la faculté de sanctionner les inspecteurs qui ne respecteront pas le code de déontologie (voir ci-dessous).

- Mise en place d'un code de déontologie fixant les modalités du contrôle, les missions prioritaires des inspecteurs du travail et leurs responsabilités vis-à- vis des salariés et des employeurs.

- Recentrage des activités des inspecteurs sur des missions de sécurité, d'hygiène et de lutte contre le travail au noir.

- Modification des règles de recrutement. Les inspecteurs devront avoir, obligatoirement, deux ans d'expérience professionnelle dans une entreprise en tant que salarié ou employeur.

- Introduction d'un stage à effectuer, tous les deux ans, dans une entreprise qui n'est pas implantée dans le ressort des trois dernières affectations des inspecteurs du travail.

Petit rappel historique

- La création du concept d'inspection du travail, en France, remonte à 1841. Alors, une poignée d'anciens fonctionnaires ou de chefs d'entreprise à la retraite veillaient, à titre bénévole, au respect de la loi relative à la protection des enfants au travail (huit heures de travail pour les 8/12 ans). Pour la première fois, l'Etat autorise des personnes tiers à passer les portes des entreprises.

- Plus de trente ans après, la loi du 19 mai 1874 interdisant définitivement le travail des enfants de moins de 12 ans impulse la création de quinze postes d'inspecteur divisionnaire rémunérés par l'Etat.

- Il faudra attendre 1892 pour qu'un corps officiel, uniquement recruté par concours, voit le jour, rattaché à l'époque au ministère du Commerce. Son rôle : faire respecter les lois sur la protection au travail des femmes et des enfants. Un an plus tard, s'ajoutent à leurs prérogatives l'hygiène et la sécurité de l'ensemble des travailleurs.

- Les nombreuses grèves de 1936 seront témoins du rôle actif des inspecteurs dans la négociation des fins de grève, puis dans la négociation des conventions collectives.

- En 1906, à la création du ministère du Travail et de la Prévoyance sociale, les inspecteurs du travail changent de tutelle pour ensuite devenir, en 1975, un corps interministériel (travail, transport, agriculture).

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