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L'inéluctable mutation du syndicalisme

SANS | publié le : 16.09.2003 |

Le conflit autour de la réforme des retraites a révélé la nécessité d'une recomposition syndicale. Au centre de ce renouveau, la CGT, qui, si elle poursuit son ouverture, pourrait accompagner l'installation d'un puissant pôle réformiste.

E & C : Au sortir du mouvement social des retraites, où en est, selon vous, le syndicalisme ?

Henri Vacquin : Il y aurait beaucoup à dire sur ce mouvement, et, tout particulièrement, qu'il est révélateur de la crise de société que nous vivons. Les comportements syndicaux sont restés très traditionnels, à l'exclusion du début de la négociation, où, pour la première fois dans son histoire, le syndicalisme a su adopter un texte unitaire, non pas contre mais pour la réforme. Il est vrai que les salariés et l'opinion n'auraient pas compris que, sur un tel sujet, il y arrive en ordre dispersé.

Que la CGT et la CFDT aient été les instigatrices principales de ce début d'approche unitaire de la négociation des retraites est à noter. Ce fut, en effet, une première concrétisation des recherches de "convergences" qu'elles tissaient entre elles depuis longtemps, sans trop le dire. La suite sera moins glorieuse sur le versant unitaire et tout à fait conforme aux vieilles habitudes qui stérilisent depuis longtemps l'efficacité et le crédit syndical. Les signataires habituels ont signé et les autres pas. Rien là de surprenant. Personne de sérieux n'imaginait que la CGT, malgré son discours d'ouverture et de contre-proposition, prendrait le risque d'infliger, via une signature, une telle rupture culturelle à ses militants sans faire éclater la maison. Elle a donc accompagné le mouvement, mais en se bornant à appeler à une « mobilisation générale » et non, comme Marc Blondel, à la « grève générale ». Il n'en reste pas moins que, leader du mouvement, la CGT l'a, en dernier lieu, mené à un échec sur les retraites.

Le seul acquis de ce mouvement aura été l'effet d'intimidation sur le gouvernement pour la suite des réformes. Il n'est jamais bon de mobiliser un mouvement d'une telle force pour, finalement, le mener à Canossa. On suscite, alors, trop de désespérance et de colère, comme en a témoigné, en queue de chaîne du conflit des retraites, celui des intermittents. Des mouvements dont la maîtrise, même syndicale, devient très difficile. Un des enjeux déterminants de cet après-conflit va résider dans les leçons qu'en tirera l'état-major de la CGT, au-delà du discours consistant à mettre l'échec du mouvement exclusivement sur le dos des signataires, dont, particulièrement, la CFDT.

E & C : Quelles leçons pourrait en retirer la CGT ?

H. V. : Notamment, que ce mouvement n'a eu d'écho réel que dans le secteur public, à l'exclusion des salariés du privé, conjoncturellement aux prises avec des licenciements. Que la systématique de la mobilisation du syndicalisme du public n'est pas sans poser problème au dit syndicalisme, en interne, comme pour son image dans l'opinion publique. Mais, et surtout, parce que l'état-major de la CGT ne peut laisser évoluer, encore longtemps, aussi lentement, l'acculturation de ses militants à la "contre-proposition", sans encourir le risque de la voir définitivement s'enliser.

L'échec de ce mouvement, dont la CGT a eu le leadership, est un peu le sien. Saura- t-elle prendre en compte l'analyse de cette responsabilité au-delà de la facilité qui consiste à faire porter l'échec sur la défection des signataires ? Avec les réformes de tous ordres qui nous attendent, dont celles concernant rien moins que notre conception de l'emploi, la "contre-proposition" s'impose pour dépasser les limites de la seule régulation des mécontentements.

Le syndicalisme français a subi trop d'échecs pour qu'il ne lui soit pas nécessaire de faire exister, en son sein, un syndicalisme réaliste tel que pourrait l'incarner un pôle réformiste combatif et efficace. Pour cela, il a besoin de la "CGT de contre-proposition". A côté de ce pôle réformiste, il y a la place, d'ailleurs utile, pour un pôle syndical à vocation "révolutionnaire".

A posteriori de ce mouvement, une opportunité est ouverte d'une autre possible pratique syndicale. L'état-major de la CGT en détient une clé déterminante. Un trop grand déséquilibre des rapports de force s'est installé depuis trop longtemps entre patronat et syndicats pour que la CGT d'aujourd'hui n'interroge pas la responsabilité qu'y a eu la CGT d'hier.

E & C : Que se passera-t-il si rien ne change ?

H. V. : C'est là une question qui ne peut se poser qu'à très court terme, tant tout pousse à une mutation du syndicalisme qui, inéluctablement, aura lieu, comme elle a lieu partout en Europe. Cela dit, c'est maintenant, et dans les trois ou quatre ans qui viennent, que nous sommes contraints par les événements aux réformes. Elles ne se passeront ni de la même manière ni n'auront le même aspect à la sortie, avec une CGT qui aura, ou non, mené à son terme la mutation qu'elle avance dans son discours.

SES LECTURES

Le principe de responsabilité, Hans Jonas, Flammarion, 1998.

Les braises et Divorce à Budapest, de Sandor Marai, Albin Michel, 2002.

PARCOURS

- Henri Vacquin dirige, depuis trente ans, un cabinet de sociologie des organisations appliquée aux études et au conseil en matière managériale et sociale. Il a créé, en France, dans les années 70, « l'analyse a posteriori des conflits », impliquant directions et syndicats.

- Il publie, depuis vingt ans, Stratégie du management, une lettre mensuelle à destination des responsables syndicaux et patronaux.

- Il est l'auteur de deux ouvrages : Paroles d'entreprises : patrons si vous saviez, syndicalistes si vous pouviez, cadres si vous vouliez (Seuil, 1986) et Le sens d'une colère, novembre-décembre 1995 (Stock, 1996).