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Les risques de la sous-traitance à étages

SANS | publié le : 16.09.2003 |

Sur les Chantiers de l'Atlantique, à Saint-Nazaire, les conflits se sont multipliés chez des "co- réalisateurs" d'Alstom Marine employant des salariés étrangers, illustrant les risques sociaux de la sous-traitance en cascade au meilleur coût.

Le 13 mars dernier, des Indiens en bleu de travail défilaient dans les rues de Saint-Nazaire. Ces ouvriers, oeuvrant sur les gaines de ventilation du Queen Mary II, pour le compte d'Avco, un sous-traitant d'Alstom Marine, dénonçaient les retenues pratiquées sur leur Smic pour frais d'hébergement. En juillet, c'était le tour des salariés polonais de Vulkan, autre sous-traitant d'Avco, de donner de la voix. Et, fin août, les 92 Roumains de Klass-Impex devaient aussi manifester pour récupérer d'énormes arriérés de salaire, leur direction invoquant un retard de trésorerie du donneur d'ordres..., Avco.

Le 2 septembre dernier, les Chantiers de l'Atlantique ont fini par rompre le contrat commercial avec cette société française, filiale des groupes italien Aerimpianti et indien Tata, pour "défaillance globale". Cet épilogue vient clore une série de dysfonctionnements sociaux qui ont jeté une lumière crue sur la sous-traitance en cascade pratiquée par Alstom Marine.

Métier d'intégrateur

« Le métier des Chantiers de l'Atlantique est devenu celui d'intégrateur, se défend Philippe Bouquet-Nadaud, le DRH. Nous ne fabriquons pas de moquette ou de baies vitrées, et il est légitime de faire appel à des centaines de métiers extérieurs. » Ainsi, pour 4 000 salariés directs des Chantiers, on trouvait, sur le site de Saint-Nazaire, 5 000 à 8 000 salariés des 800 entreprises " coréalisatrices ", selon les périodes.

« Au moment du lancement du chantier du Queen Mary II, le carnet de commandes explosait, poursuit Philippe Bouquet-Nadaud. Nous ne pouvions simplement pas confier ces marchés à notre réseau habituel de sous-traitants. Dans certains métiers précis, l'ensemble des compétences disponibles en France étaient insuffisantes. » L'entreprise a donc confié les marchés à des sous-traitants français ou étrangers. Et de rappeler que, sur plusieurs centaines d'entreprises présentes, seules deux ou trois ont franchi les clous, parfois par ignorance, et que sur 12 000 salariés, seuls 1 500 venaient de l'étranger. Sous le nom de "montage exotique", les organisations syndicales parlent, elles, d'une stratégie de réduction des coûts, fondée sur la recherche d'une main-d'oeuvre issue des pays émergents.

Base Smic

« Ils ont cherché 200 personnes pour poser des climatisations, anglais parlé, base Smic, explique Marc Ménager, délégué central CFDT des Chantiers. Au niveau Smic, on ne parle pas anglais couramment. En plus, la climatisation bateau, où on va de CDD en CDD, est un métier vers lequel on s'oriente peu : sur base Smic en France, c'était impossible. » Selon lui, des entreprises employant des salariés français n'ont pu s'aligner sur les coûts, lors de l'appel d'offres. « Avco, 20 % moins cher que certains concurrents, a pris le marché et l'a sous-traité, notamment à Klass-Impex », poursuit-il. Le ton est plus dur encore à la CGT, où l'on considère que les Chantiers de l'Atlantique « se défaussent de leurs responsabilités juridiques, fiscales et sociales par le biais de la sous-traitance »

Clarifier les règles

Le donneur d'ordres a pourtant essayé de clarifier les règles. Depuis janvier 2001, la direction des Chantiers, l'Union des industries de Loire-Atlantique et cinq unions locales des syndicats représentatifs se rencontrent au sein de l'Instance de dialogue social du site (IDDS). Celle-ci a, d'ailleurs, élaboré la charte de progrès social du site, en avril 2002 (lire aussi Entreprise & Carrières n° 663). Y sont mentionnés les devoirs du donneur d'ordres et de ses sous-traitants, en matière d'emploi, de formation professionnelle, de conditions de travail, de durée du travail...

Ces précautions se sont révélées insuffisantes. « Malgré les problèmes rencontrés cette année, l'Instance de dialogue social ne s'est réunie que trois fois, regrette Marc Ménager. En outre, l'intersyndicale n'a pas bien fonctionné. »

Autre cause de tels dérapages, selon ce syndicaliste : des salariés étrangers mieux payés que dans leur pays d'origine, moins prompts à dénoncer leur situation sociale, n'ont agi que quand elle était devenue inacceptable. Les rémunérations conventionnelles pouvaient se transformer en Smic, pour manque d'ancienneté, expliquaient les dossiers fournis à la Direction départementale du travail (DDTE) et les heures supplémentaires, difficiles à contrôler, passer à la trappe.

« Aujourd'hui, nous rentrons dans un processus d'engagements signés, commente Philippe Bouquet-Nadaud. Une cinquantaine d'entreprises sont déjà signataires de la charte sociale. »

Renforcer les contrôles

De son côté, la DDTE, confrontée à l'afflux des entreprises de sous-traitance, a renforcé son équipe dédiée à la main-d'oeuvre étrangère, qui délivre les autorisations temporaires de travail. Marc Ameil, le directeur adjoint du travail, explique que « si les Chantiers doivent continuer ces activités, on renforcera le contrôle des contrats de travail et on veillera à ce qu'ils ne datent pas de deux mois avant l'arrivée en France ».

Ensuite, il y aura sans doute un dilemme à trancher. Le maintien à Saint-Nazaire d'une activité concurrencée au plan mondial, envisageable seulement avec une baisse continue des coûts de production, peut-il se faire de façon responsable, c'est-à-dire sans risque social ? A l'inverse, ne pas conserver la construction maritime en France pourrait-il se faire sans casse sociale ?

CHANTIERS DE L'ATLANTIQUE

> Effectifs : 4 750 salariés (au 31 mars 2001), et 8 000 salariés chez les "coréalisateurs".

> Chiffre d'affaires : 1 842 millions d'euros.