Et c'est reparti pour un tour ! A peine le temps de poser son sac, de vider le sable sournoisement inséré au fond des mocassins, et de ranger sa serviette de plage, qu'il faut déjà affronter les mille situations de l'entreprise et tenter de répondre, comme on peut, aux clients.

Cette fois, le client est une cliente. Plutôt agréable, il faut bien le dire. Agréable mais inquiète. Et du coup, un peu dure avec ses collaborateurs, me semble-t-il.

Ecoutons-la.

« On n'y arrive plus ! J'ai l'impression que tout revient toujours sur ma tête, quel que soit le sujet. Les gens vous parlent à longueur de temps de délégation, d'autonomie, et tout le toutim. Mais, dans la réalité, ils se mettent en dépendance et attendent mon arbitrage sur tout. Et pendant ce temps, les concurrents s'agitent. Nous prennent des parts de marché. Montent leurs projets plus vite que nous. C'est énervant ! »

Le téléphone sonne. Interruption. La secrétaire me fait savoir que ça va être long. Je m'éclipse discrètement pour errer dans les couloirs, mon passe-temps favori.

Rencontre avec un chef de service, déjà vaguement aperçu dans un séminaire.

On reparle de délégation.

« Alors là, je vais vous dire comment ça se passe ici. Pour de vrai. Tout le monde est poussé à foncer, c'est vrai. En avant toute. No limit. La force est en nous. Banzaï ! Mais attention, méfiance. Pas de règles claires, et c'est le piège. Demandez à Marcel. Le jour où on l'a pris en train de s'échiner sur un dossier déjà négocié par ailleurs. Engueulade sévère, limite goudron et plumes. Suppression de sa prime. Alors depuis, ce pauvre Marcel, ne lui parlez plus ni d'initiative ni de délégation. Méfiant et suspicieux. Et il n'est pas le seul. Nous sommes tous des Marcel ! »

Intéressant.

Retour dans le bureau de madame le Directeur. Son palabre au téléphone est terminé. La conversation reprend. Je reviens sur cette affaire de délégation et sur ses déceptions. Croisons nos deux sources d'information et tentons une explication : « Vous poussez tout le monde à entreprendre. Vous avez raison. Vous négligez de préciser toutes les règles du jeu, au prétexte que, pour vous, elles vont de soi. Là, vous avez tort. Se retrouver "hors-jeu" sans avoir pu le savoir d'avance ne provoque toujours qu'une seule réaction : l'envie de ne plus jouer. Ou de jouer "sous la main", comme disent les bridgeurs. Plus votre délégation est ambitieuse, plus elle doit être formalisée. Sinon, le piège est déjà en place, et le "hors-jeu" devient prévisible. »

Air contrit de l'arbitre, ma cliente, qui siffle la fin de la partie...