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Le développement durable crée de nouveaux outils juridiques

SANS | publié le : 26.08.2003 |

Pour l'avocat Olivier Barrat, le développement durable et la soft law (chartes et pactes, notamment) qu'il génère s'imposeront comme des moyens de réguler les relations sociales au-delà du droit traditionnel et de mieux valoriser l'entreprise.

E &C : Le développement durable représente-t-il des contraintes, notamment en matière de droit social, pour les entreprises ?

Olivier Barrat : Je ne pense pas qu'il faille considérer la responsabilité sociale comme une contrainte imposée à l'entreprise. Mais, en l'occurrence, deux conceptions s'affrontent. D'une part, le développement durable, démarche d'intégration à la gestion de l'entreprise d'éléments qui vont au-delà du droit du travail, peut apparaître comme un étage supplémentaire de contraintes, lié aux soucis d'image et à l'action de groupes de pression, par exemple. Cette définition renvoie à une idée de l'entreprise comme mal nécessaire pour créer de l'activité, mais avec une dimension prédatrice, à laquelle le droit doit poser des limites.

D'autre part, on peut inscrire le développement durable dans une logique d'élargissement de la valorisation de l'entreprise. Les critères comptables avouent leurs limites : par exemple, la majorité des fusions ont échoué pour des raisons qui échappent à ces seuls critères comptables. Il faut donc aller chercher dans le droit social d'autres critères pour mesurer la valeur de l'entreprise. On peut, dès lors, considérer le droit plutôt comme un outil de gestion que comme une contrainte, et l'implémenter par la négociation, les accords, les conventions, mais aussi, notamment, par des chartes. Dans ce cas, le droit permet une relation contractuelle entre l'employeur et le salarié, en prenant en compte l'existence d'une partie faible, qu'il protège. Il est une technique d'organisation du travail.

E &C : Juridiquement, comment les démarches de responsabilité sociale dans l'entreprise se traduisent-elles ?

O. B. : A travers le développement durable se mettent en place de nouveaux outils juridiques, sous forme de soft law. Ils représentent une forme d'engagement, entre la simple pétition de principe et l'accord négocié. Le pacte avec des organismes externes est un des outils du développement durable, tout comme la charte interne, pour autant qu'elle ne se contente pas d'être un nouveau règlement intérieur, mais plutôt l'expression de valeurs communes, de principes de gouvernance, d'un mode de régulation du comportement des salariés en dehors du pouvoir disciplinaire. Mais ces principes nouveaux peuvent aussi se décliner sous des formes juridiques classiques, comme des accords collectifs, sur les fins de carrière, sur la formation...

E &C : Dans quelle mesure cette soft law est-elle opposable ? L'entreprise est-elle réellement tenue de respecter les engagements pris ?

O. B. : Certains contentieux portent actuellement sur la valeur juridique d'une charte. Un débat technique a lieu avec l'inspection du travail : est-elle assimilable à un règlement ? Si c'est le cas, le pouvoir de contrôle de l'inspection du travail s'exercera. Les principes exposés dans une charte interne auront, au minimum, une valeur d'engagements unilatéraux pour l'employeur.

Des engagements pris en externe et non respectés pourront aussi conduire à des condamnations. Déjà, dans le domaine environnemental, une action a été menée par une ONG américaine. Celle-ci acceptait de cautionner une ligne de produits verts, mais elle s'est rendu compte que d'autres articles de la même compagnie n'étaient pas socialement responsables. Elle a demandé des dommages et intérêts et a obtenu une transaction. De la même façon, des entreprises qui s'associeront avec des ONG pour faire valoir leur gestion responsable des hommes, dans des pays où la législation du travail est défaillante, pourront s'exposer à des demandes de dommages et intérêts si elles ne respectent pas les engagements pris, pour avoir utilisé indûment l'image de l'ONG.

La soft law n'est pas neutre juridiquement, ce n'est pas un non-droit. Dernier exemple : imaginons le cas d'un employeur qui affirme des valeurs dans une charte, et dont l'un des salariés se rend compte, après son recrutement, que ces valeurs ne sont pas respectées. Il pourra invoquer le problème du consentement et faire valoir qu'il a été trompé.

E &C : Le champ d'application du droit traditionnel pourrait-il se réduire, ou ne plus évoluer, au profit de cette soft law émergente ?

O. B. : L'évolution du droit est d'abord un problème politique. C'est à l'Etat de ne pas faire du développement durable une théorie de l'impuissance publique. D'au- tre part, le développement durable et la soft law qu'il crée n'ont pas vocation à se substituer au droit, mais plutôt à baliser des espaces où le droit n'entre pas. La réglementation par des voies classiques est parfois vouée à l'échec, notamment dans des domaines trop particuliers pour qu'une loi commune soit adaptée, ou qui nécessiteraient une loi à multiples tiroirs, peu efficace. La soft law vient donc réguler, plutôt que réglementer, un espace de liberté.

PARCOURS

- Olivier Barrat, 38 ans, est avocat et conseil en droit social au cabinet Barthélémy et associés.

- Il donne des cours pour le DJCE (Diplôme de juriste conseil d'entreprise) de l'université de Cergy-Pontoise, le DESS protection sociale de l'université de Montpellier et le DESS DPRT (droit et pratiques des relations du travail) de Paris-2.

SES LECTURES

n L'éthique protestante et l'esprit du capitalisme, Max Weber, Flammarion.

Le droit social peut être aussi une technique d'organisation de l'entreprise, Jacques Barthélémy, Liaisons sociales.

L'entreprise et l'éthique, Jérôme Ballet, Françoise de Bry, Seuil.