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La difficile greffe d'Internet en milieu ouvrier

SANS | publié le : 26.08.2003 |

En novembre 2001, Péchiney Capsules lançait une opération fortement originale : offrir à ses opérateurs un accès à Internet et à intranet depuis la télévision familiale. Deux ans après, le pari de l'appropriation de la technologie n'est pas encore gagné.

Chez Péchiney Capsules (900 salariés), leader mondial de la capsule de bouchage et de surbouchage, seuls 6 % des salariés sont équipés d'ordinateurs. Afin de faciliter l'accès des opérateurs de fabrication aux nouvelles technologies, d'élever leurs compétences informatiques et de lutter contre la fracture numérique, le groupe industriel a imaginé, en novembre 2001, Planetcap.

Le principe : offrir à cette population un portail Internet/intranet accessible depuis la télévision familiale. L'unité centrale du PC est remplacée par un boîtier équipé d'un modem, la navigation s'effectuant à partir d'un clavier infrarouge. Avantage de ce moyen de communication : son prix. « Calculé sur une durée de deux ans, l'investissement s'est élevé à environ 305 euros par salarié, coût des communications compris », indique Bertrand Calmon, DRH de Péchiney Capsules.

Une initiative saluée par la critique

Presque deux ans après son lancement, quel bilan dresser de ce projet, salué par la critique (Intranet d'or 2001, Nets d'or 2002, Trophée IDG-Le Monde informatique 2002) ? L'approche purement statistique révèle que 86 % des salariés visés, soit 659 personnes, ont été équipés, la démarche n'ayant pas été étendue aux filiales étrangères. Parmi les réfractaires, certains ont été rebutés par le peu de mémoire disponible, un élément qui se révélera un des talons d'Achille de Planetcap. Plus logique : des salariés déjà possesseurs de PC à leur domicile ont décliné l'offre.

En matière d'utilisation, 30 % des salariés se connectent, aujourd'hui, régulièrement, contre 60 % au démarrage de l'opération. « Un taux qui, compte tenu du caractère expérimental du projet, reste satisfaisant. Il faut aussi rappeler, plaide le DRH, que 25 % seulement de la population française fréquente régulièrement le web. Sans oublier que ces surfeurs sont plutôt des catégories socioprofessionnelles élevées, résidant dans les grandes villes. »

Plus gênant pour Péchiney Capsules, les opérateurs naviguent, à 80 %, sur la partie généraliste du portail (loisirs, sports, achats...), délaissant l'espace entreprise. Satisfaction, toutefois, pour Bertrand Calmon, le "Guichet RH" est la rubrique la plus visitée de l'espace institutionnel.

Quelques échecs

« L'enrichissement de l'intranet a été progressif, avec la mise en ligne des dossiers individuels, des plannings de congés et, dernièrement, des oeuvres sociales du comité d'entreprise », poursuit-il. Afin de susciter l'intérêt des salariés, la direction a pris aussi quelques initiatives dont toutes n'ont pas rencontré l'écho escompté. « L'accès aux petites annonces a été un échec, concède le DRH. L'organisation, en juillet 2002, d'un concours sécurité a mieux fonctionné : 80 réponses ont été expédiées depuis les TV. »

« Planetcap nous a été annoncé à la suite d'une réunion très tendue sur les salaires. D'un point de vue communication, ce n'était pas très habile. Il me semble surtout qu'il n'a pas été assez relayé par la hiérarchie », soulève, de son côté, Michel Bourel, délégué syndical CFDT. Mais le frein le plus sensible aura été d'ordre technologique, lié à la très grande lenteur d'exécution des programmes. « Cela a rebuté pas mal de salariés qui étaient persuadés d'effectuer de mauvaises manipulations », souffle un utilisateur.

Outre le fait que des opérateurs aient pu découvrir Internet grâce à Planetcap, la direction se réjouit que ce projet ait contribué au renforcement du dialogue social et au développement du sentiment d'appartenance à l'entreprise.

De nouveaux projets

Mais la DRH a, aujourd'hui, d'autres projets, dont celui d'un portefeuille de compétences. « Le but étant, pour le personnel, d'effectuer des comparaisons entre ses compétences et celles requises pour un autre poste, afin de favoriser les évolutions », explique Bertrand Calmon. Un projet qui ne suscite guère d'enthousiasme chez les partenaires sociaux : « Nous craignons que Planetcap se transforme, à terme, en outil de travail. Quelle sera la prochaine étape ? De la formation en ligne ? », s'interroge Michel Bourel. En attendant, l'initiative a fait des émules. Le prestataire ISIconnect est sur le point de déployer la même technologie dans la filiale espagnole de Schneider Electric.

Planetcap, objet de recherche

- Planetcap ne laisse pas les chercheurs indifférents. Dans le cadre du DEA e-management de l'université Paris-Dauphine, Olivier Betton, par ailleurs spécialiste en organisation, prépare un travail de recherche sociologique sur ce projet.

- Il tentera, notamment, de répondre à cette question centrale : comment les ouvriers de Péchiney Capsules se sont-ils appropriés cette technologie qui leur était complètement étrangère ?

- « Pour le champ de la recherche, explique-t-il, cette expérience est très intéressante, car elle replace l'acteur au centre du système. Elle ne voit pas les TIC comme un simple outil de traitement d'information au service du fonctionnement des organisations, mais plutôt comme un moyen de développer le collectif, condition nécessaire pour un développement. »