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L'emploi, maillon faible des cessions

SANS | publié le : 08.07.2003 |

Une opération de cession d'activité est encadrée par le Code du travail tant dans le fond que dans la forme. Néanmoins, des détournements sont toujours possibles.

Qui dit transfert de salariés dit transfert des contrats de travail. C'est ce qu'impose l'un des articles phares du Code du travail, à savoir le L.122-12. « Cet article, en vigueur depuis 1928, est un principe d'ordre public, avertit Me Olivier Meyer, du cabinet DMD avocats. Il s'applique de plein droit et n'est donc pas soumis à la volonté des parties, à savoir le cédant, le repreneur ou les salariés. » Tout ce qui a donc trait aux garanties et aux droits individuels se retrouve en l'état chez le nouvel employeur. Il s'agit principalement des questions de rémunération : salaire, avantages en nature, ancienneté... A priori, rien de très compliqué.

Acquis sociaux

Quid des autres acquis sociaux, ceux contenus dans les accords et les conventions collectives ? « Lors d'un transfert, et selon l'article L.132-8, leur durée de vie est limitée, de l'ordre d'une année à l'issue de laquelle, et après négociation avec les syndicats, un accord de substitution est conclu, précise Me Yasmine Tarasewicz, avocate du cabinet Proskauer Rose. Souvent, l'ancienne convention s'efface au profit de la nouvelle, afin qu'il ne subsiste aucune différence de traitement entre les personnels. »

Article pervers

Là réside toute la perversité d'une opération impliquant le L.122-12, selon Matthias Rubner, avocat du département social du cabinet Latham & Walkins : « Cet article a longtemps été perçu comme une avancée sociale, c'est-à-dire le maintien du contrat de travail visant à sécuriser les salariés dans la nouvelle entité. Depuis une dizaine d'années, les grosses entreprises ont compris comment l'utiliser pour satisfaire leurs contraintes. Elles choisissent de se recentrer sur le coeur de métier, et extraient une partie de leur personnel du champ d'un statut collectif considéré comme trop coûteux. »

D'autres, via des contrats de sous-traitance, allègent leurs effectifs et échappent au financement d'un plan social.

Justice attentive

Mais attention, toute activité n'est pas transférable. La direction de Perrier Vittel France l'a appris à ses dépens, lorsque, le 18 juillet 2000, la Cour de cassation a jugé irrecevable la mise en place d'un L.122-12 dans le cadre de l'externalisation de la fabrication et de la réparation de ses palettes de bois. Selon la Haute Juridiction, cette activité ne poursuivait pas un objectif propre et n'était qu'un « simple démembrement des services centraux de l'entreprise ».

Rien, dans la fixation d'objectifs de production, dans l'organisation des équipes, dans la gestion des personnels et des approvisionnements ne relevait, en effet, d'un pouvoir autonome de décision. Dès lors, elle ne pouvait pas être considérée comme une entité économique autonome, condition préalable à faire valoir pour transférer ses salariés.

Même punition pour le groupe Alstom, qui a été condamné par les prud'hommes d'Alès, le 12 juin 2002, à réintégrer l'ensemble de ses ex-salariés confiés aux Ateliers mécaniques de St-Florent (AMSF), dans le Gard, au motif que la fabrication de ce sous-traitant était une composante de la production globale d'Alstom et restait donc liée au groupe. Le jugement est en référé.

Transferts litigieux

Autre jurisprudence défavorable aux entreprises : celle du 20 mars 2002, qui annonce comme nuls les licen-ciements intervenus « à l'occasion du transfert ». Pour Me Yasmine Tarasewicz, la Cour de cassation est allée très loin : « Imaginons une entreprise qui licencie ; sa nouvelle organisation séduit un repreneur. Les salariés licenciés peuvent alors exiger, sur le fondement du L.122-12, d'être intégrés chez ce repreneur ou de percevoir des dommages et intérêts par le cédant pour n'avoir pu poursuivre leur contrat de travail. Mais jusqu'où doit-on remonter ? Autrement dit, qu'advient-il des licenciements survenus, par exemple, six mois avant ? »

Si ces arrêts compliquent sérieusement les transactions de cession, ils fournissent les seules parades dont peuvent se saisir les salariés, dont la garantie d'emploi n'est, à aucun moment, mentionnée dans le L.122-12.

Devanlay/Aubelin : l'article L.122-12 est sans effet face à la faillite

Ce n'est pas faute d'avoir été prévenu. Lorsque Devanlay-Lacoste décide de vendre à la société Aubelin ses deux ateliers de confection de Bar-sur-Aube et de Chaource (10), de nombreuses voix (sénateur, préfet, syndicalistes) s'élèvent pour l'avertir du manque de fiabilité du repreneur. Qu'importe l'avis des membres du comité d'établissement, la transaction a lieu. En janvier 2000, Aubelin acquiert le fonds d'industrie pour une poignée d'euros et hérite, par la même occasion, des 140 ouvrières qui y sont employées.

Sans surprise, l'affaire tourne court. Et malgré l'occupation des usines, qui durera cinq mois, le tribunal de commerce de Troyes prononce, le 15 mai 2001, la liquidation judiciaire d'Aubelin, soit dix-huit mois seulement après la cession. Bien que désigné par l'administrateur judiciaire en charge du dossier comme responsable d'avoir masqué le désengagement à moindre coût d'une partie de son activité lingerie, et sommé de reprendre l'activité, Devanlay SA ne réintégrera qu'un salarié sur l'ensemble. C'est le fonds de garantie qui paiera les salaires et autres indemnités légales de licenciement. Lot de consolation, les salariés obtiennent des juges que Devanlay leur verse 15 396 euros de dommages et intérêts pour préjudice moral. Et après la signature d'un protocole engageant les salariés à ne plus l'attaquer pour perte d'emploi, Devanlay accepte de financer l'antenne emploi qui accompagnera, durant dix mois, ses ex-salariés.

Si la moitié de l'effectif a pu sortir son épingle du jeu grâce à des mesures d'âge, des réorientations professionnelles ou quelques CDI, l'autre moitié vit toujours de boulots précaires.