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DES LICENCIES EN CLASSE ECO

SANS | publié le : 17.06.2003 |

Les salariés des petites entreprises confrontés à des licenciements sont, la plupart du temps, laissés sans filet de protection : pas de primes additionnelles de départ, pas de congé de reclassement, et, le plus souvent, absence d'antenne emploi. Hormis quelques rares exemples d'actions collectives, les salariés des PME sont souvent les laissés pour compte des restructurations.

C'est une petite entreprise de métallurgie comme il en existe des milliers en France. Dans cette PMI de 43 salariés, implantée dans l'Orne, la fabrication de panneaux métalliques a été arrêtée, entraînant le licenciement de six salariés. Trop peu pour faire un plan social. Trop fragile pour verser de confortables indemnités de licenciement. Les six ouvriers ne recevront donc que le minimum légal, entre 3 200 et 4 260 euros, après quinze à dix-huit ans d'ancienneté. Leur point de chute ? L'ANPE, où ils se démènent pour retrouver un emploi. Mais après quatre mois de recherche, l'énergie s'essouffle : deux seulement ont décroché un travail, l'un en CDD et l'autre, en intérim.

A quelques encablures de là, à Flers, les 21 salariés licenciés d'Odon-Delcroix (textile) ont été un peu plus "chanceux" : ils ont eu accès à une antenne emploi, prise en charge, pendant huit mois, par l'association L'Etape, de Vire, spécialisée dans l'accompagnement vers l'emploi. C'est l'Etat, par le biais du Fonds national pour l'emploi, qui a payé la facture, soit 1 067 euros par personne à reclasser.

Fortes différences de traitement

Une chance, certes, mais une bien maigre consolation comparée à leurs voisins, les ex-Moulinex, qui ont décroché des primes additionnelles pouvant aller jusqu'à 12 196 euros, en fonction de l'ancienneté des personnes licenciées. De quoi susciter bien des jalousies ! Car en matière de licenciement, les différences de traitement sont extrêmes : par exemple, les salariés de Danone ont eu droit à un plan social "quatre étoiles", avec des primes de départ d'environ 38 000 euros et un délai de deux ans et demi pour se reclasser, tandis qu'à Romorantin, dans le Loir-et-Cher, les ex-Matra ont obtenu entre 60 000 et 75 000 euros.

Fracture sociale

Très tôt, quelques experts ont tiré la sonnette d'alarme, Michel Bove, délégué à la revitalisation sociale et économique, en tête : « On ne peut pas continuer à supporter, d'un côté, des "nababs" qui perçoivent 80 000 euros et, de l'autre, des laissés pour compte qui ne partent qu'avec le minimum légal. Si on ne s'attaque pas à ces conditions-là, on va vers une vraie fracture sociale. Car nous sommes au tout début d'une crise profonde. Avec la mondialisation et l'entrée des pays de l'Est dans l'Union européenne, nous entrons dans un cycle de restructurations permanentes qui frappe de plein fouet les petites entreprises industrielles, employant une main-d'oeuvre vieillissante et peu qualifiée. »

De fait, les salariés des petites structures ne peuvent pas bénéficier, comme leurs collègues des grandes entreprises, de plusieurs avantages : pas d'indemnités de licenciement supplémentaires, pas de congés de reclassement, et, parfois, absence d'antenne emploi. La loi de modernisation sociale, votée en janvier 2002, a même renforcé le clivage : ainsi, le congé de reclassement, d'une durée maximale de neuf mois, n'est obligatoire que dans les entreprises ou groupes de plus de 1 000 salariés.

Hors plan social

« Une loi sur les licenciements doit s'attacher à couvrir les plus déshérités », regrette Christian Larose, secrétaire général de la fédération CGT du textile, qui dénonce la disparition de 15 000 postes, chaque année, dans ce secteur. Des licenciements souvent décidés ou annoncés dans l'indifférence. Car à côté des très médiatiques plans sociaux de Metaleurop, Lu et Giat, 85 % des licenciements se déroulent hors plan social. Et donc, sans filet de protection.

Solutions équitables

Comment éviter un système à deux vitesses ? Comme pour les retraites, le gouvernement devra trouver des "solutions équitables". Pour y parvenir, il compte bien s'appuyer sur les réflexions de Claude Viet, nommé, à l'automne dernier, délégué à la mission interministérielle des mutations industrielles. Ses propositions ? L'une concerne la création d'observatoires régionaux qui auraient pour mission d'analyser les évolutions des différents secteurs d'activité afin d'anticiper les évolutions à venir. L'autre instrument, spécifiquement destiné aux PME, serait la mise en place de tableaux de bord permettant de détecter les problèmes de ces entreprises et les risques d'accident à l'échéance d'un an. Mais nul ne s'y trompe : il s'agit, avant tout, d'actions préventives qui n'améliorent en rien le sort des salariés fraîchement débarqués. Les contrats de site, décidés par le Comité interministériel et de développement du territoire (Ciadt) du 26 mai, n'apportant pas, non plus, de secours immédiat pour les PME : hormis pour deux départements touchés par la crise du textile, les Vosges et l'Aube, ces actions de revitalisation concernent, d'abord, les bassins d'emploi touchés par les restructurations des grandes entreprises : ACT Manufacturing, Giat, Daewoo...

Code du travail pointé

Du coup, plusieurs experts n'hésitent pas à pointer du doigt le Code du travail qui scinde la France en deux. Car en matière de restructuration, il y a bien deux clans : les entreprises de plus de 50 salariés et celles de moins de 50. « Ce découpage ne correspond pas à la réalité, soulève Jean-Marie Bergère, directeur général de Développement & Emploi. Les plans sociaux ne sont pas exigés pour les entreprises de moins de 50 salariés. Or, la plupart de ces PME appartiennent, aujourd'hui, à des groupes qui se désengagent totalement de leurs responsabilités. » Un avis également partagé par Frédéric Bruggeman, consultant du Syndex, qui plaide, de son côté, pour une refonte des seuils sociaux (voir Entretien p. 21). Mais ces revendications peinent à être entendues. Le ministère craint, en effet, que ce genre de réforme ne pousse les grands groupes à des montages financiers plus ou moins hasardeux, allant, pour les moins scrupuleux, jusqu'au dépôt de bilan des filiales boiteuses. Autrement dit, sollicitant les mannes de l'Etat pour venir à la rescousse des salariés licenciés.

Riposte de terrain

Du coup, face à cette inertie, la riposte s'organise sur le terrain, et souvent avec l'aide des pouvoirs publics, par l'intermédiaire du Fonds national de l'emploi. Plusieurs acteurs sociaux ont, ainsi, décidé de rectifier les frontières entre grandes et petites entreprises. C'est, par exemple, le cas du Choletais (49), malmené par la crise du textile. L'Etat, la région et le conseil général du Maine-et-Loire se sont, avec le concours des fonds sociaux européens, mobilisés pour concocter une plate-forme de reconversion des industries de la mode afin d'accompagner le reclassement de milliers de licenciés. Depuis sa création, en 2000, 87 % des personnes prises en charge ont retrouvé un CDI.

C'est aussi l'exemple du Soissonnais. Dans ce bassin d'emploi, qui a dû faire face, en 2002, à la fermeture simultanée de quatre PME, A & R Carton Saint-Germain, BSL Industries, Pecquet-Tesson et Berthier (filiale de BSL Industries), les acteurs - Etat, région, conseil régional et fonds sociaux européens - ont, là encore, pris les choses en main. L'entêtement a fini par payer puisqu'ils ont obtenu un accompagnement digne d'un grand groupe, avec, à la clé, reclassement sur dix-huit mois et réindustrialisation ; 458 personnes ont trouvé une solution. Des actions collectives qui répondent à un vrai besoin.

L'essentiel

1 Dans des situations similaires, les salariés des petites entreprises ne peuvent pas bénéficier des mêmes droits en termes de reclassement que ceux des grandes sociétés. La loi de modernisation sociale a renforcé les clivages. Aujourd'hui, à peine 15 % des licenciés sont couverts par un plan social.

2 Le gouvernement tente de réduire ces inégalités en s'appuyant sur la mission interministérielle des mutations industrielles, dirigée par Claude Viet. Mais, refusant de jouer au "pompier social", l'ancien directeur général de La Poste fait, avant tout, des propositions préventives.

3 En attendant de vraies solutions curatives, les acteurs locaux, avec le soutien des pouvoirs publics, s'organisent sur le terrain. Et obtiennent des résultats.