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L'équité générationnelle peut maintenir les seniors au travail

SANS | publié le : 10.06.2003 |

Le sentiment précoce de fin de vie professionnelle, provoqué par le plafonnement dans l'organisation et le contenu des missions, démotive les seniors. Seules des politiques RH fondées sur l'équité générationnelle permettront leur maintien dans l'entreprise.

E & C : L'allongement de la durée de vie professionnelle, induit notamment par la réforme des retraites, inquiète. Aujourd'hui, les salariés n'imaginent pas rester dans l'entreprise plus longtemps. Pourquoi ?

Jean-Marie Peretti : Parce que, pour l'heure, les quinquagénaires sont très souvent confrontés dans leur entreprise au sentiment précoce de fin de vie professionnelle, le SPFVP. Il s'agit d'une forme de désengagement du senior vis-à-vis de l'entreprise et d'un rééquilibrage de ses objectifs vers une dimension extra-professionnelle. Plusieurs éléments l'expliquent : le sentiment d'un plafonnement dans le contenu du travail et dans l'évolution professionnelle, conduisant à l'idée que la vraie vie commence avec la retraite, qu'on idéalise. D'autre part, le vieillissement se traduit par une réduction des aptitudes physiques et par la survenance d'événements de la vie personnelle - deuils, handicap... - qui modifient la perception des priorités.

C'est dire que des mesures contraignantes - fin des dispositifs de préretraite, décote appliquée sur les pensions pour les départs anticipés - ne suffiront pas. Des mesures restrictives ne seront efficaces que s'il existe, par ailleurs, des incitations positives qui donnent envie de poursuivre la vie professionnelle. Les entreprises n'auront pas intérêt à conserver des salariés qui ne souhaitent que partir et pour qui le bonheur est dans la préretraite.

E & C : Peut-on venir à bout de ce sentiment d'usure ?

J.-M. P. : Il faut distinguer plusieurs populations. Les ouvriers souffrent souvent d'une détérioration physique, liée aux conditions de travail des années 60 et 70, qui justifie l'expression "travailleur usé". Un ouvrier quinquagénaire qui a travaillé dans des conditions difficiles pendant trente-cinq ans doit pouvoir partir. Mais quand l'usure au travail n'est pas liée à une pénibilité physique, l'entreprise doit agir pour y faire face, au lieu de conserver des pratiques qui conduisent à l'éviction des seniors. Elle doit, notamment, réduire les causes de ce sentiment de SPFVP : éviter la perception par les salariés d'un plafonnement dans le contenu de leur poste. Les seniors observent que les missions qui leur sont confiées ne s'enrichissent plus, que les évolutions techniques et les nouveaux défis à relever sont réservés aux plus jeunes ; éviter la perception d'un plafonnement structurel qui laisse croire aux seniors que leurs responsabilités ne progresseront plus, que les mesures de promotion seront réservées aux plus jeunes. Les DRH doivent veiller à l'équité intergénérationnelle en matière de promotion. C'est aussi le moyen de rassurer tout le monde sur les possibilités d'évolution dans l'entreprise ; maintenir l'employabilité des seniors, en assurant une formation à la dimension de leurs besoins. Les entreprises ont longtemps considéré que leur investissement en formation pour les seniors ne serait pas suffisamment amorti, ensuite, sur le terrain. Les quinquagénaires eux-mêmes demandent peu de formations lourdes, parce qu'ils connaissent la préférence de l'employeur pour former les plus jeunes, et parce qu'ils sont désengagés.

Pour modifier cette situation, il faut convaincre le senior qu'une formation se justifie pour lui, mais aussi pour l'entreprise et pour la collectivité. Les seniors doivent sentir que leurs compétences sont nécessaires au bon fonctionnement de l'économie. Les démarches de VAE devraient, d'ailleurs, être un moyen important de reconnaître et de motiver des salariés âgés, qui ont un niveau de qualification initiale souvent inférieur à celui de leurs jeunes collègues. Enfin, il faut veiller à leur mobilité. La mobilité accroît l'employabilité, or les demandes des quinquagénaires sont souvent écartées.

E & C : Faut-il mettre en oeuvre des mesures ciblées sur ces populations ?

J.-M. P. : Les discriminations positives génèrent des effets pervers qui font naître chez les quinquas, et chez les autres salariés, l'idée qu'ils sont différents, traités de façon spéciale en raison de leur âge.

L'entreprise, qui veut "requinquer ses quinquas" durablement, doit surtout faire disparaître toute mesure différenciée en fonction de l'âge, et pratiquer une gestion de la diversité. Elle peut, pour assurer cette démarche et la communiquer, créer des indicateurs d'équité générationnelle, permettant de vérifier que les règles sont les mêmes pour tous : taux d'accès à la formation, taux de mobilité interne, de promotion, augmentations individualisées... Vouloir modifier les responsabilités des salariés âgés me paraît une erreur. Les essais de seconde carrière, les tentatives pour capitaliser l'expérience des seniors (coaching, tutorat) ont montré leurs limites. Elles sont souvent perçues comme un sas entre la vie professionnelle et la retraite, un placard. Or, on ne prend conscience de son âge que dans le regard des autres.

SES LECTURES

- Equipes RH, acteurs de la str@tégie : l'e-RH, mode ou révolution, collectif sous la direction de Berbard Merck, éditions d'Organisation, 2002.

- La responsabilité sociale de l'entreprise, Jacques Igalens et Michel Joras, éditions d'Organisation, 2002.

- Personnel et DRH, Jean Fombonne, éditions Vuibert, 2001.

PARCOURS

Jean-Marie Peretti est enseignant-chercheur en GRH, directeur de l'IAE de Corte et professeur à l'Essec. Il a publié de nombreux ouvrages, parmi lesquels Gestion des ressources humaines (11e édition en 2003), le Dictionnaire des ressources humaines (3e édition en 2003) et dirigé des ouvrages collectifs associant universitaires et praticiens, comme Tous DRH (3e édition en 2002).

Président de l'Associa- tion francophone de gestion des ressources humaines (AGRH), il participe activement au renforcement des échanges au sein du monde francophone et au rapprochement universitaires-praticiens.