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Quand l'entreprise s'ouvre aux profs

SANS | publié le : 03.06.2003 |

Depuis janvier 2002, l'Institut de l'entreprise propose des stages d'immersion aux professeurs de sciences économiques du secondaire. Une première qui rencontre un franc succès auprès des intéressés.

Cela commence comme un certain livre du romancier britannique David Lodge, Jeu de société, l'histoire d'une rencontre entre un directeur d'entreprise et une jeune universitaire. Une confrontation brutale et cocasse entre deux cultures presque opposées. Mais la similitude avec la fiction anglaise s'arrête là. Car, en France, l'expérience est devenue une réalité. L'initiative en revient à l'Institut de l'entreprise, un think tank patronal regroupant 120 sociétés françaises. L'idée ? Proposer des stages d'immersion aux professeurs de sciences économiques du secondaire dans les grands groupes internationaux de l'Hexagone.

Des cours inadaptés

A l'origine de cette démarche, un constat : « L'enseignement des sciences économiques n'est pas assez adapté à la réalité économique, regrette Jean-Pierre Boisivon, délégué général de l'Institut de l'entreprise, initiateur du projet. Les cours accordent plus d'importance aux politiques industrielles d'Etat qu'aux dynamiques des marchés. C'est une vision un peu vieillie de la réalité. »

De fait, si l'entreprise est partenaire de longue date dans certaines formations des grandes écoles, elle est, en revanche, peu présente dans le secondaire. Et le fossé ne cesse de se creuser. D'un côté, on trouve des enseignements déconnectés des milieux professionnels, de l'autre, des chefs d'entreprise qui se sont désolidarisés de l'éducation et sont peu impliqués dans la formation des jeunes.

Pour rectifier le tir, des stages de découverte et de compréhension de l'entreprise et de son environnement ont été mis en place par l'Institut de l'entreprise, en partenariat avec le ministère de l'Education nationale. D'une durée de deux mois, ils combinent l'observation des différents services, des journées de conférences dispensées par des spécialistes et des visites de sites. Le professeur continue à être rémunéré par l'Education nationale, ses autres frais (transports, restauration...) sont pris en charge par l'entreprise d'accueil. Trois sessions ont été organisées en un an et demi, qui ont réuni une cinquantaine de stagiaires.

Parcours complet

D'Air Liquide à Schneider Electric, en passant par Danone et Lafarge, une trentaine d'entreprises ont joué le jeu. « Le stage proposé au professeur est le parcours rêvé de tout jeune manager, indique Bertrand Leopardo, responsable des relations écoles & formation chez Lafarge. Pendant deux mois, notre stagiaire rencontre une soixantaine de collaborateurs, de l'ouvrier à la chaîne au président du groupe.» Idem chez Schneider Electric. « On ne peut pas durablement dire que l'enseignement ne prépare pas à l'entreprise et ne pas s'engager », poursuit Gilles Vermot-Desroches, directeur du développement durable chez Schneider Electric.

Expérience positive

Qu'en pensent les intéressés ? Ils apprécient la démarche. Pour Michel Christophe, professeur au lycée Marc-Bloch, à Bischheim, près de Strasbourg, qui a réalisé un stage chez Lafarge, « cette expérience apporte une valeur ajoutée à l'Education nationale. On ne fait pas la promotion de l'entreprise. Notre objectif est de nous appuyer sur la réalité pour construire un outil pédagogique. C'est vrai que nous sommes montrés du doigt par les syndicats qui craignent une mainmise du Medef sur l'Education nationale. Mais notre travail consiste à développer l'esprit critique de nos élèves. Or, pour être crédible, rien de tel qu'une immersion. »

Hélène Milhavet, professeur au lycée Montebello, à Lille, qui a fait un stage chez Danone, ne dit pas autre chose : « Si on veut une certaine honnêteté intellectuelle, il faut se confronter à la réalité. Pendant mon stage, j'ai appris plein de choses, notamment sur la culture d'entreprise, qui était, pour moi, jusqu'ici, une notion très abstraite. J'ai aussi découvert le fonctionnement d'une entreprise du point de vue de la DRH, un aspect qui tranche avec les aspects macroéconomiques qui me sont plus familiers. »

Aucun des deux, en revanche, ne souhaite franchir le pas. Travailler en entreprise ? « Pas question, poursuit Hélène Milhavet. J'ai remarqué beaucoup de pression, notamment dans les unités de production, où chaque instant a un coût. Et puis, la qualité de vie des salariés n'est pas la même que celle des enseignants. J'ai vu des mères de famille arriver à 7 heures et repartir à 20 heures, voire à 21 heures. Ce genre d'emploi du temps laisse peu de temps à la vie de famille. » Pour Michel, l'enseignement est vécu comme un « sacerdoce » et, malgré une vision très positive de l'entreprise (« J'ai vu des gens très intéressés par ce qu'ils faisaient »), il n'envisage pas de changer de vie.

Etude de cas

Mais tous les deux souhaitent poursuivre l'expérience. Hélène aimerait, par exemple, que l'administration et les organisations humanitaires s'ouvrent à ce genre d'expérience, tandis que Michel garde un contact avec Lafarge et planche, actuellement, sur une étude de cas, consacrée au développement durable. Elle sera, d'ailleurs, présentée, en octobre prochain, au cours d'une conférence sur la mondialisation au lycée Louis-le-Grand, à Paris. Une autre initiative de l'Institut de l'entreprise, qui vise, cette fois, la totalité des professeurs de sciences économiques du secondaire, soit 5 000 enseignants.