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« Faire de l'orientation une vraie fonction sociale »

SANS | publié le : 03.06.2003 |

En France, l'orientation professionnelle des adultes est réservée aux publics en échec alors qu'elle pourrait être un outil de pilotage des carrières. La prolongation de la vie professionnelle des salariés sera peut-être l'occasion de faire de l'orientation une vraie fonction sociale.

E & C : Que représente l'orienta- tion professionnelle des adultes en France ?

Françoise Nallet : En France, on mobilise des prestations d'orientation professionnelle - bilan de compétences, bilan de compétences approfondi, objectif projet - après un échec, un peu sur le modèle de l'orientation en formation initiale. Les bénéficiaires du bilan de compétences sont, à 72 %, des demandeurs d'emploi. Lorsque ce sont des entreprises qui proposent un bilan de compétences à leurs salariés, c'est souvent lorsqu'un problème se pose. Au lieu d'être une pratique positive, qui permet de travailler sur les projections, l'orientation est vécue comme une décision couperet. Elle est vécue aussi comme une injonction.

Jean-Pierre Boutinet, auteur de Psychologie des conduites à projet, parle de « terrorisme » du projet professionnel, commande pourtant passée à l'ensemble des prestataires qui interviennent dans le champ de l'insertion/réinsertion professionnelle. Demander à des personnes en grande difficulté de se projeter est un contresens. On ne peut se projeter que lorsqu'on a un capital, que l'on sait d'où l'on part et où l'on est. Or, la plupart des gens qui sont adressés sur des process d'orientation professionnelle doutent d'eux-mêmes parce qu'ils ont subi plusieurs licenciements et que leur quotidien est difficile. Se représenter un avenir à partir de là n'a pas de sens.

E & C : L'orientation professionnelle serait donc inutile pour des publics en difficulté ?

F. N. : Non, car une des rares études d'impact de l'orientation qui existent, commandée par la Direction générale de l'emploi et de la formation professionnelle et réalisée en 1998, montre l'utilité certaine de l'orientation. L'effet le plus notoire et partagé consiste dans l'amélioration de l'assurance dans sa capacité à retrouver un emploi. Les process les plus efficaces sont ceux dont les méthodes sollicitent et engagent le plus l'intéressé dans la construction de ses solutions.

Deux grandes familles existent dans l'orientation : l'orientation conçue comme un processus d'accompagnement à la prise de décision et celle qui consiste à faire un diagnostic et des préconisations. L'orientation telle qu'on la conçoit à Retravailler relève de la première école. Nous considérons l'orientation comme un projet pédagogique qui vise des apprentissages, l'acquisition de ressources qui permettent à l'individu de faire face à la complexité de son environnement.

Mais il y a toujours l'idée que l'orientation serait inutile en termes d'entrée dans l'emploi. On lui concède une fonction de réparation (1), à défaut de lui reconnaître une fonction d'anticipation.

E & C : Comment restituer cette fonction d'anticipation à l'orientation ?

F. N. : Le fait que les entreprises s'interrogent en ce moment sur les moyens de faire travailler les gens plus longtemps peut être l'occasion de mettre vraiment en place des pratiques d'orientation qui soient anticipatrices et non plus réparatrices. Certaines mettent en place des pratiques qui sont fondées sur les âges. Mais il faudrait plutôt analyser les parcours, les trajectoires professionnelles. On man- que cruellement de données de ce type en France. Pourtant, je suis convaincue qu'en analysant les parcours, on pourrait construire des typologies qui permettraient ensuite aux entreprises de voir comment on peut déclencher à nouveau de la motivation après 50 ans. On gagnerait beaucoup à utiliser l'orientation comme pilotage des carrières, qui seront de moins en moins linéaires et préprogrammées, plutôt que d'attendre que les gens soient à moitié cassés pour savoir comment on va les réparer.

L'autre facteur favorable à une meilleure utilisation de l'orientation est le décalage qu'on observe entre l'offre et la demande d'emploi. Il y a des métiers en tension et un nombre de demandeurs d'emploi qui ne baisse pas. Un travail sur les représentations des gens sur les métiers et sur leurs capacités à les pratiquer est à mener. Très peu appréhendent vraiment la réalité du monde du travail. Il est essentiel qu'ils puissent découvrir les conditions d'exercice des métiers - c'est une méthode que Retravailler met en oeuvre - pour changer leurs représentations. Il devient essentiel de désenclaver les cibles professionnelles encore très convenues, en particulier par les stéréotypes de sexe qui confinent l'activité professionnelle des femmes dans 6 groupes de professions sur les 31 recensés... Les pouvoirs publics, les conseils régionaux, les grandes institutions ont aujourd'hui pris la mesure de cette situation et impulsent des politiques qui s'appuient sur les pratiques d'orientation pour faire évoluer les mentalités. Bref, tous les éléments de contexte sont réunis pour faire de cette fonction d'orientation une vraie fonction sociale.

(1) Y a-t-il une demande d'orientation ?, Vincent Merle in L'orientation professionnelle des adultes, Etude Cereq, 1999.

SES LECTURES

Le travail à visage humain, S. Bellier, S. Rouvillois, P. Vuillet, éd. Liaisons, 2000.

- Objectif compétence : pour une nouvelle logique, Philippe Zarifian, éd. Liaisons, 1999.

- La fatigue d'être soi, Alain Ehrenberg, éd. Odile Jacob, 1998.

PARCOURS

Françoise Nallet est, depuis 1998, déléguée générale de l'Union nationale des associations Retravailler, réseau qui offre, aux chômeurs et aux salariés, des prestations d'orientation professionnelle et d'accompagnement vers l'emploi.

Elle était, précédemment, à la tête du Réseau national des centres institutionnels de bilans de compétences (CIBC) et directrice du CIBC de la Gironde, après neuf ans comme responsable de formation continue de l'université de Bordeaux-1.

Elle a publié de nombreux articles sur le bilan de compétences et l'orientation.

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