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L'HEURE DES SENIORS

SANS | publié le : 27.05.2003 |

Entre la réforme Fillon, qui allonge la durée de cotisation retraites et sonne le glas de la plupart des préretraites, et la perspective imminente du manque de compétences, les entreprises vont devoir garder les seniors plus longtemps. Celles qui font déjà face à l'urgence travaillent sur la motivation et la recherche de secondes carrières dès 45 ans, ainsi que sur la lutte contre les discriminations.

Cette fois, c'est sûr : il va falloir s'habituer à travailler plus longtemps. D'ici à 2020, les salariés qui ambitionnent de toucher la retraite à taux plein devront avoir cotisé pendant quarante-deux ans. Mais pourront-ils le faire ? En l'état actuel de la gestion des effectifs dans beaucoup d'entreprises, la question est devenue brûlante. Car la France va devoir gérer un paradoxe. Certes, d'autres pays ont choisi d'augmenter la durée de cotisation ou de reculer l'âge légal de la retraite. Mais la France fait aussi partie de ceux qui, en Europe, affichent les plus faibles taux d'emploi des salariés de plus de 55 ans (33,8 % en 2002).

Et il faudra engager rien moins qu'une petite révolution culturelle dans les entreprises pour que le paysage change rapidement. La culture des préretraites, fondées sur l'idée, entretenue depuis les années 70, qu'une sortie des seniors du marché du travail pouvait favoriser l'emploi des jeunes et la productivité des entreprises, a laissé des traces. Bénéficiant d'un large consensus des partenaires sociaux et longtemps financées par les pouvoirs publics, les préretraites, dont certains programmes continuent jusqu'en 2004 et 2005, par exemple dans la banque ou l'automobile, font déjà partie du passé.

Changement de comportement

L'Union européenne a fixé un objectif de relèvement du taux d'activité des seniors à au moins 50 % en 2010. De son côté, François Fillon sait que sa réforme des retraites ne sera socialement acceptable que si les comportements changent. Et il a appelé les entreprises à « se retrousser les manches », pour conserver les seniors au travail. Bernard Quintreau, membre du CES pour la CFDT, et auteur d'un rapport sur la gestion des âges, a constaté la même urgence : « Les seniors ont représenté, pendant un certain temps, des populations peu nombreu- ses. Aujourd'hui, les enfants du baby-boom ont 55 ans. Entre 2000 et 2010, les salariés de plus de 55 ans vont augmenter de 40 %. Continuer de les laisser partir revient à réduire significativement la population active. »

Manque de compétences

« Beaucoup de DRH ont déjà intégré l'objectif, note, de son côté, Jean-Marie Perretti, professeur à l'Essec. Ne serait-ce que pour préparer le choc du papy-boom et le risque à venir de manques de compétences. Dans les tableaux de bord sociaux, on voit apparaître de plus en plus d'indicateurs sur la gestion des âges : la formation des plus de 45 ans, leurs augmentations de salaires, ainsi que des indicateurs d'équité entre les différentes générations de l'entreprise. » Le « requinquage des quinquas », selon son terme, commence, en général, à 45-48 ans.

Le mouvement est déjà lancé, même si une poignée d'entreprises seulement s'y attellent sur le terrain. Ce sont, en particulier, celles qui ont bénéficié des derniers dispositifs de préretraites publiques : ils étaient conditionnés à la signature d'un volet de gestion prévisionnelle des effectifs et des compétences (GPEC), qui porte, notamment, sur les seniors. C'était le cas chez Rhodia, au Cré- dit Lyonnais, dans l'automobile...

On voit apparaître des bilans de carrière spécifiques aux 45-50 ans. L'objectif est de rassurer et de motiver les salariés, en faisant le point sur leurs compétences, acquises dans et hors de l'entreprise, en recueillant des voeux d'évolution professionnelle. Ils peuvent ensuite être orientés vers une seconde carrière s'ils le souhaitent, notamment dans des fonctions de gestion de projet, de tutorat ou de conseil interne.

Les conclusions du cabinet Aster, qui a réalisé, en avril dernier, une enquête auprès de 200 entreprises, notamment sur les priorités de leur gestion des âges, confirment plus globalement cette approche. En matière de développement des compétences par classes d'âge, le management de projet est mis en avant pour les seniors (53 %), devant les salariés d'âge intermédiaire (46 %) ainsi que, classiquement, le management d'équipe (60 % contre 72 % pour les salariés d'âge intermédiaire).

Capitaliser le savoir-faire

Autre enseignement : le sort des seniors n'est pas envisagé distinctement des autres populations. Ainsi, parmi les priorités des DRH interrogés par Aster : « développer l'employabilité des seniors » ou leur « ouvrir des perspectives d'évolution professionnelle » ne recueillent que 7 % chacune, alors que « capitaliser les savoir-faire des seniors » et « faire cohabiter les juniors et les seniors » sont cités, respectivement, par 32 % et 20 % des DRH.

Dans les entreprises qui ont entamé une réflexion, les mesures ciblées sur la population senior sont rares. Devant l'exemple de la contribution Delalande, pour laquelle aucun bilan n'a été dressé, mais dont les effets sclérosants sur le marché du travail des seniors sont patents, la plupart des directions préfèrent éviter de stigmatiser une population particulière. En revanche, assurer la bonne coexistence des différentes générations est primordial.

Supporter le poste

Chez Renault, par exemple, on établit une "quotation ergonomique" des postes, une étude des postures dès la conception du véhicule. Ces éléments font partie du système de production Renault (SPR). Ils permettront, bien sûr, aux salariés âgés de mieux supporter leur poste, mais, plus largement, ils s'intègrent dans un effort global d'amélioration de la productivité. « D'autre part, nous veillons à l'impact du maintien dans l'emploi des seniors sur les autres populations, explique Jean-Michel Kerebel, le DRH de Renault. En 2006, avec des classes d'âge nombreuses à plus de 55 ans, il y aura une phase de transition à passer, avec un risque de modification de la politique de promotion. Il faudra donc aussi veiller à la motivation des tranches d'âge intermédiaires, en s'assurant que la politique de promotion ne les pénalise pas. »

Discriminations

La lutte contre les discriminations et les a priori semble être un préalable qui facilitera beaucoup les choses. « Traiter ensemble et de la même manière les collaborateurs, pour la mobilité, la formation et les rémunérations, est l'essentiel, martèle Tanguy du Chéné, DRH du groupe Banques populaires. Changer le regard des dirigeants et des DRH est sans doute plus important qu'engager des actions ciblées. Il faut communiquer en permanence et avoir un discours clair. »

L'improductivité des seniors ? Des tâches plus orientées vers le transfert de compétences ou, en tout cas, faisant appel au savoir-faire, et le souci d'assurer la mixité entre générations, dans les ateliers de Renault, par exemple, peuvent venir à bout de ce soupçon.

Le prix des seniors

Le prix des seniors ? Le salaire à l'ancienneté fait aussi partie du passé. Les rémunérations se sont beaucoup individualisées et flexibilisées. Christine Fabresse, directrice du développement des RH du Crédit Lyonnais, qui déploie un dispositif global en direction des plus de 45 ans, relativise un possible effet inflationniste du maintien des seniors dans l'entreprise sur la masse salariale : « Avec la pénurie à venir de cadres, l'effet inflationniste risque de peser aussi beaucoup sur les salaires des débutants. »

Autant d'éléments qui devraient faire passer l'envie de se débarrasser des seniors. Les Etats finlandais et britannique, qui ont obtenu d'excellents résultats dans ce domaine, ont par exemple choisi de l'expliquer par le menu à leurs administrés, lors de vastes campagnes sur les atouts de l'âge.

Olivier Spire, Pdg du groupe Quincadre, notamment spécialisé dans le recrutement des seniors, a bon espoir, même s'il constate que bien peu de choses sont faites sur la formation et la gestion des carrières, et bien qu'il eut souhaité un petit coup de pouce institutionnel sur les dépenses de formation pour les seniors. Pour faire accepter les recrutements des plus de 50 ans, il a fallu quelques années, selon lui. Il en faudra autant pour gérer correctement leurs carrières.

L'essentiel

1 L'allongement de la durée des cotisations retraites va prolonger les carrières. La disparition de beaucoup de dispositifs de préretraites publiques va dans le même sens.

2 Les entreprises commencent à prendre la mesure de cet enjeu, d'autant qu'elles auront besoin de conserver leurs seniors dans un marché de l'emploi qui devrait fortement se tendre pour des raisons démographiques. Mais sur le terrain, peu de pratiques sont déployées.

3 Les entreprises les plus avancées travaillent sur la recherche de secondes carrières en interne dès 45 ans et, dans la production, sur l'ergonomie. Plutôt que d'envisager des mesures ciblées, elles veulent surtout lutter contre les discriminations et assurer une bonne mixité entre les générations.