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« La protection sociale doit concilier flexibilité et sécurité »

SANS | publié le : 27.05.2003 |

Sur un marché du travail de plus en plus flexible, le système de protection sociale français aurait tout à gagner d'une réforme permettant d'effectuer des allers-retours sécurisés entre emploi, chômage et formation.

E & C : Quel est le poids réel de la protection sociale dans le coût du travail ?

Jérôme Gautié : Selon une conception réductrice et répandue de la protection sociale, les cotisations sociales pèseraient lourdement sur le coût du travail, qui serait plus élevé en France qu'ailleurs, et pénaliseraient la compétitivité de l'économie. Ce n'est pas le cas. La France, où le coût du travail a progressé de manière très modérée depuis le début de la politique de rigueur, en 1983, se situe dans la moyenne des pays de l'OCDE. Le coût relatif du travail des salariés les moins qualifiés a même diminué avec le déplafonnement progressif des taux de cotisations, à partir des années 80, puis, avec la loi quinquennale de 1993 et la réduction des cotisations patronales sur les bas salaires. La récente loi Fillon prolonge cette politique.

E & C : La France peut-elle aller plus loin dans sa politique de réduction des cotisations sociales ?

J. G. : Deux problèmes se posent. Tout d'abord, cette politique encourage la création de "trappes" à bas salaires : l'employeur a peu intérêt à augmenter les salaires situés dans la tranche d'exonération, car les cotisations et, par là, le coût du travail, augmentent plus que proportionnellement. Par ailleurs, comment financer des abaissements supplémentaires de cotisations sans les faire peser sur la fiscalité de l'Etat ? La marge de manoeuvre me semble très réduite.

E & C : La protection sociale est également critiquée comme favorisant l'inactivité. Faudrait-il supprimer certaines allocations ?

J. G. : Quelques allocations perçues dans certaines configurations familiales peuvent encourager les bénéficiaires à l'inactivité, car l'écart est trop faible avec un revenu tiré d'un emploi. D'où des solutions qui permettent de cumuler une partie du RMI avec un revenu salarié, ou de prime pour l'emploi. Mais, en réalité, beaucoup de RMistes ou de chômeurs indemnisés acceptent des emplois mal rémunérés, en ayant conscience de ne pas y gagner financièrement, voire d'y perdre. La faible sortie du chômage des moins qualifiés est essentiellement due à une pénurie d'emplois et, pour certains, au coût trop élevé d'accès à l'emploi, en termes de coûts de transport et de garde d'enfant. En Angleterre, par exemple, cette dernière est prise en charge dans certains programmes d'aide au retour à l'emploi des mères célibataires. La solution serait à étudier en France. Dans tous les cas, il n'y a pas de réponse simple, type carotte ou bâton.

E & C : Qu'aurait à gagner la France en réformant son système de protection sociale ?

J. G. : Notre système, fondé sur le plein emploi et l'emploi standard de type fordiste, financé par des cotisations sociales assises sur les salaires, n'est plus tenable à long terme dans un contexte marqué par un chômage élevé persistant, des formes de travail précaires et un faible taux d'emploi des travailleurs de plus de 50 ans. Il faut imaginer de nouvelles formes de protection sociale. Elle doit concilier flexibilité et sécurité, c'est-à-dire protéger les trajectoires des individus sur la totalité de leur parcours et pas seulement dans leur emploi en tant que statut. Plusieurs rapports vont dans ce sens : le rapport Boissonnat, de 1995, qui suggère de remplacer le contrat de travail par un contrat d'activité mutualisée entre plusieurs entreprises et un institut de formation où le salarié entretiendrait son employabilité pendant les périodes sans activité. Le rapport Supiot, en 1999, propose de doter les individus d'un patrimoine de droits sur un ensemble de comptes abondés par les pouvoirs publics, les entreprises et les personnes, permettant des allers-retours entre emploi, formation et chômage. Le Danemark, par exemple, s'est engagé dans cette voie de la conciliation flexibilité-sécurité.

E & C : La France est-elle prête à suivre ce chemin ?

J. G. : Le débat social reste archaïque et marqué par une forte priorité donnée à la protection de l'emploi en tant que statut. Néanmoins, les syndicats de salariés commencent à s'ouvrir à ces idées nouvelles. Lors de son dernier congrès, la CGT, à travers le concept de "sécurité sociale professionnelle", a évoqué la nécessité d'accompagner les mobilités plutôt que de systématiquement les refuser. Mais la base militante n'est pas forcément encore prête à l'entendre.

SES LECTURES

Les métamorphoses de la question sociale, de Robert Castel, Fayard, 1995 (repris en Folio).

- Au-delà de l'emploi, d'Alain Supiot, Flammarion, 1999.

- Le couperet, Donald Westlake, Rivages/Noir, 2000.

PARCOURS

Jérôme Gautié est professeur à l'université de Reims et chercheur au Centre d'études de l'emploi (CEE). Ses recherches portent sur les problèmes de travail et d'emploi, notamment en lien avec l'évolution des systèmes de protection sociale. Il est membre de l'unité de programme "Emploi et protection sociale" du CEE.

Il a publié ou collaboré à plusieurs ouvrages, dont Coût du travail et emploi (La Découverte, 1998) et Les politiques de l'emploi en Europe et aux Etats-Unis (dirigé avec Jean-Claude Barbier, PUF, 1998).