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SANS

Claire de lune

SANS | publié le : 27.05.2003 |

On l'appelle "Claire de lune". Evidemment, ce n'est pas si drôle, pour quelqu'un qui se prénomme Claire, bien sûr, et qui a tendance à être distraite.

Mais c'est plutôt joli, comme surnom. En tous cas, j'en connais de pires.

C'est l'occasion de se pencher sur le phénomène des surnoms, petits noms, et autres noms d'oiseaux qu'on entend dans toutes les entreprises, et de tenter de comprendre comment et à qui l'idée en vient d'abord, comment elle circule, et, surtout, ce que cette habitude peut éventuellement permettre d'apprendre à propos des pratiques de management de l'entreprise où on l'observe.

J'en parle d'abord avec ladite Claire, justement. « Oh moi, c'est pas compliqué. Il a suffi d'une fois et d'une seule. J'ai oublié un dossier important alors que la réunion de direction avait lieu à l'extérieur. Le patron ne m'a pas ratée. Je n'ai pas non plus répliqué, c'est vrai. Et c'est parti aussitôt. On ne m'appelle plus que "Claire de lune", depuis cinq ans maintenant. Et depuis cinq ans, autant vous dire que je ne me suis jamais crue autorisée à oublier le moindre dossier. Mais rien n'y fait. Claire de lune je suis, Claire de lune je reste. L'auteur de ce sobriquet est parti depuis deux ans. Mais je reste Claire de lune. » Soupir.

Manifestement, elle en souffre. Comme dans les familles, on trimballe son surnom pendant une vie entière, ce qui est vite ridicule. Je connais des "chouchou" de plus d'un quintal et chauves comme des moines, et des "biquets" qui paient l'impôt sur la fortune. Mais au-delà du ridicule, peut-être y a-t-il aussi un côté attachant, comme une marque d'affection ? Elle hésite. « Affection ? Ce n'est pas sûr. Domination me paraît plus juste. Quelqu'un que je m'autorise à appeler comme ça, surtout sans lui demander son avis, m'est forcément un peu inférieur, non ? »

Je ne sais pas. Je demande à un sociologue, un vrai, spécialiste des "signes signifiants d'une culture d'entreprise". (Si, ça existe. Je sais qu'on dirait un gag. Mais ne soyons pas narquois. Quelquefois, la sociologie peut nous aider à comprendre.)

« Quand le sobriquet est porté par un seul, c'est une exclusion. Si c'est une pratique multicible, c'est une forme d'inclusion tribale. Dans les deux cas, ne préjugez pas. Le sobriquet peut être à la fois dominateur et protecteur. Un signe d'appartenance à une tribu envahissante, certes, mais protectrice. »

Intéressant, le sociologue.

C'est ce qu'on ressent en écoutant Claire de lune. Elle m'apparaît en effet à la fois dominée et protégée.

Mais cela me pose une autre question : quelle est cette trace de féodalité, qui échange une protection contre une domination, et qui rend ce troc supportable en utilisant des sobriquets affectueux ?