E & C : Que vous inspire l'année européenne des personnes handicapées ?

J. A. : Je crains une ghettoïsation encore plus grande. Cette année doit être l'occasion d'accepter les différences et d'admettre que la société est faite d'acteurs économiques hétérogènes. La personne handicapée est un citoyen à part entière et non entièrement à part. En tant que créateur d'entreprise, j'ai cherché auprès de l'Agefiph une aide technique - financement d'équipement de postes, et aide à l'innovation technologique et à la création.

E & C : Tout le monde ne peut pas être créateur d'entreprise...

J. A. : Il faut donner des responsabilités à des personnes handicapées dans les entreprises et les administrations, cela va de soi, mais dès lors que ces personnes ont les compétences requises. Le salarié handicapé ne doit pas être recruté pour des raisons politiquement correctes et pour satisfaire à des quotas obligatoires, d'ailleurs très rarement respectés dans les entreprises et les administrations, qui affaiblissent sa crédibilité et jettent la suspicion sur ses capacités réelles. La personne handicapée doit avoir une logique productive et non une logique d'assistance. Etre handicapé, c'est un état, ce n'est pas un statut.

E & C : L'entreprise doit évoluer. Mais comment ?

J. A. : Elle doit abandonner toute appréhension à l'égard des personnes handicapées, comprendre que la compétence dépasse les clivages corporels et admettre que le critère de productivité ne repose pas uniquement sur des capacités physiques, mais aussi intellectuelles et relationnelles. Le handicapé dans l'entreprise transforme la vie collective et contribue souvent à l'ouverture et à l'équilibre de l'équipe. S'impose alors une logique d'intégration des problématiques de la personne handicapée au sein des problématiques de tous. J'ajouterai qu'un patron handicapé travaille plus en équipe qu'un patron valide.

E & C : Comment changer le regard de la société ?

J. A. : Elle doit comprendre que je n'ai de handicap que celui que l'on veut me prêter. Comme pour chacun, ma réussite passe par l'équilibre entre ma vie professionnelle, ma vie privée et mes passions. Je suis un chef d'entreprise aveugle et pourtant, j'adore le cinéma, le ski nautique et les matchs de foot. Notre société doit apprendre à ne plus agir "pour" le handicap, mais "avec" celui-ci.