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Toyota chouchoute ses jeunes salariés

SANS | publié le : 06.05.2003 |

Deux ans après l'inauguration de l'usine Toyota de Valenciennes (59), qui produit la Yaris, le bilan de l'intégration des jeunes salariés est positif. Le package social de l'usine est compétitif et adapté à leurs besoins. Mais ils éprouvent des difficultés à se conformer aux contraintes de production.

Passée, en quatre ans, d'un effectif de 0 à 2 600 personnes, âgés de 28 ans en moyenne, l'usine Toyota de Valenciennes est à l'origine d'une des plus grosses opérations d'intégration de jeunes salariés de ces dernières années. Pour la firme de Takaa, au Japon, l'enjeu est de taille. Il s'agit, à travers ce site, inauguré en juin 2001 sous le feu des projecteurs, de faire la démonstration de la validité de son modèle industriel, managérial et social.

La réussite de l'intégration des salariés se mesure à l'aune de cet objectif ambitieux. Le premier enjeu, pour la firme, est de faire intégrer à ses salariés le fameux Toyota production system, le TPS, fondé sur l'augmentation de la productivité par la standardisation des processus. Le TPS s'appuie sur une philosophie managériale, le kaizen, ou l'amélioration permanente des processus par la responsabilisation des opérateurs. Enfin, dans une région socialement sensible comme le valenciennois, la réussite de l'intégration des salariés est indissociable d'un projet social global et cohérent.

Troisième employeur

Sur ce dernier point, Toyota obtient des résultats intéressants. En recrutant 45 % de demandeurs d'emploi, l'usine a apporté sa contribution à la réduction du chômage du valenciennois (13,9 % fin 2002), où il occupe maintenant la position de troisième employeur. Les salariés sont, dans leur majorité (2 200), en CDI. La direction a, cependant, largement recours aux intérimaires. On en a compté jusqu'à 600. « Mais nous sommes confiants dans les ventes de la Yaris ; d'ici à juillet, nous allons embaucher 150 intérimaires en CDI », annonce François-Régis Cuminal, le DRH. L'effectif de l'usine restera le même.

Package social

D'un montant d'environ 945 euros, le salaire net mensuel d'un ouvrier (team member dans la terminologie Toyota) se situe légèrement au- dessus du revenu net moyen de l'arrondissement de Valenciennes (918 euros en 1999), auquel s'additionnent diverses primes et un intéressement de 157 euros en moyenne par mois. L'usine dispose, en outre, d'un PEE. Dans le package social, il faut également compter les aides au logement proposées par la direction : dépôt de garantie (un à deux mois de loyer), prime d'installation (1 220 euros), aide à l'accession à la propriété, aide aux travaux, simplifications administratives. Une aide précieuse quand on sait que beaucoup de jeunes salariés habitent encore chez leurs parents ; 563 ont ainsi pu être relogés dans le valenciennois.

S'ajoute une mutuelle santé et prévoyance couvrant la famille du souscripteur, y compris les ascendants, pour 16,53 euros par mois. La souscription est obligatoire. Une mesure quasiment d'utilité publique. « Contrairement à ce qu'on pourrait penser, les jeunes que nous employons ne sont pas tous en bonne santé. Dans cette région à faible revenu, les gens vont plutôt se faire soigner au dispensaire que chez le spécialiste », explique Valérie Coquelle, l'une des deux médecins du travail.

Politique de santé

Au sein de l'usine, la direction mène une politique de santé ambitieuse. Les salariés disposent, outre les deux médecins, de quatre infirmiers, d'un ergonome et, plus rare, d'un kinésithérapeute. Ce dernier intervient essentiellement en prévention pour aider les ouvriers à « définir le meilleur geste ». Un luxe ? Valérie Coquelle ne le pense pas. « Les jeunes sont physiquement moins usés que les anciens, mais, moins expérimentés qu'eux, ils ne connaissent pas les bons gestes », explique-t-elle.

Ce péché de jeunesse se retrouve également dans le respect des règles de sécurité. « Il leur arrive d'oublier de mettre une partie de leur équipement, nous avons de nombreux petits accidents, comme des brûlures ou des coupures », témoigne Valérie Coquelle. A l'arrivée, la direction estime obtenir de bons résultats dans sa lutte contre les troubles musculo-squelettiques, mais reconnaît qu'elle pourrait s'améliorer sur les accidents de travail. Il y en a eu 153 en 2002, selon la direction. Enfin, les questions de drogue sont abordées de front. La direction ne cache pas qu'elle a dû renvoyer des dealers. Une association intervient, une fois par mois, dans l'établissement, pour sensibiliser l'encadrement.

Pédagogie

La greffe des valeurs managériales de Toyota semble également prendre. Ouvriers et chefs d'atelier s'appellent ainsi, volontiers, "team member" et "groupe leader". Mais sur le fond, il a parfois fallu faire preuve de pédagogie. Ainsi, l'usage de l'andon a d'abord donné lieu à des malentendus. Typique du système Toyota, cette cordelette disposée le long de la chaîne doit être tirée par les ouvriers lorsqu'ils rencontrent une difficulté. Ce geste déclenche une lumière et un signal sonore et provoque l'intervention du team leader, ouvrier volant capable d'occuper tous les postes. « Au début, les team members avaient le réflexe de cacher qu'ils étaient en difficulté, il a fallu expliquer que le but de l'andon n'était pas de déclencher une sanction », explique François Papin, directeur adjoint fabrication.

Inadaptation

Les salariés semblent, en revanche, nettement plus réticents devant le Toyota production system. « Les jeunes qui entrent à Toyota se rendent vite compte de ce que signifie une cadence, même s'ils ne savent pas qu'elle est plus élevée chez Toyota qu'ailleurs. Le kaizen et le kinésithérapeute ne changent rien à cette donne », remarque Eric Pecqueur, secrétaire général de la CGT.

« Il y a un nécessaire processus d'adaptation des jeunes », avoue pudiquement François-Régis Cuminal. Mais, alors qu'ils étaient déjà embauchés, beaucoup se sont en fait retrouvés inaptes au travail à la chaîne, malgré la sélectivité du recrutement : 35 000 demandes d'emploi sont parvenues à la direction. Conséquence, le turn-over a atteint, la première année, le niveau record de 12 %, alors qu'il se situe aux alentours de 2 % dans le secteur. Selon la direction, 136 salariés ont quitté l'entreprise en 2001 et 200 en 2002. L'année dernière, les démissions et les licenciements, essentiellement pour cause d'absences, ont explosé, à la suite de la création d'une deuxième équipe, imposant des horaires plus contraignants. La direction voit cependant des raisons d'espérer dans la baisse à 8 %, depuis le début de l'année, du taux de turn-over.

Heures supplémentaires

Le recours aux heures supplémentaires passe mal. Elles sont pourtant au coeur même du Toyota production system. En fin de journée, les ouvriers, prévenus seulement deux heures à l'avance, peuvent être amenés, sur décision de la direction, à rester jusqu'à une heure de plus, en overtime, afin de rattraper les retards de production. Selon la direction, l'overtime ne représente pas plus de 10 minutes par jour, en moyenne. Mais c'est le principe qui est loin de faire l'unanimité. « Vaut-il mieux travailler le samedi avec des horaires certains ou en overtime avec des horaires incertains ? Il y a débat. Pour notre part, nous préférons pratiquer le rattrapage à petites doses », explique Jérôme Gosselin, responsable des ressources humaines.

Pour rendre l'overtime plus attractif, la direction a décidé, en septembre dernier, de faire passer sa rémunération à 50 % de plus qu'une heure normale, contre 25 % auparavant. Mais ce complément n'intéresse pas vraiment les salariés. Entre transformer leurs droits acquis en congés, et se les faire payer, la majorité des salariés préfèrent encore avoir du temps plutôt que de l'argent. Pour Eric Pecqueur, la raison est que l'overtime ne procure qu'un gain moyen de 20 euros par mois. « Beaucoup de jeunes salariés vivent encore chez leurs parents, ils ne cherchent donc pas en priorité à augmenter leurs revenus. Mais leur comportement change lorsqu'ils se marient », explique, de son côté, Jérôme Gosselin.

Aujourd'hui, la direction n'exclut pas de recourir plus régulièrement aux heures supplémentaires ainsi que le lui permettent les décrets Fillon relevant les contingents. N'envisageant pas de recruter, c'est sans doute la principale variable qu'elle utilisera pour tenir sa production d'une Yaris toutes les 60 secondes.

L'essentiel

1 Inaugurée il y a deux ans, l'usine Toyota de Valenciennes a recruté 2 600 salariés, d'une moyenne d'âge de 28 ans. C'est l'une des plus grosses opérations d'intégration de ces dernières années.

2 La direction a adopté une politique ambitieuse en la matière, qui lui permet de faire du site une vitrine du savoir-faire de Toyota.

3 Cette politique obtient de bons résultats sur son volet social et managérial. Mais elle bute sur la réticence des jeunes salariés à se soumettre aux contraintes de production de l'entreprise.

Nuages sur le climat social

Est-ce la fin de l'état de grâce pour la direction ? Jusqu'à maintenant, elle a bénéficié d'un climat social relativement serein, malgré quelques débrayages. Mais, en septembre dernier, les élections des délégués du personnel ont été remportées (49 % des voix) par une CGT radicale. « En votant pour nous, les salariés ont exprimé leur mécontentement », avance Eric Pecqueur, secrétaire général.

- La revendication du syndicat de passer de 35 heures de travail effectif à 35 heures de temps de présence, a manifestement fait mouche auprès des jeunes. « Ils ont une fausse idée de la loi, reconnaît Claude Boulle, vice-président administration, les 35 heures ne signifient pas 7 heures de travail par jour, 5 fois par semaine. »

La CGT compte occuper le terrain juridique. Elle s'est ainsi attachée les services d'un avocat et prédit une série de « grosses actions » sur des délits d'entrave au CHSCT et au CE, ainsi que sur des licenciements et des sanctions.

La formation, un co-investissement salarié/employeur

Le site de production de Toyota, à Valenciennes, a consacré 1,48 million d'euros à la formation en 2002, soit 5 % à 7 % de la masse salariale. Si l'on ajoute les formations sur le poste de travail, le budget s'élève à 3 millions d'euros.

Au total, 2 557 salariés ont bénéficié d'une formation, dont 2 087 en France, à Toyota ou dans des centres de formation partenaires (Afpa et Ateliers collectifs de la métallurgie). Les autres se sont formés au Japon, en Grande-Bretagne et au Canada. La direction a donc consenti un effort important de formation. Cet effort est cependant partagé avec les salariés. Ces derniers doivent 40 heures de formation à l'entreprise, en dehors de leur temps de travail.

Les heures de formation sont indemnisées et majorées en cas de dépassement de la durée légale de travail (1 600 heures sur l'année).

TOYOTA

Effectifs : 215 000 salariés.

Sites de production : 43.

Chiffre d'affaires en 2001 : 122,25 milliards d'euros dans le monde.