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SANS

Patate chaude et mistigri

SANS | publié le : 22.04.2003 |

Décor somptueux. Quand la République décide d'impressionner le citoyen (et de désespérer le contribuable...), elle y met les moyens : hauteur sous plafond, dorures et huissiers, tableaux de maître, gravier ratissé dans la cour, silence feutré à tous les étages, c'est tout juste si on n'exige pas l'usage des patins...

Ici, on réfléchit. Evidemment, mon côté "France d'en bas" est plus ébahi qu'impressionné, et j'ai un peu de mal, comme nous tous, en pensant à mes échéances d'impôt. Mais, éduqué dans le respect des institutions et réprimant par principe toute éruption de pensée poujadiste, je m'efforce à la bienveillance.

L'homme est poli, cultivé, très rapide, attentif, une sorte de modèle de l'élite républicaine longuement préchauffé dans le cocon familial, cuit à feu doux dans les meilleurs lycées parisiens, terminé à l'ENA et glacé au cabinet ministériel. A déguster sur place.

La conversation porte sur la conduite d'un dossier "sensible". Il s'agit de préparer une vaste réforme d'une profession réglementée.

Je suis tout ébahi d'être consulté pour ce projet, moi qui entends parler de cette réforme depuis mes années d'études (et c'est assez loin, il faut bien le dire...) et qui croyais même que c'était fait depuis longtemps !

Je fais part de mon étonnement. « Attention, la manoeuvre est délicate », fait observer mon interlocuteur. « Il ne s'agit pas de se précipiter. Nous sommes, en Europe, le dernier pays organisé sur ce modèle, et Bruxelles n'aime pas ça. Nous subissons de multiples pressions pour avancer vite. Sans compter qu'une partie de la profession elle-même voudrait bien accélérer cette mutation et menace même de le faire en dehors de tout cadre réglementaire. Et plus vite que nous, qui sommes chargés de ce dossier. Voilà pourquoi, dans cette bousculade, il convient d'abord de se hâter lentement. »

Je connais cette formule. J'ai souvent eu l'occasion de voir (et d'être tenté de pratiquer...) les stratégies de pourrissement. Elles permettent de tirer parti au bon moment d'une situation qu'on déplore et d'apparaître in fine comme l'instigateur de la bonne issue, alors qu'on en est seulement le témoin. Elles peuvent aussi permettre de faire endosser par d'autres le poids des échecs et de conserver pour soi les auréoles du succès.

J'en fait la remarque tout de go à mon grand commis d'Etat. « Oui, je sais, on appelle ça la "patate chaude" ou le "mistigri". Je n'ai rien inventé. J'en connais bien les règles et on me paie pour ça. Ce n'est pas joli-joli, j'en conviens. Mais vous oubliez un aspect : dans ce désordre incontrôlable, une apparence de maîtrise de la situation évite qu'elle dégénère encore davantage. Je ne gère pas ce problème ingérable. Je maintiens l'ordre pour préserver l'avenir. »

Bon argument ?