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« Il faut recréer du lien social au travail »

SANS | publié le : 15.04.2003 |

Le marché du travail de demain ne doit plus s'organiser sur la base des diplômes, mais sur des motivations et du professionnalisme, porteurs de compétences. Des atouts que l'entreprise doit saisir en créant les conditions propices au développement du lien social.

E & C : Dans votre nouveau livre, Le choc de 2006, pour une société de projets*, vous dénoncez le débat encombré de clichés sur les besoins futurs en matière d'emploi et, donc, de formation. Pour quelles raisons ?

Michel Godet : Nous pouvons lire un peu partout que l'urgence est de préparer les enfants aux professions de l'intelligence et de la nouvelle économie. Erreur et illusion collective ! La course aux formations générales est d'autant moins justifiée que les emplois de demain ne seront pas là où on le croit. Il est temps de comprendre le risque d'une surabondance de diplômés et d'une pénurie de professionnels. Si les métiers changent, les compétences requises pour les exercer demeurent. Les qualités individuelles que réclameront la croissance et la compétitivité des entreprises, dans un contexte de changement technique rapide, ne seront pas nécessairement plus élevées en termes de savoirs. En revanche, elles seront certainement plus exigeantes du point de vue des attitudes et des comportements. La pénurie qui s'annonce va conduire les chefs d'entreprise à aller chercher les jeunes plus tôt, dès un niveau bac + 2. De fait, il va y avoir un raccourcissement des durées d'études supérieures, mais les individus ne seront pas, pour autant, moins qualifiés, grâce à la formation par l'expérience en entreprise. Pour éviter la pénurie de professionnels, la société de demain devra requalifier les métiers dévalorisés. Cette réhabilitation de l'image, du statut social et financier des métiers manuels et de service à la personne passe par de meilleures conditions de travail et de rémunérations. Au Dane- mark, les maçons sont aussi bien considérés que les médecins. Conclusion : on ne manque pas de maçons et l'on n'a pas trop de médecins. Il faut aussi en finir avec la référence omnipotente au diplôme, source d'exclusion pour ceux qui en sont démunis. L'importance est qu'ils aient l'envie et la compétence.

E & C : Voulez-vous dire qu'il faut créer de futurs salariés professionnels et non plus ultra qualifiés ?

M. G. : En effet, le seul critère qui me semble important, c'est le professionnalisme des individus. Cette notion, relevant du comportement de chacun, consiste à bien faire ce que l'on a à faire, en montrant un esprit de réactivité, de ténacité et de solidarité. Un exemple : les services de proximité, secteur, aujourd'hui en expansion, à la recherche de main-d'oeuvre. Les individus qui y travaillent sont souvent peu qualifiés, ces métiers ne nécessitent pas de diplômes très élevés. Cependant, ils exigent un haut professionnalisme assurant l'écoute, la ponctualité, la discrétion... Bref, des savoir-être spécifiques à tous ceux qui travaillent chez autrui, mais transposables à d'autres métiers. Un bon professionnel n'est pas enfermé dans un métier, mais adaptable à une quantité d'autres. Il lui suffit d'un minimum d'apprentissage entre chacun. Trop souvent, les entreprises raisonnent en termes de profils, en définissant des fiches de poste très précises. Elles créent des clones et donc de l'interdit. Alors qu'elles devraient miser sur la motivation et la compétence, ce fruit de la passion.

E & C : Mais comment susciter cette motivation ?

M. G. : En recréant du lien autour de la production de biens. Les hommes de demain ne s'activeront pas moins que ceux d'aujourd'hui. Ils chercheront, dans le travail au bureau comme dans la vie associative, des lieux de reconnaissance mutuelle. Hélas, avant même la généralisation des 35 heures, on avait relevé une "réduction de 12 % en quinze ans du nombre de salariés ayant eu dans la semaine une conversation extra professionnelle". La réduction du temps de travail n'a rien arrangé. Le temps de travail est aussi un temps de lien social, il faut permettre à chacun de travailler à son rythme avec des pauses créatrices d'échanges et des temps morts. Les entreprises doivent recréer ce lien social au travail et mettre en place de petites équipes autonomes d'intrapreneurs responsables. Car il est plus facile de motiver les hommes dans de petites équipes, où chacun se connaît au moins de vue, que dans des grands groupes anonymes. Il est, ainsi, préférable de structurer ces ensembles comme une collection de PME, quitte à instaurer, en interne, une saine émulation par la concurrence en vue de l'innovation et des performances. Non seulement small is beautifull, mais c'est aussi profitable !

* Editions Odile Jacob, janvier 2003.

PARCOURS

Michel Godet dirige le Laboratoire d'investigation prospective et stratégique au Conservatoire national des arts et métiers (Cnam).

Consultant au sein de l'association Progrès du Management, il est aussi vice-président fondateur de l'Ismer, Institut de développement d'activités nouvelles et d'accompagnement d'entrepreneurs.

Il a participé, notamment, à la Commission Mattéoli, en 1993, sur les "obstacles structurels à l'emploi", et en 1994, à la Commission travail et emploi, présidée par Jean Boissonnat au Commissariat général du Plan.

Michel Godet est l'auteur d'une quinzaine d'ouvrages dont le Manuel de prospective stratégique (Dunod, 2001).

SES LECTURES

- Le grand gâchis : splendeur et misère de la science française, Olivier Postel-Vinay, Eyrolles, 2002.

- Après l'empire, Emmanuel Todd, Gallimard, 2002.

- La famille à venir, Denis Lensel et Jacques Lafond, Economica, 2002.

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