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« Les femmes peuvent faire évoluer le syndicalisme »

SANS | publié le : 08.04.2003 |

Les femmes sont peu représentées dans les instances dirigeantes des syndicats. Pourtant, elles peuvent contribuer à changer l'image et le fonctionnement du syndicalisme. Les quotas ou la parité sont souvent un passage obligé.

E & C : Quelle place occupent les femmes dans le syndicalisme en Europe ?

Rachel Silvera : La Confédération européenne des syndicats (CES) évalue à 40 % la part des femmes syndiquées en Europe et constate de fortes disparités selon les pays, de l'ordre de 1 à 7. Dans les pays où la syndicalisation est courante, les femmes sont parfois plus nombreuses que les hommes à se syndiquer. De même, là où le taux d'activité féminin est élevé, le taux de syndicalisation des femmes l'est également. En France, où le taux de syndicalisation est faible et où le syndicalisme est vécu comme un engagement, le taux est encore plus bas pour les femmes, et c'est pire dans les syndicats de cadres.

Mais, quel que soit le taux de syndicalisation de base, il n'existe pas un seul pays où l'on trouve une juste représentation des femmes dans les instances dirigeantes des syndicats. Au Danemark, par exemple, 70 % des syndiqués de la fonction publique sont des femmes, mais elles sont à peine 50 % dans les postes de direction. Comme les entreprises, les syndicats ont leur plafond de verre. Sauf politique volontariste, comme à la CGT en France et à la CGIL en Italie, les femmes accèdent plus difficilement aux directions syndicales.

E & C : Qu'est-ce que les syndicats auraient à gagner d'une plus grande représentation des femmes ?

R. S. : Aujourd'hui, le syndicalisme est en crise, et pas seulement en France. Un des moyens de sortir de cette crise, c'est de mieux prendre en compte le salarié tel qu'il est aujourd'hui. Or, il est beaucoup plus jeune, c'est souvent une femme, il est plus qualifié que l'ouvrier traditionnel qui a constitué les bastions initiaux, notamment pour la CGT. Ce n'est d'ailleurs pas un hasard si la CFDT est beaucoup plus féminisée : c'est une confédération plus jeune et plus ancrée dans les services. Changer l'image et le fonctionnement du syndicalisme constitue un enjeu majeur, les femmes peuvent y contribuer. Lors des accords RTT, beaucoup de salariés mandatés étaient des femmes et cela a eu un effet positif sur la syndicalisation.

E & C : Et les salariés, quel serait pour eux l'apport d'un syndicalisme plus féminisé ?

R. S. : Les salariées, bien sûr, ont beaucoup à y gagner. Car, dans les syndicats, ce sont les femmes qui se mobilisent pour saisir l'opportunité de la loi Génisson, qui oblige à négocier sur l'égalité professionnelle. On peut regretter, d'ailleurs, que les formations à la négociation sur l'égalité, mises en place par la plupart des confédérations, intéressent si peu d'hommes. Ce devrait être un thème obligatoire dans leur formation, car, derrière la question de l'égalité hommes/femmes, il y a d'autres enjeux. Améliorer la situation des femmes, c'est repenser les inégalités de salaire ou les conditions de travail pour tous.

E & C : Comment augmenter la part des femmes dans les syndicats ?

R. S. : Tout d'abord, il est évident que favoriser sous forme de quotas ou par la parité la représentation des femmes est bien souvent un passage obligé. Ensuite, la question est de savoir comment l'égalité avance. L'approche dite "gender mainstreaming", qu'on traduit en français par "approche intégrée", est indispensable. C'est l'idée que le thème de l'égalité doit être transversal à tous les sujets, qu'il doit y avoir un réflexe égalité sur toutes les pratiques syndicales. Par exemple sur la retraite. Il y a, actuellement, 43 % d'écart entre les pensions de retraite des hommes et celles des femmes, c'est-à-dire beaucoup plus qu'entre les salaires. On voit bien qu'il y a là un enjeu colossal à avoir une "lecture de genre" de ce sujet.

Mais cela ne veut pas dire qu'il faut mettre fin à toute approche spécifique de l'égalité. C'est pourquoi il me semble essentiel que, dans toutes les confédérations, il y ait une structure ad hoc, appelée commission femmes ou comité femmes, selon les syndicats. Ces structures existent dans la plupart des confédérations et ont un rôle de plus en plus important à jouer. Le problème, c'est que ces commissions ne sont pas toujours statutaires, ce qui signifie qu'elles sont consultées mais n'ont pas droit de vote. Il est nécessaire qu'elles aient voix au chapitre.

E & C : Les syndicalistes hommes sont-ils prêts à laisser la place aux femmes ?

R. S. : En France, la gestion des fins de carrière des syndicalistes est problématique. En effet, si les syndicalistes les plus anciens n'ont pas de porte de sortie, aucun poste ne se libère, donc on n'a pas d'appel d'air pour les femmes et les plus jeunes. La CFDT réfléchit à cette question. Je pense que la VAE (Validation des acquis de l'expérience) est un bon outil pour réfléchir au devenir de ces syndicalistes.

SES LECTURES

Tous sublimes - vers un nouveau plein emploi, Bernard Gazier, Flammarion, 2003.

- Les mécomptes du chômage, Margaret Maruani, Bayard, 2002.

- Regards sur la crise du syndicalisme, Dominique Labbé, Stéphane Courtois, L'Harmattan, coll. Logique Sociales, 2001.

PARCOURS

Economiste, Rachel Silvera est maître de conférences à Paris-10 et membre du groupe de recherche Mage (Travail, genre et société) du CNRS. Elle est experte pour la France du réseau Femmes dans l'emploi du bureau égalité des chances de la DG emploi de la Commission européenne.

Elle a, notamment, publié à La Documentation française : Le salaire des femmes, toutes choses inégales... (1996) et Articuler vie professionnelle et familiale en Europe, un enjeu pour l'égalité (2002).

Elle coordonne une étude européenne sur le thème "Hommes, femmes et syndicalisme".