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SANS

La couture des rangers

SANS | publié le : 08.04.2003 |

Plongée dans le Petit Larousse. Je maraude dans les pages du dictionnaire, ayant déjà oublié ce que j'y cherche, sautillant d'un renvoi à l'autre, ébloui par la multitude des mots que j'ignore, sans compter ceux que j'ai oubliés.

Forcément, je passe dans les pages roses. Le latin est un souvenir lointain, et le Gaffiot n'est pas mon livre de chevet. Mais la musique m'est familière. Chacun sa madeleine...

Je tombe sur un adage qui m'intrigue : De minis non curat Praetor. En gros : le chef ne s'occupe pas des détails. Ah bon ? Parce qu'il ne veut pas ? Parce qu'il laisse ça aux autres ? Parce que ce n'est pas assez valorisant ? Interprétation libre.

Séminaire de cadres dirigeants. La conversation vient sur la gestion du temps, et les palabres chronophages qui polluent l'emploi du temps quotidien et ne concernent en réalité que des détails qui mériteraient probablement d'être pris en charge "à un autre niveau". Les exemples ne manquent pas. Chacun s'en plaint à son tour. Consensus sur la dureté des temps et la difficulté à manager quand il reste si peu de temps pour le faire...

J'essaie de ressortir mon adage latin (C'est le moment où jamais...). Intervention d'un cadre expérimenté, réputé pour la pertinence de ses réflexions : « Latin ou non, la proposition est suspecte. Je vais vous donner un exemple : longtemps responsable d'équipes de terrain, agissant dans les parcs naturels protégés, j'ai eu à traiter de détails que vous n'imaginez pas. Par exemple le mode de fabrication des rangers, les chaussures qu'utilisent quotidiennement les gardes du parc. La question est de savoir si on achète le modèle français haut de gamme, avec couture protégée, ou le modèle autrichien, moins cher, mais où les coutures ne sont pas protégées... »

Stratégique comme question ! Surtout quand on doit gérer par ailleurs des budgets gigantesques !

« Il n'empêche : un groupe de travail, un cahier des charges, une visite d'atelier, un appel à un expert neutre, j'ai suivi personnellement toutes les étapes du processus de choix. Et j'ai bien fait ! »

Bruits divers dans la salle. Je sens qu'on va le traiter au mieux de démagogue, au pire d'incapable... Je regrette déjà mon adage et cette vilaine manie que j'ai de réutiliser tous les restes de ce que je lis.

Il reprend : « Faites les malins, messieurs les chefs tout-puissants, stratèges de l'importance, concentrés que vous êtes sur l'avenir du monde. Mais avant de réagir, songez donc à ceci : quand on est dehors plus de dix heures chaque jour, par tous les temps, la question du confort des chaussures n'est pas si subalterne que vous la ressentez depuis le cocon de vos bureaux. Mais le plus important n'est pas là : en m'intéressant à la réalité des contraintes d'autrui, fusse au niveau des coutures de rangers, j'ai voulu démontrer le respect que je porte à l'exercice de leur métier. Est-ce répréhensible ? Est-ce ridicule ? Est-ce du détail ? »

Silence un peu lourd. Il a raison, ce Praetor-là, non ?