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Les règles sociales des Chantiers de l'Atlantique

SANS | publié le : 01.04.2003 |

Le récent conflit des ouvriers indiens employés par une société prestataire des Chantiers de l'Atlantique a fait ressurgir la problématique de la gestion sociale de la sous-traitance sur le site de Saint-Nazaire.

Conflit des salariés indiens d'Avco Marine, travailleurs roumains en colère, opérateurs grecs non payés... La liste des dysfonctionnements sociaux chez les sous-traitants des Chantiers de l'Atlantique de Saint-Nazaire (44) s'allonge. Alors que la filiale d'Alstom met la dernière main au prestigieux Queen Mary 2, le plus important paquebot transatlantique jamais construit, dont la livraison est attendue en fin d'année, ces "affaires", relayées par une CGT omniprésente et très remontée, agacent.

Car, sur le site de Saint-Nazaire, la sous-traitance est un véritable phénomène. En période de pleine activité, comme c'est encore le cas aujourd'hui, ce sont quelque 650 entreprises qui peuvent être amenées à déployer 8 000 personnes, les salariés des Chantiers ne représentant guère plus de la moitié de cet effectif.

« En règle générale, la construction d'un navire implique 2 000 personnes, dont 10 % seulement sont des salariés des Chantiers de l'Atlantique », note Marc Ménager, délégué syndical CFDT. Autant dire que pour la direction des ressources humaines d'Alstom Marine, la gestion de ce personnel relève du casse-tête. Sans compter que le donneur d'ordres éprouve les pires difficultés à obtenir une cartographie précise du capital humain engagé par ces prestataires. En cause : la pratique de la sous-traitance en cascade. « Les Chantiers vont confier un marché à une société de rang 1 qui va, en partie, le sous-traiter à une société de rang 2, laquelle se tournera vers une entreprise de rang 3. Au final, la sous-traitance reste très difficile à cerner. Et cet émiettement n'est pas fait pour favoriser les bonnes pratiques sociales », juge Marc Ménager.

Vérifications des personnels

Pour autant, la direction des Chantiers de l'Atlantique n'a pas attendu le conflit, qui a opposé, ces quinze derniers jours, 250 ouvriers originaires de Bombay à leur employeur, pour se pencher sur la question (voir Entreprise & Carrières n° 662). Ainsi, dès 1996, a été mis en place le Bape, Bureau d'accueil des personnels extérieurs, par lequel doit théoriquement transiter tout salarié d'une entreprise sous-traitante appelé à travailler sur le site. Y sont effectuées des vérifications en tout genre, portant, pêle-mêle, sur la conformité du contrat de travail, le contrôle des papiers d'identité et des titres de séjour (pour les non-ressortissants de l'Union européenne), en passant par l'assurance que la personne est bien en possession des équipements adéquats et du plan de prévention sécurité. Une fois ces formalités accomplies, le salarié se voit délivrer son badge d'accès, le sésame qui lui permettra de circuler sur les 120 hectares du site nazairien et d'accéder aux différents services de l'entreprise.

En outre, en janvier 2001, la direction des Chantiers de l'Atlantique, l'Union des industries de Loire-Atlantique et les unions locales des cinq organisations syndicales représentatives au niveau national ont créé l'Instance de dialogue social du site (IDSS). Objectif : faciliter l'étude et le traitement des sujets sociaux pour l'ensemble des entreprises et leurs salariés oeuvrant à la construction des navires. Dans la foulée, a été créée la Commission paritaire d'hygiène et de sécurité de la coactivité du site (CPHSS), sorte de "super" CHSCT, où siègent des représentants du personnel des entreprises sous-traitantes. « Les réflexions menées au sein de ces deux instances nous ont conduits à élaborer la Charte de progrès social », indique Philippe Bouquet-Nadaud, le DRH d'Alstom Marine.

Signature d'une charte de progrès social

Signée le 26 avril dernier par l'ensemble des organisations syndicales, celle-ci fixe les droits et les devoirs du donneur d'ordres et de ses prestataires, en termes d'emploi, d'accueil sur le site, de législation du travail, de formation professionnelle, d'hygiène-sécurité et des conditions de travail, de santé, de durée du travail, de droit syndical, d'insertion locale et de dialogue social.

Audits réguliers

Seul problème : cette compilation de bonnes pratiques n'engage en rien ceux que la direction des Chantiers nomme ses coréalisateurs. « Ce document n'impose aucune obligation aux sociétés extérieures. Le leitmotiv de la direction, c'est la baisse des coûts de production. Peu lui importe les moyens que mettent en oeuvre les entreprises sous-traitantes pour diminuer leurs prix », peste Christian Duval, représentant syndical CGT. « Nous réalisons régulièrement des audits sur les pratiques de nos sous-traitants. En cas de dysfonctionnements répétés, nous pouvons aller jusqu'à rompre le contrat commercial, ce qui est déjà arrivé par le passé », réplique Philippe Bouquet-Nadaud.

« Nous ne sommes ni des juges, ni des contrôleurs, poursuit le DRH. Nous ne pouvons pas nous substituer aux services de l'Etat en matière de respect de la législation sociale. En revanche, nous réclamons de nos sous-traitants qu'ils soient compétents dans quatre domaines : la qualité, les coûts, les délais et la gestion des ressources humaines. »

L'élaboration, avant la fin de cette année, de la Charte Cap 21 de la sous-traitance, qui accueillera un volet social reprenant les dispositions de la Charte de progrès social, pourrait, cependant, changer la donne. Car, cette fois, les principaux prestataires des Chantiers de l'Atlantique devront y apposer leur paraphe.

L'essentiel

1 En janvier 2001, la direction des Chantiers de l'Atlantique et ses partenaires sociaux ont créé l'Instance de dialogue social du site (IDSS) pour faciliter l'étude et le traitement des sujets sociaux pour l'ensemble des entreprises et leurs salariés.

2 Signée le 26 avril dernier par les cinq organisations syndicales, la Charte de progrès social fixe les droits et les devoirs du donneur d'ordres et de ses prestataires.

3 Prévue pour cette année, la Charte Cap 21 de la sous-traitance accueillera un volet social. Ce document engagera, cette fois, les prestataires des Chantiers de l'Atlantique, qui devront le signer.

1 500 salariés étrangers aux Chantiers de l'Atlantique

Le recours à des salariés étrangers, en provenance, notamment, des pays hors Union européenne, par les entreprises sous-traitantes, commence à inquiéter les organisations syndicales des Chantiers de l'Atlantique. Si la CGT, majoritaire à Saint-Nazaire, évoque l'existence de véritables filières de recrutement qui conduiraient à favoriser le dumping social, les autres syndicats y voient surtout le signe de la mondialisation galopante de la construction navale.

Le phénomène reste, toutefois, à relativiser. Ainsi, 83 % des prestataires des Chan- tiers de l'Atlantique sont originaires de Loire-Atlantique. « Actuellement, sur 13 000 personnes travaillant sur le site, il y a environ 1 500 salariés de nationalité étrangère. Lesquels sont soumis aux mêmes conditions que les salariés français », précise Philippe Bouquet-Nadaud, DRH d'Alstom Marine. Il est vrai que les sous-traitants doivent, selon leur spécialité, gérer la pénurie de main-d'oeuvre. Ainsi, le cas des ouvriers indiens d'Avco Marine illustre parfaitement le mécanisme. Cette entreprise, spécialisée dans le conditionnement d'air, fait actuellement travailler 1 000 personnes sur le paquebot Queen Mary 2, ce qui représente, sur cette activité, le réservoir humain français sur une année !