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LE REGNE DE LA CONFUSION

SANS | publié le : 01.04.2003 |

La médiatisation croissante des entreprises qui licencient, après avoir touché de l'argent public, relance le débat sur l'efficacité économique des dispositifs publics d'aides aux entreprises. Au banc des accusés : un système appétissant mais confus et mal encadré. Des voix s'élèvent pour réclamer la mise en place de procédures systématiques de contrôle et de sanctions.

Daewoo, Whirlpool, Hewlett Packard, Gemplus... Moins connues : Global Studio, Flextronics, LAB... Point commun de toutes ces entreprises : elles ont profité des dispositifs d'aides publiques avant de licencier ou de mettre la clé sous la porte. Les salariés et les organisations syndicales crient au scandale financier et dénoncent pêle-mêle les carences du système : des dossiers mal ficelés, un contrôle inexistant, des sanctions inappliquées.

Le système français d'aides publiques aux entreprises est, de fait, une vaste usine à gaz. Il se décline en fonction des caractéristiques des projets - telles que l'investissement productif, la création d'emplois l'innovation ou la formation -, en fonction de leur localisation en zones prioritaires d'aménagement du territoire (zones PAT) ou non et, enfin, en fonction de la taille de l'entreprise concernée. Les aides sont distribuées via une multitude de guichets et contrôlées par quasiment autant de directions générales. Selon la dernière commission d'enquête parlementaire consacrée à la question, en 1999, les entreprises peuvent ainsi remplir pas moins de 70 formulaires pour bénéficier des subsides publics au nom de la création d'emploi.

Financements multiples

Le montant des sommes mobilisées est, par ailleurs, difficile à définir, dans la mesure où ces interventions sont financées par de multiples acteurs : d'un côté, l'Etat et ses ministères de l'Emploi, de l'Industrie et de l'Aménagement du territoire, de l'autre, l'ensemble des collectivités territoriales. Selon Alain Morin, animateur du Réseau de contrôle des fonds publics attribués aux entreprises, qui réunit des élus, des représentants de personnel et des intellectuels, environ 45 milliards d'euros seraient distribués chaque année.

Aucun chiffre officiel

Aucun chiffre officiel n'est cependant disponible auprès des ministères concernés qui renvoient l'interlocuteur d'un cabinet à l'autre. Il conviendrait d'ajouter à cette enveloppe les dispositifs de la politique publique de l'emploi : aides à l'embauche d'un public cible, allègement des cotisations sociales sur les bas salaires et réduction du temps de travail, dont peuvent bénéficier toutes les entreprises.

En 2000, selon la Dares (Direction de l'animation de la recherche, des études et des statistiques), quelque 33 milliards d'euros ont ainsi été mobilisés dans ce cadre. « Pour quelle efficacité ? demande Alain Morin. Cette somme n'aurait abouti qu'à la création de 23 000 emplois, soit 1,4 million d'euros dépensés en aides diverses pour chaque emploi créé ! » Depuis les premières heures de la décentralisation, les collectivités territoriales s'intéressent de plus en plus directement aux entreprises im- plantées sur leur territoire ou susceptibles de s'y installer.

Hausse des interventions

Selon le rapport le plus récent de la Cour des comptes, publié en novembre 1996, leurs interventions étaient estimées à environ 229 millions d'euros et avaient connu, entre 1988 et 1993, une progression annuelle moyenne de 11,2 %, près de deux fois supérieure à la progression de leurs dépenses totales. Objectif : soutenir l'emploi. « La création d'emplois ou leur maintien constituent les principaux critères de sélection des collectivités dans les dossiers qui leur sont soumis, explique Franck Avice, conseiller juridique de l'Afii (Agence française pour les investissements internationaux). Elles savent que les aides jouent un rôle incitatif important dans les décisions d'implantation d'entreprises lorsque le projet est mobile. » Au risque de financer tout et n'importe quoi.

Déboires

« Si les déboires et les contentieux sont demeurés jusqu'ici limités, de trop nombreux doutes sur l'efficacité économique des aides ont été exprimés et leur régularité juridique est trop souvent en question », souligne pudiquement le rapport de la Cour des comptes.

« L'imagination des collectivités est fertile et peut encourager des comportements de chasseurs de primes, confirme Christian de Scheemaeker, président de la chambre régionale des comptes d'Ile-de-France. J'ai en tête l'exemple d'une petite entreprise implantée dans la Drôme, qui a fermé et licencié ses 30 salariés pour s'installer dans des bâtiments neufs financés par des collectivités d'Ardèche, contre l'engagement de recruter 30 personnes ! »

Effets d'aubaine

De tels chasseurs de primes profitant d'effets d'aubaine, il en existe certainement des centaines. Il est difficile de distinguer les entreprises en réelle difficulté des professionnels du système, même si les pouvoirs publics et les collectivités cherchent, a priori, à s'entourer d'un maximum de garanties avant de financer un dossier. La solidité financière de l'entreprise et la faisabilité de son projet font l'objet d'un examen approfondi et le versement des aides est soumis à des conditions de réalisation d'investissements et de créations d'emplois. En théorie, l'argent n'est définitivement acquis qu'au vu des résultats.

Mais il advient fréquemment qu'aucun bilan physique et financier ne soit tenu. « Les collectivités territoriales et les services déconcentrés de l'Etat ne vont pas assez loin dans le contrôle ou se contentent de regarder les volumes d'emploi sans s'interroger sur leur nature », regrette Jacques Huet, délégué syndical CFDT de LAB (Laboratoire aéronautique de Bretagne), une entreprise qui a bénéficié d'aides à la création d'emplois alors qu'elle en était à son deuxième plan social.

Contrôles aléatoires

Restent les contrôles a posteriori et aléatoires du Parlement, de la Cour des comptes et de ses chambres régionales, qui peuvent déclencher des procédures de recouvrement des aides perçues. Mais les exemples sont rares et mal connus, aucune synthèse n'étant disponible.

Il n'existe pas plus d'étude d'impact des aides publiques sur le nombre d'emplois créés en France. « Les démar- ches d'évaluation sont difficiles à mettre en oeuvre, note Paul Coelho, responsable de projet de Développement et Emploi, une association spécialisée dans l'accompagnement du développement économique et le conseil aux entreprises. Comment savoir de quelle manière aurait évolué un territoire si telle entreprise n'avait pas été aidée ? On ne sait pas faire. Il faudrait pouvoir prendre en compte une myriade de paramètres et d'effets indirects, comme, par exemple, le maintien d'une école qui, peut-être, aurait dû être fermée sans l'implantation de telle entreprise. »

Il semblerait donc que le système français des aides publiques aux entreprises mériterait de gagner en transparence. La loi Hue, du 4 janvier 2001, qui créait la Commission nationale des aides publiques aux entreprises et 22 commissions régionales, avait été adoptée dans cet esprit (voir Entreprise & Carrières n° 620). Mais le gouvernement actuel n'a pas souhaité la maintenir et un amendement au projet de loi de finances 2003, porté par un sénateur UMP, l'a abrogée.

Instances de contrôle

En réponse, le Réseau national de contrôle des fonds publics réclame l'installation, dans les collectivités régionales, départementales et locales, d'instances de contrôle et d'évaluation composées d'élus, de représentants de salariés et d'employeurs.

C'est chose faite au conseil régional de Rhône-Alpes qui a saisi l'opportunité offerte par le droit à l'expérimentation créé par le gouvernement Raffarin dans le cadre de la décentralisation. Le Réseau exige également l'institution d'un droit d'alerte des salariés auprès des collectivités et des pouvoirs publics sur l'utilisation des fonds publics. « Les salariés sont à même de participer à ce processus via les prérogatives du comité d'entreprise », estime Jacques Huet. C'est d'ailleurs à la suite de l'action des salariés et de leurs représentants que cette filiale de TAT a été contrainte de rembourser au conseil général d'Ille-et-Vilaine des aides indûment perçues, soit plus de 360 000 euros.

L'essentiel

1 Nombre d'entreprises qui ont licencié ou fermé leurs portes ces dix-huit derniers mois ont bénéficié d'argent public pour les projets les plus divers : investissement, création d'emplois, formation, recherche et développement.

2 Le gouvernement a abrogé la commission nationale des aides publiques créée par la précédente majorité pour faire évoluer le système vers plus de transparence et d'efficacité.

3 Les collectivités territoriales se font la guerre à coups de subventions incitatives, quitte à ne pas respecter les règles, et se préoccupent peu du résultat. Un collectif national d'élus, de salariés et d'experts réclame la création d'instances de contrôle.